Ma place à la JEC est maintenant faite, j'ai la reconnaissance de pas mal de cadets et il m'a fallu bien quatre ou cinq mois pour ceci.
Suite du journal - histoire d’une vocation - en toute transparence ; un regard, une étude pour en déceler l’authenticité.
Mercredi 2 mars 1960
J'ai reçu une lettre de mère Joséphat (norbertine). Elle me fait plaisir sa lettre, non pas comme toutes les lettres, mais plus. Elle me fit plaisir, car elle m'éclaira et me rapprocha de Dieu. En lisant cette lettre, je suis d'un transport inexplicable, d'une élévation quasi mystique. Bref, je suis heureux. Par cette lettre, je comprends ce qu'est une contemplation naturelle et j'entrevois ce qu’est la contemplation surnaturelle. De moi-même, je suis enclin à la contemplation naturelle ce qui explique mes facilités à prier. Prier si l’on veut ; car, c’était plutôt une rêverie qu’une vraie prière. C’était une sorte de méditation où Dieu dans son existence positive n’y était guère présent.
Dimanche 13 mars 1960
Je vais à un récital d'orgue donné à la cathédrale (de Clermont). Le début de l'audition fut assez froid. Mais mes cordes sensibles s'échauffèrent assez rapidement. Mon enthousiasme croissant me conduisit jusqu'au délire. J'étais pris dans un véritable élan qui avait pour but une notable ferveur religieuse. À ce moment, Sœur Joseph vient à mon esprit : dans ce fort état d’âme, dans cette passion mystique, y a-t-il de la contemplation naturelle ou surnaturelle. Je crois que c'est naturel, car seuls mes sentiments semblent bouillir.
Par la suite, je passe à la prière et je pense qu'à travers la musique et son expression, Dieu est descendu dans mon âme. Il m'enveloppe complètement de sa présence. Non pas la musique, mais Dieu. Aussi j'essaie la contemplation surnaturelle. Je chasse de moi tout ce qui est concret et j’y place Dieu. Dieu est bon. Dieu est amour. Dieu me rend heureux, très heureux. Je suis heureux. J'ai la joie. Je ne suis qu’ardeur et force de joie. Dieu est bon. Je suis sûr qu'il est près de moi et qu'il m’aime.
Aucun mot ne peut traduire mon état, mon enthousiasme. Rien ne peut transcrire ce feu délirant que j’éprouve.
J'ai la joie… Dieu m’écoute.
Mercredi 23 mars 1960
La JEC est très difficile dans l'enseignement libre. La JEC n'est pas compatible avec Godefroy. Notre position n'est pas assez affermie : nous sommes tous chrétiens, mais beaucoup sont tièdes ; on ne sait pas à quoi s'en tenir. Afin de faire plus de travail, afin d'avoir quelque chose de plus positif, j’envisage la solution de rentrer dans un lycée public l'an prochain. De plus, le lycée sera une épreuve : il est plus dur d'être chrétien dans un lycée que dans une boîte libre.
Vendredi 25 mars 1960
Claude a une crise d'appendicite, mais je ne me soucie guère de son état, car il n'y a rien de grave. Peter à cause de la venue de Kroutchev est retiré en Corse (obligation par le gouvernement). Ceci m'inquiète plus. Je pense faire beaucoup pour eux, par exemple l’achat d'une bible qui serait peut-être un voeu pour la famille.
Dimanche 27 mars
J'attends vivement les vacances et le travail de classe se fait moins important en nombre. Je peux donc penser à la JEC et à moi-même. Je pense à la JEC quand plus rien ne m'occupe et dans ces moments, je travaille pas mal pour elle.
Jeudi 31 mars
Nous recevons les résultats du bac première manche ; ils sont bons pour Godefroy, mais pas pour moi. Certes, j'ai la moyenne, mais il me fallait des points de plus, aussi cet examen ne me sert à rien.
Conclusion, je suis incapable de poursuivre mes études ; la limite de mon intelligence est presque atteinte. « Je ne pourrais jamais faire architecte ; et curé non plus, car je ne veux pas faire ce métier avec l'arrière-pensée de ne rien pouvoir faire ailleurs ». J'ai écrit ceci à mes parents. J'ai le cœur gros et je pleure en m’enfermant dans un mutisme complet. J'évite les copains et leurs questions. Ils sont heureux et je suis jaloux deux. L'idée du suicide me vient et je veux tout laisser tomber. Je passe une mauvaise nuit.
Samedi 2 avril 1960
Je suis en train de lire « Pêcheurs d’Homme » de Maxence Van Der Meersch. Ce livre peut, en quelque sorte, servir de modèle à un jéciste. Aussi, comme le héros de cet ouvrage, je veux attirer la confiance d’autrui ; je veux être leur confident, leur « grand frère ». Est-ce une pensée ambitieuse ? Et cela n'est peut-être pas mon rôle si seulement c'est le rôle de quelqu’un de s’occuper des affaires du voisin. Et, suis-je capable de prendre autrui en charge ?
