Méprisés. Ces pauvres enfants quand ils viennent tout déguenillés, tout mauvais comme ils sont malheureusement ne sont pas trop beaux à voir

Publié le par Michel Durand

Camille Rambaud

Camille Rambaud

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De la citée de l’Enfant Jésus, Antoine Chevrier écrit à Camille Rambaud alors qu’il se trouve à Rome pour sa formation en vue de devenait prêtre. Il y a trop de problèmes à la cité en construction. Les ouvriers, l’architecte, les familles ne tiennent pas compte des désirs et besoins des enfants. On ne les respecte pas tels qu’ils sont. Je dis cela en pensant à ce que j’écrivais à propos de Pierre Pacalet.

 

Lettre n°23 (22) [8]

J.M.J. Cité, fin juin 1859

Mon Frère,

(…)

Je dis donc que l’œuvre de la première communion et des persévérants ne peut marcher ensemble avec l’œuvre de la cité et qu’elles sont un obstacle l’une à l’autre, la cité est un obstacle à l’œuvre de nos enfants ; la grande raison, c’est que vos frères (les bénévoles agissant en lien avec Rambaud) ne peuvent pas faire deux choses à la fois, ils ne peuvent pas répondre aux habitants de la Cité recevoir les loyers, faire la quête et instruire les enfants. Comment voulez-vous aller faire le catéchisme quand vous avez la tête remplie d’ennuis, d’inquiétudes et d’affaires. Je vois bien ce que le Frère Paul a fait dans cette dernière série. Comment inspirer la foi, la piété quand continuellement on est obligé de vivre dans la dissipation d’une vie tout extérieure ; vous me direz tout ce que vous voudrez, il faut que les frères qui sont chargés de l’instruction des enfants ne soient employés qu’à cela, qu’ils ne s’occupent que de cela, qu’ils ne pensent qu’à cela, toute autre occupation est incompatible ; vous ne voyez pas les frères de la doctrine chrétienne faire autre chose que de s’occuper de leurs enfants ; il faut que vos frères les suivent à l’église quand ils y sont, qu’ils les suivent au travail pour leur donner l’amour du travail et leur parler de la vertu en toute circonstance, à tout propos et à chaque instant, pour les reprendre avec douceur et amour quand ils tombent dans quelque faute ; comment voulez-vous qu’un Ménétrier, un Benoît et autres leur inspirent l’amour du travail, quand, pendant tout le temps de l’exercice manuel, les enfants voient jouer, lire, s’amuser à autre chose qu’à faire ce qu’ils doivent faire ; la vertu ne vient pas de cette façon-là, non, il faut qu’il y ait des frères qui aiment ces enfants, qui comprennent ces enfants et aient pour eux de l’affection et du dévouement; si un enfant a soif ou faim, qu’il aille demander un morceau de pain à la cuisine, on lui répond par un pot d’eau sur la figure, on le  traite de bête, on le regarde avec mépris ou on ne fait pas attention à lui, comment voulez-vous que ces enfants aiment la maison et y reviennent ensuite avec plaisir. Et cela sera ainsi tant que vous n’aurez que des enfants pour diriger d’autres enfants. Si au moins ils avaient compris un peu le dévouement, mais cet esprit est si difficile à acquérir et à donner. Ce sont donc des frères, des frères connaissant l’œuvre, appréciant l’œuvre, qui doivent guider, instruire les enfants, les suivre partout, et il ne faut pas que ces frères aient autre chose à faire que de soigner nos chers enfants. J’ai vu souvent tous mes efforts paralysés en un instant par tout ce que je viens de vous dire, alors, si un fait et l’autre défait, comment pourrons-nous avancer ! Obstacle dans les habitants de la Cité : c’est un fait que les habitants de la Cité ne voient pas ces enfants avec plaisir, le bruit qu’ils font leur déplaît, ils ne leur donnent que le nom de gamins, ne les regardent qu’avec mépris. En effet, ces pauvres enfants, quand ils viennent tout déguenillés, tout mauvais comme ils sont malheureusement, ne sont pas trop beaux à voir; aussi, M. Auger ne pouvait-il les sentir et quand, à son départ, il m’a donné quelques bouteilles de vin pour me remettre et me donner des forces, il m’a dit : « Faites attention de n’en pas donner à votre clique ». Pauvres gens, ils sont bien à plaindre de parler ainsi, mais néanmoins c’est là leur esprit, ils n’y voient pas plus loin, que voulez-vous ! et cet esprit, c’est l’esprit du grand nombre. Aussi ils sont rebutés, mal vus et méprisés, comment voulez-vous qu’ils viennent au milieu d’un monde qui les méprise et les repousse.

Obstacle dans le garde qui les repousse et qui se voit obligé de les réprimander et même de les frapper. Si un enfant monte sur une pierre, il faut qu’il le fasse descendre, l’architecte crie ; ce n’est pas la faute du garde, mais la faute de la pierre, pourquoi est-elle là, c’était chez moi autrefois, cette pierre m’enlève ma liberté. Si un enfant va jouer à la cachette dans une maison neuve, il faut l’en chasser, il abîme les plâtres, les carreaux, la maçonnerie, il faut l’en chasser de force ; pauvres petits, ils sont bien à plaindre, les pierres, les maisons ont pris leurs places, alors ils ne reviennent plus, ils vont ailleurs malgré nous, ou plutôt nous les forçons d’aller ailleurs parce que nous ne leur donnons plus de place.

Et puis, autre raison non moins solide, les enfants, comme tout le monde, aiment à être chez eux, ils aiment qu’on fasse les choses pour eux, ils aiment à être seuls ; or, ici, on ne peut pas dire qu’ils sont chez eux, ils ne peuvent pas dire que l’on s’occupe exclusivement d’eux, quand ils se voient mêlés à tant de monde ; moi, je ne puis pas dire que je m’occupe d’eux quand, à chaque instant, il faut que je sois à Monsieur, à Madame, à celui-ci, à celle-là qui m’appelle, et quand je suis obligé de quitter les enfants pour mille autres affaires ou de la Cité ou du dehors. Vos frères ne peuvent pas se mêler à leurs jeux, les mener à la promenade, ce qui cependant est très nécessaire, parce qu’il faut qu’ils répondent à mille autres demandes qui leur arrivent à chaque instant ; moi, je me mêle quelquefois aux jeux pour les animer, mais je comprends que je ne puis décemment aller courir à barre au milieu d’une cité maligne qui se moque de tout et qui épie tous nos mouvements…

 

A. Chevrier

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