Les migrants... Ils sont nos frères et nos soeurs en humanité.
L'article respecte l'entretien et même si je trouve que, ici où là, quelques nuances auraient été souhaitables, ma pensée n'est pas trahie.
Je trouve quand même ce portrait beaucoup trop généreux. « L'image d'un bon samaritain sans faille » ironise gentiment un ami. Je vous fais confiance, vous savez prendre quelque distance.
Si je le reproduis ici (voir ci-dessous), non sans réticence pour me répéter, c'est que les retours que j'en ai reçus m'encouragent à aller encore plus loin dans la mise en œuvre de l'Evangile au quotidien.
Je souhaiterais que les baptisés de France manifeste massivement sur les places publiques leur respect du frère étranger. Les lettres reçues vont dans ce sens. Et accueillir, visiblement, sous son toit des « sans papiers », n'est-ce pas une façon d'affirmer ses engagements !
Voici deux ou trois extraits :
« Heureux d'avoir pu rencontrer, via Ouest-France, un chrétien imprudent. Ici aussi, récemment, nous vivons de près des drames : vie humaine contre chiffre. »
« Bravo, je prie pour toi chaque jour, pour que tu deviennes « contagieux » et que chaque paroisse devienne un petit Saint-Polycarpe. (Note : le tutoiement est employé « parce que, ici, en Bretagne, on, dit tu à ceux que l'on estime).
« Merci pour votre témoignage... Nous sommes intéressés par la revue des « décroissants ». Pouvez-vous nous donner leurs coordonnées afin que nous puissions nous abonner. C'est vers cette décroissance que nous devons tendre. »
L'article
Les déracinés le savent, il arrive que votre lieu d'adoption vous corresponde davantage que votre lieu de naissance. A fortiori si vous l'avez fui. Michel Durand, par exemple, est né en 1942 dans la petite bourgeoisie de Paray-le-Monial, en Saône-et-Loire. Mais l'esprit qui règne sur les pentes de la Croix-Rousse, où est perché son presbytère, lui sied bien mieux.
Dans ce quartier populaire de Lyon chargé d'histoire, on se méfie instinctivement des ordres qui viennent d'en haut, on grouille d'idées pour les contester et « on ne laisse pas dans la rue une personne en pleine détresse. La révolte contre les injustices sociales, ça remonte au temps des canuts », explique le curé, citant ces forçats de la soie qui voulaient « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ».
« Ici aussi, on continue à se parler davantage qu'ailleurs ». L'urbanisme, complexe pour épouser le dénivelé, oblige les habitants à se croiser, à pied, dans les escaliers, dans les « traboules », ces passages qui relient les hautes maisons à étages. Le dédale a rendu fous les nazis qui ne s'y risquaient que sur dénonciations ' sûres ' : Klaus Barbie y a fait rafler 80 juifs, dont le père de Robert Badinter. Allez donc chercher des sans-papiers là-dedans... Rien que pour explorer les couloirs tarabiscotés qui courent autour de l'église Saint-Polycarpe, il faudrait une journée avec un GPS performant.
Michel Durand est un bon voisin, que la police n'a jamais inquiété. Les anciens lui trouvent une tête de philosophe grec ; les jeunes, « de vieux soixante-huitard ». Les anarchistes, accros au quartier, se marrent avec ce curé qui juge, pour l'avoir expérimenté, le travail en usine avilissant, théorise sur l'utopie, les bienfaits de la contemplation... Dimanche dernier, il a encore dû refuser une invitation à déjeuner. « Je ne peux jamais, le dimanche midi, il y a un apéritif après la messe de 11h. »
Il y a trois ans, une Camerounaise a poussé la porte de la cure et exposé la menace de reconduite à la frontière qui pesait sur elle et son enfant. « J'ai fait ce que tout chrétien conscient de son baptême aurait dû faire ». Il l'a hébergée, risquant ainsi les trois ans de prison, rarement appliqués, qui punissent l'aide au séjour irrégulier. Depuis, il récidive régulièrement, en lien étroit avec des associations militantes comme Réseau éducation sans frontières ou la Cimade (service d'entraide pour l'accueil des étrangers).
« Ce n'est pas une grosse structure », dit Michel Durand en parlant de sa planque. « Il y a des douches chaudes, une cuisine mais peu d'intimité. Le mercredi, les bénévoles reçoivent les gamins du soutien scolaire. Il faut cohabiter ». Mais chacun trouve aisément sa place dans cette cure typiquement lyonnaise. Les pièces étroites s'égrainent comme un chapelet enroulé autour de l'église. Deux étages peuplés de recoins. Des ours en peluche traînent sous les crucifix.
À Lyon, toute la ville est au courant du sens de « l'hospitalité chrétienne » du père Durand. Il l'a expliqué dans le magazine Lyon Capitale. Il a choisi la désobéissance civile et « accepte les interviews comme un outil susceptible d'encourager les uns et les autres ». Il rêve de voir la communauté chrétienne se rassembler, battre le pavé « contre cette loi inique sur l'immigration. Les catholiques ont bien su le faire pour défendre l'enseignement privé. »
Sur son blog, le curé frondeur reçoit des mots d'encouragement, échange des mails avec un pasteur via le journal La Croix, essuie aussi de sévères critiques. Certains l'accusent de « déstabiliser la France. Un bien grand pouvoir que je n'ai pas. » Lui se dit en accord avec sa conscience, sa foi, ses paroissiens - « Ils n'ont pas encore viré leur curé ! » - et la position de l'Église catholique française qui rappelle en substance : « Les chrétiens refusent par principe de choisir entre bons et mauvais migrants... Ils sont nos frères et nos soeurs en humanité. »
Comment réagit sa hiérarchie ? Aucun mot, ni réprimande pour l'instant. Le cardinal-archevêque Barbarin s'abstient de tout commentaire. « Il ne veut pas d'un mouvement qui ferait tâche d'huile », analyse Christian Terras, le rédacteur en chef de la revue Golias. Pour ce catholique progressiste, « le père Durand ne fait que son job de chrétien. Le Smic évangélique. »
Le curé de Saint-Polycarpe se doute que l'opposition massive à la chasse aux sans-papiers, qu'il espère en prière et en acte, ne viendra pas d'en haut. Il observe dans son Église « un repli identitaire » qui l'inquiète. « Tous ces jeunes prêtres qui choisissent de porter l'habit noir... » lui paraissent loin de lui, du message du Christ qui l'attirait depuis son enfance : « J'ai grandi marqué par la différence entre les pauvres et les riches ». Après la théologie, chez les Jésuites, à Rome, il a repris des études en sociologie politique et se montre aussi doué en prêche qu'en « macroéconomie. Je suis en accord philosophique avec les Décroissants (1). Je lis leur journal, le siège est à deux rues de la cure. Si nous n'arrivons pas à retrouver une certaine simplicité, le drame de l'Afrique, le déséquilibre mondial se retournera contre nous. »
Christelle GUIBERT.
(1) Les adeptes de la décroissance prônent une diminution de la consommation et de la production, une simplicité qui respecterait le climat, l'écosystème et les êtres humains.