La parole entre les hommes au cœur de la démocratie

Publié le par Michel Durand

A cause des journées du patrimoine qui demandent un grand temps de présence dans l'église Saint-Polycarpe, je n'ai pas pris le loisir d'ouvrir mon blog. J'ai pourtant beaucoup à dire, soit personnellement, soit avec les textes que l'on me transmet. 

Ce soir, quand même, voici la Chronique hebdomadaire de Bernard Ginisty du 10 septembre 2012

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 Dans la période de crise que traversent nos démocraties, la tentation permanente de croire qu’un homme providentiel ou une administration bienveillante pourrait être la solution est toujours présente. Peut-être faudrait-il enfin que nous acceptions d’être des acteurs dans une démocratie qui ne peut vivre que du travail de chacun et de chaque jour à donner du sens au vivre ensemble.

L’histoire  philosophique de l’Occident commence non par le traité d’un penseur en chambre, mais par les « Dialogues » de Platon mettant en scène des points de vue différents autour de la vie et de la mort de Socrate. Il en est de même du Christianisme. Jésus n’a rien écrit, mais sa vie et sa mort ont conduit à des paroles diverses qui  s’expriment dans les premiers textes chrétiens. Deux des  grands moments de la culture occidentale trouvent leur origine dans la confrontation de points de vue à partir de la vie et de la mort d’hommes perçus comme exceptionnels. Ceux-ci se risquent, jusqu’à l’extrême, à la confrontation avec l’autre, préférant être victimes de la violence que de l’exercer. Depuis lors, des pouvoirs politiques et religieux n’ont cessé de chercher à clôturer l’expression de ces ébranlements à travers des systèmes ou des dogmes. A l’appel à la responsabilité de devenir sujet de sa parole dans un échange allant du dialogue à l’amour, les pouvoirs tentent de substituer  des savoirs clos qui  justifient l’existence de leurs institutions.

Nous sommes là au cœur de la problématique de la démocratie. L’égalité de la « voix » de tous dans le débat public, quel que soit son  niveau de richesse ou de savoir, (c’est le sens du suffrage universel non censitaire, que le cens soit la richesse ou le diplôme) fonde la démocratie. Chaque point de vue est reconnu comme ayant une valeur a priori. Non, pas valeur en termes d’expertise, mais de capacité de sens. Ce qui suppose un rapport non violent entre les humains.

Pour le philosophe Emmanuel Levinas, l’acte fondateur de la possibilité de penser c’est le « tu ne tueras pas » de la Bible. On ne discute pas pour arrêter la violence, car la discussion est impossible tant que règne la violence, mais on décide d’arrêter la violence pour ouvrir un espace à la parole. Tous nos projets humains sont seconds par rapport au don de naître, toute pensée est seconde par rapport à la décision de ne pas tuer l’autre. La vie spirituelle consiste essentiellement à lutter contre l’oubli de ces ouvertures premières pour permettre à chacun de risquer sa parole propre dans l’espace public.

Affirmer que chaque être humain est porteur de signification  ne veut pas dire que tout se vaut et qu’il suffit d’une vague tolérance pour que vive une société. Il s’agit d’un engagement, parfois difficile, dans la confrontation avec l’autre. C’est pourquoi, la question de l’éthique de la discussion dépasse toutes les techniques qui font les beaux jours des organismes de formation. Elle constitue le socle politique et spirituel de personnes ayant renoncé à la violence pour surmonter leurs conflits et décidées à inventer ensemble un espace public plus humain.

 

 

Publié dans Témoignage

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