Homélie de 1er dimanche de Carême

Vous pouvez également lire l'article de Macha Chmakoff publié dans la Croix de Vendredi. (La Croix 29 février 2009)
Macha Chmakoff expose à Confluences cette semaine et la semaine suivante. Pour en savoir plus, un clic ici.
Macha Chmakoff, psychologue et psychanalyste
Accepter notre manque
L'humilité consiste à accepter la vérité sur soi-même. Cette démarche peut être facilement caricaturale et conduire le sujet à mettre ses défauts en avant jusqu'au misérabilisme et, parfois, à les utiliser pour éviter les responsabilités. L'humilité vraie s'accompagne d'une grande estime pour les autres. Dans une conception dévoyée de l'humilité, ce respect pour toute personne porte le sujet à se mépriser lui-même et à juger systématiquement autrui comme infiniment plus digne que lui. L'humilité, ainsi comprise, se transforme en perte de soi, voire en soumission à autrui et ne peut que s'achever en rancœur envers les autres, exprimée de façon voilée mais non moins efficace.
Ces dérives viennent d'une conception qui ne considère que la partie émergée de l'iceberg, à savoir la dimension consciente. Dans la perspective négligeant l'inconscient, la connaissance de soi se limite à ce qui est apparent et à ce qui est accessible au raisonnement. Les limites, les fautes ou les péchés veulent être examinés à la lumière de l'humilité. Avec la seule exploration consciente, il est possible de situer les moments, par exemple, où nous avons fait preuve d'impatience, de colère, de paresse, de jalousie. La reconnaissance précise de ces mouvements est une démarche nécessaire et déjà fort bonne pour tenter de surmonter ses travers. Cependant, ces défaillances peuvent avoir des racines inconscientes qui les alimentent perpétuellement. Par exemple, la colère peut venir d'une jalousie non sue ; l'exigence démesurée envers les autres peut être l'expression d'une faille narcissique conduisant le sujet à chercher la perfection de manière compulsive. L'humilité, qui implique la connaissance la plus complète de soi, devrait pouvoir aller à la rencontre de ces soubassements inconscients. Dans le cas inverse, elle donne au sujet l'impression de se connaître alors qu'il connaît surtout ses traits de caractère et ses comportements habituels. Leurs significations profondes peuvent échapper et avec elles une partie de sa liberté intérieure.
Au-delà de ces erreurs de perspective sur le sens des défauts, l'approche purement consciente de l'humilité passe à côté de notre rapport au manque et de nos manœuvres pour le tenir à distance. L'être humain que nous sommes est fragile, limité et mortel. Nous pouvons le reconnaître intellectuellement, mais nous luttons, inconsciemment, de toutes nos forces contre cette réalité. Nous tentons de le nier, principalement, en laissant se déployer notre fantasme de toute-puissance. Etre dans la suractivité, se rendre subtilement indispensables, occupent différentes fonctions qui recouvrent elles-mêmes des champs de pouvoir sur autrui, éventuellement au nom du dévouement et de la générosité, peuvent correspondre à autant de manières de nourrir l'illusion que tout est possible. Le devoir d'humilité impliquerait de prendre conscience de cette complaisance avec ce mensonge non conscient. Lorsque la dimension inconsciente n'est pas prise en compte, l'orgueil voilé, qui sert la bonne cause et présente l'apparence du détachement, ne peut être mis en évidence.
Le déni du manque peut porter non pas sur la réalité du manque mais sur sa nature même. Ainsi, nous développons inconsciemment, le fantasme que le manque peut être comblé et nous cherchons la plénitude sous toutes ses formes. La quête d'une communauté fraternelle et la recherche de sainteté peuvent être investies de cette manière. Une autre façon de colmater le manque se retrouve dans la tendance à vouloir tout maîtriser et tout expliquer, y compris le mystère des autres et celui de Dieu. En réalité, la plénitude ne peut être trouvée qu'en Dieu lui-même, lui le seul absolu. Lorsqu'elle est recherchée ailleurs, mêmes dans les réalités les plus élevées, elle relève, au niveau individuel, de l'orgueil. Et au niveau institutionnel de l'idéologie. La croissance dans l'humilité se réalise par l'acceptation de notre manque et par la reconnaissance de nos dénis du manque. Leur dévoilement se réalise, essentiellement à travers les expériences et les rencontres de toute notre vie jusque dans ces dernières étapes. Sœur Emmanuelle en témoigne dans ses Confessions d'une religieuse. Sa représentation de Dieu était marquée par une certaine maîtrise intellectuelle ; elle en prendra conscience à l'âge de 70 ans grâce à la lecture des écrits de captivité du pasteur Bonhoeffer. D'autre part, bien qu'ayant vécu pauvrement avec les pauvres, elle ne se confrontera vraiment à sa propre pauvreté (à son propre manque essentiel) qu'à travers l'expérience physique de la vieillesse, intervenue pour elle à 97 ans.
La direction spirituelle, menée à l'extérieur du cercle de vie de la personne accompagnée, peut constituer également, un moyen d'approcher les tricheries inconscientes avec le manque. La psychothérapie psychanalytique, par ailleurs, bien que n'étant pas une démarche en soi spirituelle, peut conduire à dévoiler l'orgueil inconscient et ouvrir la voie à l'humilité. Au sens strict du terme, nous n'avons pas à «devenir humble» puisque nous sommes, intrinsèquement, «humus». L'humilité ne.consiste pas à se rendre modeste, mais. à reconnaître notre réalité fondamentale, faite de manque et de désir ; de manque comme possibilité de désir et d'aimer.