De la mort de l'Eglise doit venir sa naissance
Voilà bien une dizaine d'années, sinon plus, que, dans l'Eglise (ou les Eglises), les courants porteurs d'une forme de "restauration" dominent sur le libre marché des initiatives pastorales. Je suis persuadé que, la vague passée, nous reviendrons à une perception plus évangélique de l'existence ; plus proche de la Source.
L'incarnation de la Parole retrouvera son chemin, ignorant les fastes des liturgies dites pontificales. N'oublions pas que depuis une quinzaine d'années, d'années en années, nous assistons à l'élévation de la hauteur des mitres des évêques, à la multiplication des chapes et chasubles dorées. L'Institution Eglise sait pourtant qu'elle a largement perdu de son pouvoir d'entant ! Cherche-t-elle, inconsciemment peut-être, à le récupérer ?
Dans les bouleversements connus en Algérie, estime Claude Rault*, l'Eglise « a perdu les moyens privilégiés dont elle disposait (...), elle s'est faite plus discrète, plus effacée. L'Eglise semble même avoir perdu pratiquement toute influence extérieure. Ce bouleversement, nous le voyons maintenant avec du recul, a été une bénédiction, il nous a permis de vivre de façon plus profonde et plus gratuite l'expérience évangélique de la relation. En effet, ce qui a été perdu en visibilité a gagné en profondeur ».
Quand je vois aux informations télévisées le comportement pompeux de la hiérarchie orthodoxe russe selon une récente actualité, je regrette profondément que cette banale vérité d'une vie simple selon la Bonne Nouvelle, directement issue de la vie des premiers chrétiens, ne soit pas perçue. Lisons pour approfondir ce point quelques pages du théologien Joseph Moingt qui s'exprime en pensant aux Eglises du XXe siècle issues du colonialisme et des mouvements de sécularisation.
« La situation présente est celle d'une Eglise à son tour dépouillée, mais malgré elle, de la puissance qu'elle s'était efforcée d'imposer au monde, au long des siècles passés, pour y établir le règne du Christ. Cette perte est assimilable à une mort puisque c'est le spectacle du dépérissement du christianisme qui a permis de parler de la mort de Dieu ».
Mort de Dieu ... mort de l'Eglise.
« Nous ne pensons pas que l'Eglise, écrit Joseph Moingt, survivra à l'état de mort dans laquelle nous la voyons s'enfoncer sans renoncer à la puissance sur laquelle elle avait bâti son histoire ».
Et encore : « Nous voudrions parler (...) de la mort de l'Eglise en l'annonçant comme une nouvelle naissance, non pour escamoter sa mort comme si son déclin apparent n'était en réalité que le prodrome du retour à une vitalité plus grande encore que par le passé, mais pour signifier que ce déclin, bien réel quoiqu'il n'ait pas déjà atteint son terme, est une vraie mort en tant qu'il est la disparition irréversible de son ancien mode de présence au monde, celui d'un magistère de plein droit, universellement implanté et compétent, et que cette mort, néanmoins accepté dans un réel dépouillement de cet ancien état des choses, sera une nouvelle naissance, sous un nouveau mode de présence au monde conforme à la croix du Christ, celui d'un authentique service des hommes, qui lui permettra de leur tenir le langage du salut qu'elle doit leur porter, loin de tout esprit de domination et de triomphe. Et c'est dans la perspective de la naissance aujourd'hui d'une Eglise servante que nous voudrions annoncer la naissance du Dieu caché ».
Joseph Moingt, hélas selon moi, est toujours très long dans la formulation de sa pensée. Celle-ci est pleine de nuances et j'ai préféré de ne pas trop couper son texte pour en saisir toute la force. Une deuxième lecture est souvent nécessaire.
Plus simplement, Alfred Ancel disait des choses identiques lorsqu'il appelait de tous ses vœux, en 1973, une Eglise pauvre : « Comme nous l'avons déjà dit, l'Eglise ne deviendra pas l'Eglise des pauvres et le Sacrement du Christ pauvre par la voie de décisions juridiques ou sous l'influence d'une pression révolutionnaire. Ce qui est demandé à l'Eglise, c'est une conversion progressive dans le sens de la pauvreté ».
Saint Augustin, évêque d'Hippone, subit de loin, le sac de Rome, la citée sacrée assiégée par les Goths d'Alaric qui réduit au cannibalisme ses habitants affamés, comme une catastrophe impensable dont il ne s'est jamais remis. Le monde, l'empire Romain, sur lequel l'Eglise s'est modelée s'écroule. Quel drame sans nom !
Pélage, un moine Breton, se trouvait à Rome. Voilà ce qu'il écrit à une grande dame de la noblesse romaine, également témoin des faits : « Ce n'est arrivé que depuis peu et vous en avez été témoin : Rome, la maîtresse du monde, a frissonné de terreur au son strident des trompettes et des hurlements des Goths. Où était alors la noblesse ? Où étaient passés titres et dignités ?Tous étaient mêlés les uns aux autres et secoués par la peur ; chaque famille avait ses douleurs et une terreur envahissante nous étreignait tous. Esclaves et nobles se confondaient, le sceptre de la mort se dressait devant tous ».
Moment difficile. Impossible à vivre sereinement. Et pourtant, l'Eglise trouva, de siècles en siècles, en une nouvelle communion avec les "barbares", le chemin de l'Evangile.
Le Verbe s'est fait chair. Il a habité parmi nous. L'incarnation de la Parole se réalise quelles que soient les affres des civilisations. Ainsi, toujours s'accomplit l'humanisation du monde pour sa divinisation.
Il nous revient de collaborer étroitement à cette œuvre divine en sachant abandonner un monde qui meurt.
« Tu demandes à l'humanité, Dieu Créateur, de se perfectionner de jour en jour et d'achever par son travail l'œuvre immense de la création ; aide-nous à faire que tous les hommes aient des conditions de travail qui respectent leur dignité : qu'en s'efforçant d'améliorer leur propre sort, ils agissent avec un esprit de solidarité et de service »
prière de l'office du temps présent lundi IV
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* Mgr Claude Rault, Désert, ma cathédrale, DDB, 2008.