Vocations pour tous. Son cœur s'est déchiré et il l’ouvre tout grand. Il leur donne, au Prado, le pain du corps et le pain de l'Eucharistie

Publié le par Michel Durand

Joseph Folliet

Joseph Folliet

En attendant la conférence de demain, voici un poème de Joseph Folliet, transmis par Alice que je remercie vivement.

 

Image d'Antoine Chevrier

 

Aux portes de Lyon, passé le grand pont de pierres dont les saillants divisent le Rhône voyageur,

Par delà les lônes bleues, les saules et les vorgines,

Dans les brumes, sur ce terrain équivoque où l'eau affleure entre les graviers,

Le faubourg de la Guillotière hasarde ses masures, grouillantes de punaises, de misère et de vice.

Au milieu de la Guille, et comme son cœur immonde, dont les crins-crins et les pistons rythment les battements,

S'élèvent les hauts murs gris du Prado, le bal des vaches.

Les filles en chignons y guinchent avec les marlous, dont les accroche-cœurs dépassent sous la casquette.

On y chaloupe, on s'y saoûle, on y raccole, on y vole, on s'y bat, on y tue,

Et le sang d'un soldat poignardé a laissé sur le plancher, parmi les taches de gros vin, Des traînées noires, mal bues par la sciure.

C'est du bal des Vaches que le Verbe incarné fera son sanctuaire. C'est au Prado qu'il implantera son tabernacle,

Refuge de toutes les hontes, de toutes les misères et de tous les repentirs.C'est de là qu'il rayonne son pur amour,

Hier, aujourd'hui et demain.Par son véritable disciple, Antoine Chevrier.

 

 

Antoine Chevrier est un prêtre de Jésus-Christ,

Rien que prêtre, uniquement prêtre, totalement prêtre. Il tient le crucifix dans sa main, il a le Christ dans son cœur.

Il est beau, il est éloquent, il est sage — mais il ne le sait pas.

Il ne sait rien que l'Évangile.

L'Évangile de Jésus-Christ, il le connaît jusqu'au plus mince iota, jusqu'à la moindre virgule.

Et, sous la lumière toujours nouvelle de l'Esprit-Saint,Il ne cesse d'y puiser des trésors nouveaux

Jusqu'à ce que sa vie ne soit qu'Évangile.

Il ne connaît que l'Évangile,

Il voit, il juge tout à travers le seul livre qui ne passe point,

Et c'est pourquoi, voyant tout dans l'éternité, il voit tout avec un regard neuf.

Il voit le pauvre peuple ouvrier, parqué dans ses faubourgs, sans pain et sans Dieu.

Il voit le prêtre qu'il faut pour ce pauvre peuple,

Dépouillé comme lui, simple comme lui, obscur comme lui.

Napoléon III mène la fête impériale.

Les curés concordataires ne manquent pas de confort et les ecclésiastiques portent des souliers à boucles d'argent.

Les prédicateurs pensent aux dames distinguées qui ont le temps d'avoir une âme et des états d'âme.

La bourgeoisie annexe doucement le clergé, qui commence à oublier les guillotinades jacobines.

 

Antoine Chevrier, fort de l'Évangile, dénonce les prêtres bourgeois,

Il cherche des prêtres pauvres pour les pauvres — et même pour les riches.

Il parle avec cent années d'avance.

On l'écoute, parce qu'on ne peut se refuser aux paroles d'un véritable disciple,

A l'éternité de l'Évangile,

Mais on ne le comprend guère, et les habiles se préoccupent de limiter les dégâts.

 

Antoine Chevrier est un Lyonnais ; il a poussé entre le Rhône et la Saône, dans les brouillards.

Il n'aime pas l'extérieur, les parades, les falbalas, les flas-flas et les tra-la-las.

Il n'aime pas le bruit, les flons-flons de l'éloquence, la réclame et les belles paroles vides.

Il n'aime pas cette discipline qui mécanise les corps et ignore les âmes.

Il n'aime pas les plans trop précis et les projets trop somptueux.

Il a son idée, puisée dans l'Évangile

Mais il la médite chaque jour, d'après les conseils de la Providence.

Il fait son œuvre, comme sa mère, la canuse, faisait sa pièce,

Fil à fil, un coup de navette, un coup de battant.

Il a vu traîner, dans les ruisseaux de la Guille, les gones abandonnés,

Vocations pour les prisons et les bagnes.

Son cœur s'est déchiré et il le leur ouvre tout grand.

Il leur donne, au Prado, le pain du corps et le pain de l'Eucharistie.

La condition d'entrée est simple et facile : ne rien avoir, ne rien savoir, ne rien valoir.

Ces petits loups des rues, il les apprivoise par sa douceur, lui qu'on appelle le mouton.

Et, avec le gibier d'Enfer, il fait de la graine de Paradis.

Puis, autour de lui, voilà des séminaristes, des prêtres, des frères, des sœurs,

Les prêtres du bois blanc et des soutanes raides,

Les prêtres des paroisses mineures et ingrates, dont personne ne veut,

Les prêtres pauvres pour les pauvres,

Les prêtres du Prado,

Les prêtres du Père Chevrier.

Antoine Chevrier a marché, les yeux sur la Crèche, le Calvaire et le Tabernacle.

Comme Jésus à la Crèche, le prêtre est un homme dépouillé.

Comme Jésus au Calvaire, le prêtre est un homme crucifié.

Comme Jésus au Tabernacle, le prêtre est un homme mangé.

Antoine Chevrier est devenu du bon pain, qu'on coupe et qu'on mange.

Tout le monde a mangé de ce pain. Il ne reste plus rien de lui, qu'une âme qui a soif de retourner à Dieu.

Et il meurt, dans sa pauvre chambre du Prado, sans bruit, comme il a vécu,

Laissant, derrière lui, la flamme de l'amour dans les cœurs de ses prêtres.

 

 

 

Vigile de l'Ascension 1949,

  Le Prado de Limonest

 

 

Source : Joseph Folliet, Deuxième noctune, Chronique sociale de France, 1953

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