L’Église doit avoir des lieux de "bienfaisance", où elle puisse manifester efficacement, mais en toute gratuité et désintéressement l’amour du Christ pour les gens
Disons-le encore, il n’y a pas de nouvelle évangélisation, car l’évangélisation est constante. Il ne peut y avoir qu’un renouveau de l’évangélisation. « Le chantier de l’évangélisation, constamment à reprendre, dois conduire à inventer une nouvelle manière d’être Église », sous-titre La Croix.
Vatican Benoît XVI ouvre le synode sur la nouvelle évangélisation
Dans ce qui se lit et dit à l’occasion du synode pour la nouvelle évangélisation, il semble que nous pouvons constater l’accord sur la permanence du devoir d’évangéliser. « Nouvelle évangélisation » ne serait qu’une façon de s’exprimer issue de quelques bureaux « romains ».
A mon sens, il y aura évangélisation du Monde dans la mesure où les chrétiens, les membres de l’Église et leurs cadres rattrapent les 200 ans de retard, selon la déclaration de Mgr Martini.
Parlons autrement. Il y a évangélisation quand l’Église se prononce nettement, par exemple, en faveur de la vie simple et sobre selon l’Évangile. Toute créature connaît des limites. Il est illusoire de prétendre que l’homme puisse les dépasser indéfiniment et infiniment. « Que sert donc à l'homme de gagner le monde entier, s'il ruine sa propre vie ? » (Mt 8, 36). Il y a évangélisation quand l’Église interroge radicalement et le libéral en économie et le libertaire dans les mœurs. Ne voyons-nous pas trop souvent de vives remises en cause des comportements libertariens et une petite mise en garde d’attitudes libérales économistes ? L’économisme et le pouvoir de l’argent est tellement présents dans le gouvernement de l’Église que les détenteurs de pouvoirs, alors que nombreuses sont les recommandations à se détacher du libéralisme, en arrivent à dire que si l’Église a condamné le communisme et le socialisme, elle s’accord du libre marché.
Je prends un autre exemple. Il y a aura évangélisation quand les chefs de l’Église s’habilleront de vêtements simples et non de ceux qui plongent leur origine dans la cour de Justinien.
Henri-Jérôme GAGEY, explique à Dominique GREINER et Martine de SAUTO que « désormais, nous vivons dans un monde postchrétien ». On reconnaît la valeur d’un humanisme qui puise dans l’Évangile ; mais on rejette « la gangue dogmatique et autoritaire » due aux exigences de l’Institution. Le christianisme, l’attachement au Christ, à sa Bonne Nouvelle et à sa Résurrection étant devenu étranger à notre civilisation marchande courant vers un progrès illusoire (Mammon, dieu capital), « la nouvelle évangélisation consiste… à inventer une nouvelle manière d’être Église qui puisse être signifiante dans ce nouveau cadre », exprime Henri-Jérôme GAGEY. « Une tâche complexe et de longue haleine qui dépasse de loin l’application de quelques consignes simples à laquelle certains voudraient réduire la nouvelle évangélisation ».
« Dans l’Évangile, le Christ ne fait pas qu’annoncer de manière explicite le Royaume de Dieu. Il est aussi – d’abord ? – celui qui passe en faisant du bien et pose les signes efficaces du Royaume qui vient. C’est pourquoi l’Église doit avoir des lieux de « bienfaisance », où elle puisse manifester efficacement, mais en toute gratuité et désintéressement l’amour du Christ pour les gens.
Jésus est également celui qui appelle certains – certains, pas tous – à le suivre. L’Église doit en conséquence avoir aussi des lieux d’appel et d’initiation où les fondamentaux de foi seront présentés de manière vigoureuse.
L’Église n’a-t-elle pas aussi un rôle critique à jouer dans la société ?
Henri-Jérôme Gagey : Effectivement, Jésus est aussi celui qui, sans craindre la polémique, engage le débat avec les docteurs qui interprètent la Loi. Les disciples du Christ doivent à leur tour engager le débat critique avec les nouveaux docteurs de la loi, aussi bien avec ceux qui, dans l’Église elle-même, interprètent la volonté de Dieu qu’avec ceux qui, en dehors de l’Église, sont les promoteurs de diverses sortes d’humanisme.
Quel est le grand défi que doit relever l’Église en ce début du XXIe siècle ?
H-J G. : Aider les chrétiens à vivre leur foi au quotidien dans la postmodernité. L’homme postmoderne est fragile, soumis au jeu d’influences extrêmement puissantes face auxquelles il se sent démuni pour se poser en sujet responsable de son existence.
D’où l’importance de proposer une vie chrétienne éminemment personnalisante, qui permette à la personne de se redire à quoi elle croit, devant quoi elle s’incline, à quoi elle tient, et pourquoi elle est capable, le cas échéant, de donner sa vie.
Mais si nous sommes assez capables, aujourd’hui, de promouvoir des mouvements de « réveil de la foi » – dont nous avons le meilleur exemple dans les JMJ –, nous ne savons pas bien donner aux chrétiens l’équipement nécessaire pour vivre leur foi au quotidien.
L’Église peut-elle trouver dans la culture postmoderne des points d’appui pour la nouvelle évangélisation ?
H-J G. : Le point d’appui massif, c’est qu’elle se présente comme une culture de l’amour. Aucune époque de l’histoire de l’humanité n’a réalisé au point où nous le faisons aujourd’hui que l’amour est ce qui donne du poids à l’existence. Les films, les chansons, les romans ne parlent que de ça.
Mais nous ne pouvons pas nous contenter de dire à nos contemporains « Aimez-vous les uns les autres ». Ils savent en effet que l’amour est fragile et pervertissable. Ce dont nous avons besoin avec eux, c’est ouvrir, avec les ressources de l’Évangile, des chemins qui rendent l’amour possible et fécond ; des chemins pour surmonter la désillusion, la déception ou le mensonge.
L’homme postmoderne est toujours en quête de spiritualité. N’y a-t-il pas là un autre point d’appui dans la culture contemporaine ?
H-J G. : Tout à fait. La postmodernité a une dimension proprement mystique. Nous vivons dans une société où il est de plus en plus évident que vivre, « c’est marcher sur les eaux ». Chacun de nous s’engage dans la vie en vertu de promesses, d’appels et d’encouragements reçus. Nous passons notre temps à croire en la parole de l’autre, à prendre des risques sur elle, à oser donner notre propre parole…
Tout ça, nous le faisons sans appui, comme l’oiseau vole les ailes déployées porté par l’air qu’il ne voit pas. Mais qu’il replie ses ailes, il tombe comme une pierre. Le vide qui le portait l’aspire.
La mystique, c’est la découverte que ce qui nous paraît absolument vide est en fait rempli par l’Esprit. Accepter de vivre à l’épreuve du vide suppose d’apprendre à ouvrir les bras, comme le Christ.
Voilà le défi : les lieux où nous nous réunissons sous le signe de la Croix sont-ils des lieux où nous apprenons à marcher sur les eaux, à voler dans le vide ?
Recueilli par Dominique GREINER et Martine de SAUTO