Dialogue œcuménique et communion eucharistique
Il y a quelque temps, j’ai été invité par l’Eglise calviniste de la rue Lanterne (Lyon 1er) pour l’homélie. Je n’ai pas souhaité, comme il me le demandait, présider la Sainte Cène, mais j’y ai participé. J’ai alors remarqué que, chez eux, le ministère de la prédication nécessitait plus de formation théologique que la célébration de la cène.
Je souhaite désormais, mais je n’ai encore rien entrepris en ce sens, inviter un prédicateur attaché à ce temple, pourquoi pas une dame, à prononcer l’homélie du dimanche.
Ayant en tête toute cette réflexion, je reçois cet article de l’Historien Jean Comby, prêtre de l’Eglise catholique romaine.
Dialogue œcuménique
Depuis toujours on nous rabâche que les divergences théologiques empêchent le partage eucharistique. Les responsables catholiques refusent (en principe !) l’accueil des chrétiens d’autres confessions à la communion dans l’eucharistie catholique. Beaucoup parmi les orthodoxes refusent également d’accepter les autres chrétiens à leur divine liturgie en disant que communier signifie appartenir à l’Eglise où l’on communie. Réformés et luthériens acceptent le partage de la Cène avec les chrétiens d’autres confessions. Le dialogue œcuménique peut durer éternellement si l’on attend une convergence théologique parfaite pour avancer quelque peu.
Un bon usage de l’histoire
Je pense que le travail présenté dans Discerner le corps du Christ est remarquable, sans doute un peu difficile pour passer dans le grand public, mais il ouvre de bonnes pistes pour sortir d’une impasse. En effet il propose une relecture de l’histoire qui permet de relativiser ces divergences théologiques. On ne refait pas l’histoire, - nous en héritons- et on ne demande pas aux chrétiens de devenir des spécialistes en histoire religieuse et en théologie. Mais un minimum de connaissances historiques permet une saine relativisation de ce que nous estimons parfois comme des dogmes intangibles.
Au point de départ des divisions chrétiennes du XVIe, il y a une méconnaissance de l’histoire chrétienne par les différents protagonistes. Les choses sont ainsi. Les chrétiens n’avaient pas les moyens et les outils pour comprendre sereinement la situation de l’Eglise en leur temps. Nous l’avons davantage aujourd’hui et cela peut nous aider à avoir un autre regard sur les conflits du XVIe siècle.
Du côté romain, on mettait sur le même plan tout l’héritage médiéval en lui donnant le statut de dogmes et d’institutions qui remonteraient jusqu’au Christ : le nombre des sacrements, les ministères, les indulgences, l’organisation ecclésiale, la langue liturgique, le célibat des prêtres, etc… On ne pouvait rien toucher à cet édifice, tout en admettant la nécessité de réformer un certain nombre d’abus.
Du côté luthérien-calviniste, la lutte contre les abus, le retour à l’essentiel ont invité à revenir à l’Ecriture, unique source de la foi en Jésus sauveur et à considérer comme secondaire ou sans valeur ce qui semblait les ajouts parasitaires des siècles. Un regard historique que ne pouvaient avoir les gens du XVIe siècle nous montre que les choses étaient moins simples que ne le pensaient nos ancêtres.
Certes nous atteignons Jésus-Christ par l’Ecriture, mais les Evangiles et autres textes du NT qui nous parlent de Jésus ont été élaborés pendant un demi-siècle et plus dans les communautés chrétiennes. Tout autant que le message et les paroles de Jésus assez limitées en volume (Jésus n’a parlé que pendant deux ou au maximum trois ans), ils nous reflètent un mode de vie des communautés, et leur méditation sur le message évangélique, ce qui est déjà une tradition, une première théologie. On comprend que les réformateurs aient voulu éliminer les excroissances et les abus, et revenir à l’essentiel, mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas faire comme s’il ne s’était rien passé entre la vie de Jésus et l’Ecriture, entre les textes de l’Ecriture et le XVIe siècle. La tradition recueillie par les auteurs du NT était le début d’une tradition poursuivie pendant quinze siècles.
Sans nous faire oublier ce qui est au cœur du christianisme, la foi en Jésus sauveur, un regard historique nous conduira de part et d’autre à un sain relativisme sur certaines affirmations et définitions péremptoires catholiques ou protestantes. Discerner le corps du Christ nous en donne quelques exemples: sacerdoce, sacrifice, ministère, succession apostolique, etc…
Intercommunion, hospitalité eucharistique
Les Actes de Apôtres nous décrivent la première communauté de la manière suivante : Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières (Actes 2, 42), thème de la Semaine de l’Unité 2011.Généralement il n’y pas de problème majeur pour une lecture commune de l’Ecriture (enseignement des apôtres) ce qui n’empêche pas des approches différentes. Tous les chrétiens sont d’accord sur la communion fraternelle pas forcément toujours facile à réaliser, mais la participation à de multiples associations caritatives confessionnelles ou non en témoigne.
Apparemment, seule la fraction du pain fait problème, à cause des « divergences théologiques » sur la conception de l’Eglise, des ministères, de la notion de sacrifice, de la présence du Christ dans l’eucharistie…Il faudrait attendre qu’il n’y ait plus de divergences théologiques pour participer ensemble à la fraction du pain. Les délais risquent d’être encore longs ! Et pourtant il semble bien que la fraction du pain demeure un signe essentiel de l’unité des chrétiens.
Les conceptions théologiques ont leur importance, mais la majorité des chrétiens ont peine à y entrer. Entre autres choses, les discussions sur la « présences réelle » sont souvent oiseuses. Laissons la transsubstantiation , la consubstantiation aux théologiens… Nous mangeons et buvons le corps et le sang du Christ, mais il ne faudrait pas être obligé de dire , tellement cela va de soi, que ce n’est pas le corps physique du Christ qui est partagé dans l’eucharistie.
Plusieurs, jadis comme Leibniz au XVIIe siècle et aujourd’hui ont pensé qu’il fallait poser des gestes d’unité et que l’accord doctrinal pourrait venir ensuite. C’est pourquoi, me semble-t-il, il ne s’agit pas directement de faire des célébrations communes mitigées, mais il faudrait que les chrétiens de chaque confession participent de temps à autre à l’eucharistie ou à la Cène des autres. Chaque confession a son héritage de plusieurs siècles et tient à ne pas l’abandonner. Participer à la célébration d’une autre communauté chrétienne, c’est mettre en pratique la demande de Jésus : « Faires ceci en mémoire de moi » et la fraction du pain des premières communautés. C’est reconnaître l’expression de leur foi tout en admettant nos différences sur certains points. C’est reconnaître que nous sommes frères et soeurs en une Eglise qui dépasse les limites des différentes confessions chrétiennes.
Jean Comby, octobre 2011