La prière donne un regard prophétique pour voir ce qui est en train de naître
J’ai publié sur ce blog plusieurs pages à propos de Joseph Moingt.
Vous pouvez les retrouver avec le moteur de recherche qui se trouve dans la marge de gauche, en dessous de l’indication des commentaires. dans la case : tapez Joseph Moingt
Je reçois cette feuille de Bernard Ginisty, ses chroniques hebdomadaires. Vous comprenez que je vous en offre la lecture.
Le temps de Carême nous
invite au « combat spirituel ». La tentation permanente des religions est de transformer ce combat qui traverse chaque être humain, en lutte des « bons » contre « les méchants » ou entre «
la vérité » et « l’erreur ».
Dans son ouvrage, d’une brûlante actualité, intitulé « Croire quand même. Libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme » (1), le grand théologien jésuite Joseph Moingt témoigne, à plus de 95 ans, de l’actualité et de la vitalité de ce combat. Dans l’Évangile, l’adversaire est désigné par l’expression « le monde » qu’il définit ainsi : « c’est la tendance de l’univers à de replier sur lui-même. Le monde, c’est la force d’inertie, la répétition du même, le chacun pour soi, le plus possible de biens et de jouissances pour moi aujourd’hui et tant pis pour les autres et tous ceux qui viendront après nous. C’est ce qui détourne mon regard du pauvre qui est là » (2). La voie pour cette libération du « monde » passe par la prière dont le sens, écrit-il, « n’est pas de demander à Dieu d’intervenir pour faire ce que je ne peux pas faire. La prière, c’est le silence qui nous permet de nous imprégner de la gratuité de Dieu. (…) La gratuité qui nous détache de nos a priori, de nos intérêts, de nos idées toutes faites et qui ouvre notre regard (…) Oui la prière peut nous donner un regard prophétique pour voir ce qui est en train de naître ». (3) Cette prière tend à « nous délivrer du mal » que Joseph Moingt caractérise ainsi : « le mal est l’égoïsme qui provoque le repli de l’individu sur son moi superficiel et qui l’empêche et le détourne d’accomplir son humanité profonde dans l’ouverture aux autres » (4)
Dès lors, si le temps du Carême invite à la « conversion », c’est d’abord à la nôtre : « Si on veut « rechristianiser » la société, et si on ne veut pas se payer de mots, il faudrait commencer par évangéliser bien des baptisés : l’initiation à l’Évangile prendra le pas sur le rite dans le parcours sacramentel ». (5) Pour Joseph Moingt, « Jésus n’a légué à ses disciples ni rituel ni code législatif ni corpus doctrinal ni enseignement écrit, rien qu’ils n'auraient plus qu’à répéter et qu’ils devraient immuablement conserver – rien que la perpétuelle nouveauté d’une Bonne Nouvelle à annoncer, son « Évangile», illustrée par des paraboles à déchiffrer inépuisablement » (6).
L’Évangile ne cesse de nous dire que la vie spirituelle ne se réduit pas à la tranquille possession de certitudes enseignées par des clercs ou à l’appartenance à des institutions qui définiraient les frontières entre les élus et les autres. Elle s’incarne dans l’amour inconditionnel et universel. Joseph Moingt conclut son ouvrage par ces mots « Du jour où ma foi ne serait plus, mettons, que le désir d’une vie après la mort, alors là je la laisserais sans doute s’effondrer… Je n’ai pas envie de me faire un petit coin de paradis pour moi tout seul, ou avec quelques-uns, quelques gens du passé, dont les trois quarts de l’humanité, seraient exclus » (7).
(1) Joseph MOINGT : Croire quand même. Libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme. Éditions Temps Présent, 2010. Joseph Moingt est né en 1915. Ancien professeur de théologie à l’Institut Catholique de Paris, ce jésuite a dirigé pendant plus de trente ans la revue Recherches de Science Religieuse.
(2) Id. page 230
(3) Id. pages 232-233
(4) Id. page 216
(5) Id. page 190
(6) Id. page 58
(7) Id. page 243