La lettre de décembre de Robert
Robert Beauvery
18, rue Sœur Bouvier
69005 LYON
Lyon, décembre 2010
Aux frères et sœurs, amis et membres de communautés religieuses…
Ainsi qu’aux internautes inconnus …
Vous acceptez, depuis bientôt deux ans, d’intercéder auprès de Dieu
Afin que je porte l’épreuve du cancer humblement, évangéliquement
Un grand merci !
Vos messages, écrits ou téléphonés me sont bienfaisants
Quelqu’un d’entre vous m’invite à modifier la formule « priez pour moi » en « priez avec moi et moi avec vous » qui a le mérite de souligner davantage la communion solidaire dans le Corps du Christ dont nous sommes les membres. Merci.
EVOLUTIONS :
Après les premières semaines de soins, je ressens les premiers bienfaits de la thérapie et j’expérimente quelques facilités au travail intellectuel ; cependant, je n’ai pas recouvré suffisamment d’autonomie pour vivre seul.
EDUCATION SUR LE TAS : UNE ECOLE D’HUMANITE…
Une patiente allongée sur un lit spécial qu’on ne voit pas ailleurs, accompagnée de brancardiers et de proches, passe devant moi. Je suis assis en attente de la consultation qui établit le taux hebdomadaire de la chimio prochaine. Je la regarde et je lui souris aussitôt. Elle me regarde, à son tour, et ne me sourit pas. Cependant, elle continue à me regarder attentivement comme si des questions se posaient, dont elle chercherait les réponses : qui est cet homme ? me connaît-il ? pourquoi me regarde-t-il en souriant ?...
Puis, soudain, elle commence un sourire, simple et ineffable, comme si les questions avaient sinon trouvé réponses ou ne se posaient plus ; un sourire continu, interrompu seulement quand les deux battants de la porte se sont rabattus l’un vers l’autre après le passage de son lit. Quand nous n’avions plus la possibilité d’apercevoir nos sourires échangés… Où partait-elle ? en soins intensifs ? en chirurgie ? je ne sais. Temps de sourires, temps de grâce, temps de célébration ou sacrement du frère…
Temps qui appellent re-lecture. Nous sommes dans un même lieu, affrontés à la même maladie, pris en charge par le même personnel… un lieu saint même si tous n’en n’ont pas une claire vision, comme ce fut le cas de Jacob, lui aussi en voyage de survie, avant qu’il n’ait la révélation nocturne de la sainteté de cette terre où il bivouaquait : « Ce lieu était saint… et je ne savais pas » Cf. Gn.28, 10-17 et Jn. 1,51.
Découvrir que l’ensemble de l’hôpital est un lieu saint – et pas seulement une de ses parties spécifiques, le lieu du culte réservé principalement aux fidèles, élargit considérablement le regard sur l’invisible des lieux humains. Donner un regard et un sourire à une personne inconnue, mais en proximité de le faire humainement, relève, pour moi, d’un acte évangélique de proposition de la paix, celle qui vient d’En-Haut : « dans quelques maisons que vous entriez – et aucun motif n’est exclu ! – dites d’abord – il y a donc une proximité ! – Paix à cette maison » Cf. Lc. 10, 5ss.
Certes, je n’ai adressé, par impossible, aucune parole à cette patiente, mais mon regard et mon sourire étaient chargés et comme missionnés pour lui proposer la paix, l’acceptation lente de mon sourire et son retour simple, ineffable, ininterrompu me laisse à penser qu’elle est une femme de paix et que la paix transmise par une disciple de Jésus, repose sur elle, cf. Lc ib.
CONCLUSION :
J’apprends que l’intérêt pour l’autre, quel qu’il soit, passe d’abord par le regard : il peut être véhiculé de paix partagée… sans parole, sans apprivoisement mutuel, sans rite convenu.
Aidez-moi, aidons-nous, à évangéliser le regard, à l’imitation de CELUI « qui regarde et que aime » Cf. Mc.10,21.
A tous bonne approche de Noël. Merci.
Robert Beauvery
APPENDICE :
Plusieurs d’entre vous se soucient – et je leur en sais gré – de mon décès et des funérailles. Qu’ils soient tous rassurés ! Le diocèse de Lyon publie dans la Presse locale et La Croix, l’annonce de la mort de chacun de ses prêtres ainsi que lieu et date de la cérémonie, en temps opportun. Quant à moi, le premier intéressé, les pensées funestes n’occupent pas le champ de conscience, non par stoïcisme mais par fidélité : le maître des novices des prêtres du Prado, le Père CHAIZE nous a laissé un message écrit au dos d’une enveloppe récupérée, deux ou trois jours seulement avant sa mort accidentelle sur la route : « FAIRE TOUT COMME SI CELA DEVAIT DURER ET ÊTRE PRÊT A PARTIR DEMAIN » un vrai testament spirituel. Cf.Mt.25, 45-46. J’essaie d’y être paisiblement fidèle avec votre aide fraternelle.