Ce que nous savons de l'histoire des origines ne permet pas de parler d'un fait précis et d'une faute qu'aurait commise un couple donné.
Combien de jeunes couples abordent le baptême de leur bébé en se demandant ce que vient faire le péché originel dans ce sacrement ? Ils savent que le catéchisme en parle ; mais, qu’est-ce que cela veut dire ?
M. Quesnel, bibliste et ancien recteur de
l'Institut catholique, présente sa vision d'une Eglise libérée des institutions et du dogme, moins crispée sur les traditions et davantage ouverte au mouvement.
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Dans son enseignement, la communauté de l’Emmanuel aborde ainsi la question, au chapitre de la Création : « Le péché a marqué l’homme et son histoire. Nous verrons ce qu’est le péché originel ainsi que ses conséquences ». Le père Puyjalon, a écrit sur son site Catécatho : « En désobéissant à Dieu, Adam et Eve ont commis le premier péché ; c’est par lui que le mal est entré dans le monde. Nous héritons tous, en naissant, de ce péché des origines et nous en supportons les conséquences ».
Ceci dit, je ne résiste pas au bonheur de vous livrer quelques pages du dernier livre de Michel Quesnel (octobre 2012). Agréable à lire, simple, condensé et qui touche, symboliquement dirai-je car cela ouvre sur de nouvelles perspectives, d’importantes questions de foi.
La théologie du péché originel.
Tout le monde sait - et
l'Église l'enseigne - que les douze premiers chapitres de la Genèse ne relèvent pas de l'histoire telle que peut la construire la science historique, mais que ce sont des mythes au sens que le
terme possède chez les historiens des religions, à savoir de la mise en récit de réalités que le langage conceptuel avait du mal à appréhender à l'époque de la rédaction. Toutes les religions, et
pas seulement elles, comportent des mythes, les principaux concernant les origines et le terme du monde, c'est-à-dire des événements passés qui n'ont pas eu de témoins et des événements futurs
donc, eux aussi, inconnus. Alors que l'âge de la terre était, selon les calculs savants qu'opèrent des savants juifs à partir du texte biblique, de cinq mille sept cent soixante ans en l'an 2000,
la très grande majorité des catholiques compte l'âge du monde à partir des calculs des astrophysiciens et admet, dans l'état actuel de la science, que l'univers est vieux d'environ treize
milliards et demi d'années. Nul ne sait à partir de quand, dans l'histoire des primates, on peut parler véritablement de l'espèce humaine. Le nom hébreu Adam qui se trouve dans la Genèse signifie
« homme », et le nom hébreu Ève signifie « vivante ». Le premier couple est insaisissable, et il est impossible de parler d'un acte ou d'un geste qui constituerait le premier péché.
Pourtant, lorsque l'on ouvre le Catéchisme de l'Église catholique en langue française (édition de 1992), on peut y lire dans le chapitre consacré au péché originel: « Le récit de la chute (Gn 3) utilise un langage imagé, mais il affirme un événement primordial, un fait qui a eu lieu au commencement de l'histoire de l'homme [sic]. La Révélation nous donne la certitude de foi que toute l'histoire humaine est marquée par la faute originelle librement commise par nos premiers parents» (§ 390).
Quel catholique aujourd'hui est capable d'adhérer à ce type d'affirmation ? Ce que nous savons de l'histoire des origines permet-il de parler d'un fait précis et d'une faute qu'aurait commise un couple donné ? Depuis des décennies, des théologiens ont essayé de transformer la notion de péché originel pour la rendre plus acceptable pour des intelligences humaines nourries d'histoire et de bon sens. Ils ont parlé de « sphère de péché », de « péché du monde », tentant par là de rendre compte, en termes acceptables, d'une situation bien réelle : le fait que tout être humain est influencé par le péché des générations précédentes ainsi que par le péché de ses contemporains. Cette réalité théologique-là est incontestable, mais elle n'a aucunement besoin, pour exister, de se référer à un événement emblématique qui n'a aucune chance de s'être matériellement produit.
D'ailleurs les juifs, qui lisent le même récit de la Genèse que les chrétiens, ne connaissent pas la notion de péché originel. La doctrine telle que l'Église l'a adoptée a été élaborée par saint Augustin qui, lisant saint Paul en traduction latine, a fait un contresens sur un verset de l'épître aux Romains (Romains 5,12). Le texte de saint Paul, qui croyait en l'existence historique d'Adam, estimait que par lui la mort était entrée dans le monde et qu'elle s'y était maintenue du fait que tous ont péché. Mais saint Augustin cite l'épître aux Romains en parlant d'Adam en qui tous ont péché, ce qui constitue la base de la doctrine du péché originel, à savoir que tous les humains auraient péché en Adam. Sans entrer plus avant dans ce débat théologique complexe, il faut au moins retenir que la théologie du péché originel est à reprendre en tenant compte des progrès récents de la paléontologie. On s'étonne alors qu'un catéchisme officiel datant des dernières années du XXe siècle énonce des affirmations héritées d'époques où l'on croyait à l'existence historique d'Adam et Ève, affirmations auxquelles il est impossible pour l'honnête homme moderne d'adhérer.
En octobre 1992, le pape Jean-Paul II a reconnu devant l'Académie pontificale des sciences les erreurs de certains théologiens qui s'étaient opposés à Galilée et l'avaient condamné en 1633, preuve que l'Église peut revenir sur des prises de position appartenant au passé. On aimerait qu'elle ait le même courage vis-à-vis de doctrines qui, vu le progrès des sciences, ne peuvent plus être reçues dans leurs formulations traditionnelles, comme celle du péché originel. C'est peut-être parce que les enjeux sont très importants qu'elle n'ose pas s'y lancer. Mais une telle position est-elle longtemps tenable ?
Heureusement, la pratique corrige parfois ce que l'immobilisme dogmatique de l'Église officielle handicape. Il y a quelques décennies, on baptisait un enfant le plus tôt possible après sa naissance de peur que, s'il mourait sans être baptisé, il soit exclu du salut éternel. De ce fait la mère de l'enfant, encore en couches, n'était pas présente lors du baptême. Pourquoi cette précipitation ? Parce que le nouveau-né était entaché du péché originel et que le mal était fondamentalement en lui, avant même qu'il ait pu accomplir le moindre acte responsable. Actuellement dans la plupart des pays catholiques, le baptême est reporté à plus tard : quelques semaines, quelques mois, quelques années, et même vers l'âge où ses camarades, s'il fréquente le catéchisme, demanderont à faire leur première communion. Comme il veut la faire avec eux et qu'il faut être baptisé pour la faire, il reçoit alors le baptême en âge scolaire. Que couvre cette modification de pratique ? Tout simplement le fait que les chrétiens et leurs pasteurs ne croient plus au péché originel tel qu'il a été présenté pendant des siècles, cela ajouté au fait qu'un chrétien ayant du bon sens ne peut pas imaginer qu'un Dieu bon puisse soumettre le salut éternel de l'une de ses créatures au fait qu'elle aurait ou non reçu un sacrement décidé par sa famille. Le bon sens des fidèles compense la frilosité d'une Église qui répugne à reconsidérer sa théologie.
Voir aussi dans Ouest France --- > François Vercelletto :
Etats d'âmes