Dimanche 3 avril
Je me trouve à Pontjibeau où, dans une boîte de frère, a lieu une journée de récollection « cadet ». Étant principal responsable cadet, je dirige la réunion. C'est peut-être cette place de premier qui me fit très populaire parmi les cadets. Ils veulent être avec moi, manger à mes côtés. Bref, je me suis, sans le vouloir, montré très populaire. Ce succès apparent crée des difficultés pour quitter Godefroy. Ma place à la JEC est maintenant faite, j'ai la reconnaissance de pas mal de cadets et il m'a fallu bien quatre ou cinq mois pour ceci. Quitter Godefroy signifie désormais refaire ailleurs tous ses contacts d'introduction auprès des autres.
Lundi 4 avril 1960
Le dimanche passé à Pontjibeau m’enleva deux jours de vacances. Aussi, on dirait que je regrette presque d’y avoir été. Le travail pourtant qui s'y est fait n'a pas été mauvais. Le regret est, je pense, inexplicable.
J'envisage mes vacances en travaillant beaucoup pour le bac. Il faut le décrocher : je serai tout de même plus heureux de l’avoir. Comme je n'ai aucune confiance dans les maths j’envisage de prendre des cours chez une femme habitant à Saint-Yan.
Mercredi 6 avril 1960
Il y a trois ou quatre jours à peine, j'écrivais à Banine et, aujourd'hui même, déjà, je reçois une réponse. « S’en tenir qu’au Christ » me dit-elle.
Le christ est bien loin tout au moins pour moi et je suis incapable de m'adresser à lui seul. Il faut m’aider. C’est ce que je pense lui expliquer dans la prochaine lettre. En lui disant que l'aide, dont j'ai besoin peut très bien être en elle comme il doit être dans chaque chrétien.
Banine est l'auteur du livre « J'ai choisi l’opium ». https://www.cultura.com/p-j-ai-choisi-l-opium-3254495.html
Jeudi 7 avril
J'ai une envie folle de faire quelque chose pour autrui. Je sens le besoin de m'intégrer dans l'Église militante en agissant à Digoin, ma paroisse. Aussi, je fais le patro avec l’abbé (le vicaire). Au cours de celui-ci je lui parle de mes désirs et j'envisage ce que je pourrais faire. Il me déçut un peu, car je ne vis aucune lueur d'enthousiasme dans son visage. « Tu auras le temps, me dit-il, de faire de l'action catholique à Digoin. Je pourrais par exemple te faire lire pour la messe de Pâques. Mais je ne veux pas te mettre dans la bataille si tôt : il faut être prudent ». Comme réponse, je lui dis que je n'aurais pas peur de parler en public et que je me fous de ce que les autres pourraient penser. Mais suis-je sincère en disant ceci ? Je ne le pense pas.
Dimanche 10 avril - les rameaux
Je me rends, avec toute la famille à la messe de neuf heures. C'est une messe basse où en principe les fidèles devraient répondre. Mais tout est silence, passivité. J'aurais bien envie de donner un peu de vie à toute cette assistance ; mais seul, je ne peux rien faire. Oh que j'aimerais voir cette messe fervente !
Avant de me rendre à cet office, j'ai eu avec maman une légère dispute. Comme nous nous étions levés assez tard, il ne restait plus guère de temps à se préparer et je ne pris pas la peine de m'habiller correctement (tenu du dimanche). « Je ne veux pas que tu partes comme cela, me dit-elle, tu n'es pas convenable, que vont dire les gens avec ce vieil imperméable » ? « Mais maman, lui répondis-je, je ne vais pas à la messe pour me faire voir. Je trouve stupide de mettre de beaux vêtements quand je n’en ai pas le temps même si les autres en mettent ».
Pour tout terminer, j'ai mis une veste à la place de l'imperméable. Comme cela les gens ne pourront pas dire que je suis mal habillé. Idiote cette réflexion. Enfin ?
Le soir, avec mon cousin Bernard, je vais voir le film « À l’Est d’Éden ». C'est un assez vieux film qui me tente, mais que je n'ai jamais pu voir avant. Je suis donc satisfait. Satisfait deux fois, car le film me plut beaucoup ; c'est-à-dire qu'il m'impressionna plus qu'il m'était nécessaire. Je peux également, à la vue de ce film, constater que Georges Fusibet (un ami) est profondément influencé par James Dean et que les circonstances du milieu familial sont quelque peu semblables : foyer désuni, causant un déséquilibré et un révolté. Désormais, je comprends mieux Fusibet. Du point de vue littéraire il est certain que James Dean a des points communs avec Werther. James Dean est bien le Werther du XXe siècle.
On dit que ce genre est maintenant périmé, démodé. Peut-être et c'est même certain ; mais je suis cependant certain que le fond de nos « blousons noirs » ressemble à celui de « Géant ». Ce fond étant : prouver que l'on est, que l'on existe, que l'on est capable. Arrêtons ici ce bavardage, je crois qu'à continuer je mettrai beaucoup de stupidités.
Durant toute la journée Claude a été malade. Elle est enceinte depuis peu de temps. Elle ne mange pas ou le peu qu'elle mange et vomi. L'inquiétude est générale ; mes parents posent des questions : « qu’est-ce que tu as », « cela ne va pas », « mange », etc. Pendant tout le repas, on entend ce disque. Leur attitude me déplait. Qu'ils laissent donc Claude tranquille. Leurs questions la rendent plus malade qu'autre chose ; c’est obsédant.
Mercredi 13 avril 1960
Souvent, la manière de vivre des autres me dégoûte, et ce dégoût se porte sur de nombreux points tous différents. Ainsi, l’âpreté au gain, la recherche du quiétisme, les plaisirs de la table font partie de ce que j'ai en horreur. De même à la messe, je déplore l'attitude « bigoterie » d'une femme, vieille ou jeune. Celle-ci faisant beaucoup de bruit avec un chapelet qui n’est d'aucune utilité à cet office.
Pour ce qui me concerne, la vie de bourgeois que je mène, durant les vacances surtout, me dégoûte. Je pense même qu'elle est le facteur de ma tristesse, de ma peine. Pourtant je suis bien et je me plais dans un fauteuil à écouter des disques. Mais cette vie bourgeoise me fait rapidement oublier celle de militants chrétiens. Ici est le début du quiétisme horrible.
Hier, mardi, j'ai trouvé l'application de mon désir d'apostolat. Je me suis rendu, sur sa demande, chez Marie-France qui aime beaucoup me recevoir, car je suis le seul à lui parler, dit-elle, d'une façon aussi sérieuse. Que ce que je lui apporte puisse être bon !
Vendredi 15 avril 1960
Mercredi, alors que je reviens de mon cours de math pris à Saint-Yan, je fis un arrêt dans une église entre Saint-Yan et Digoin. Ceci dans le but de prier. Le début de cette prière fut mauvais, car je n'arrivais pas à chasser mes idées terre à terre. Voyant que dans cette église il y avait un confesseur qui attend, profitant de la facilité, je me prépare et me confesse. Quelle fut ma joie en voyant que c'était un dominicain - j'approuve leurs opinions, j’aimerais mieux les connaître - et je profite de cette rencontre fortuite pour lui poser la question suivante : « peut-on communier en ayant le doute que notre âme soit sombre ? ».
« Il n'y a pas de problème, dit-il, la communion fait partie de la messe et qui n'a pas le doute d'être un pêcheur ? » Afin que je comprenne bien ceci, nous discutons assez longtemps, d'autant plus que je lui ai posé des objections.
J'accomplis ma pénitence et, au cours de celle-ci, le dominicain s'approche de moi et me demande si je suis de la paroisse. Cette question indiscrète me déplut. Heureusement que, après avoir répondu non, il m'expliqua sa question : « ce n'est pas pour savoir qui vous êtes, c'est parce que j'ai besoin d'un lecteur, je n'en ai pas dans ma paroisse ; mais puisque vous êtes de passage, vous ne pouvez pas tenir cette tâche ». C'est alors que je lui dis que je passe tous les jours devant cette église et que je peux très bien lui rendre service s’il n'y a vraiment personne d’autre de la paroisse. Je ne veux pas voler la place de ceux qui y ont droit. Le dominicain m'accepte et me donne rendez-vous pour aujourd'hui 15 h 30. Je voulais faire quelque chose dans ce sens pour les fêtes pascales et je vais le faire. À Digoin, je suis connu et je n'aurais peut-être pas osé le faire et l’abbé n'était pas d’accord, comme je l'ai déjà dit, pour me lancer de suite dans la bagarre. De quelle bagarre est-il question ? C’est donc providentiellement que j'accomplis cette mission ; je n'y suis pour rien, mais très content, car c'est selon mes désirs.
La lecture s’est bien passée ; je n'ai pas trop eu peur.
Parlons un peu du dominicain ; sa discrétion m'a plu ; il ne m'a rien demandé, pas même mon nom. Être employé ainsi, en incognito, me plaît. L'enthousiasme de ce prêtre me frappa également : « ce serait très sympathique, m’a-t-il dit que vous puissiez venir ». Phrase qui fut prononcée avec une joie intense. Tous ces genres de types trouvent beaucoup de choses sympathiques, même les banales, les plus ordinaires ; ainsi ce service rendu que je trouve commun. S'ils sont ainsi, s'ils trouvent presque tout sympathique, c'est qu'ils ne sont pas des blasés. Ainsi le P. B., comme le décrit Banine est plein d'enthousiasme devant ce qui l'entoure. Il est rempli d'exaltation en voyant la jeunesse étudiante qui, selon Banine, paraissait plus libertine que studieuse.