Regards sur le monde au nom du Christ, 2 - : À propos du remariage

Publié le par Michel Durand

Mgr Francis Deniau, Un évêque en toute bonne foi, Fayard, avril 2011

mgrdeniau

Témoignage déjà publiés :

1 - Mai 68 comme une expérience spirituelle

 

Comme je l’ai dit il y a quelques jours, je vous propose divers textes qui m'ont particulièrement touché parce qu'ils sont liés à des personnes et des situations que je rencontre ordinairement dans mon travail pastoral. Textes qui correspondent bien à mon ressenti. Mais, bien évidemment, lire l'ensemble de l'ouvrage est largement préférable.

La sélection ici proposée se présente sous la forme de témoignages. Rencontre avec la pensée de Mgr Francis Deniau.

À propos du remariage p. 39ss

Le Premier Testament nous rappelle que Moïse, en sage législateur, a prévu que, en cas de séparation, l'homme manifeste socialement que son ex-femme est libre, pour qu'elle puisse reconstruire sa vie, alors que si la femme reste dans une situation floue, elle risque d'être délaissée par tous et condamnée à mourir de faim. Aussi, Moïse impose à l'ex-mari de lui écrire une lettre de divorce. Interrogé par les pharisiens, Jésus évoque la « dureté de cœur » des hommes qui serait à l'origine de cet aménagement de la loi : « C'est en raison de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes. »

À propos de la répudiation de la femme par le mari en milieu juif, Jésus dit : « Ce que Dieu a uni, l'homme ne doit pas le séparer », et il ajoute : « Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre commet un adultère à son égard » (Matthieu 19, 1-12). Jésus se réfère non pas au commandement donné par Moïse de rédiger un acte de divorce qui permettra à la femme de se remarier et de vivre, mais au récit de la Genèse, dans lequel la relation homme-femme apparaît bien comme un don de tout l'être et un don de toute la vie.

Jésus estime que la « dureté de cœur » peut être surmontée. Au travers de sa parole, il nous dit le projet de Dieu pour la relation entre les hommes et les femmes. Cela a un sens profondément constructif pour les couples humains. L'Église doit honorer, mettre en œuvre la parole de Jésus sur l'union des hommes et des femmes. Le mariage engage pour la vie. C'est pour cela que le remariage est impossible dans l'Église catholique.

Jésus tient la parole du sens, mais, en même temps, on voit bien qu'il ne cesse d'accueillir les gens dans toutes les situations humaines en Judée, en Galilée, à Jérusalem. Il ne condamne pas la femme adultère, mais l'invite à sortir du péché. Il parle avec la Samaritaine de ses cinq maris et de l'homme avec lequel elle vit sans être mariée. L'accueil de Jésus est sans limite.

L'Église doit aussi rendre témoignage de cet accueil de Jésus, qui signifie la confiance, l'estime et l'espérance de Dieu pour tout homme et toute femme, où qu'ils se situent dans leur vie, dans leur itinéraire, et quelles que soient les questions qui peuvent se poser à eux. L'Église a toujours eu beaucoup de mal à tenir à la fois ce discours du sens et cette parole d'accueil de chacun.

Alors, comment faire ? L'Église, en Occident, a mis l'accent sur la parole du sens de Jésus. Elle en a tiré des conséquences institutionnelles par rapport au mariage qui l'ont amenée à refuser le divorce et même, en situation de chrétienté, à refuser toute législation civile sur le divorce. La sortie de chrétienté a heureusement fait émerger une législation du divorce (même si, dans des circonstances historiques, l'Église s'est battue contre cette évolution). Néanmoins, l'Église continue, à juste titre, à être attachée au discours qu'elle tient sur le mariage religieux et sa dimension sacramentelle.

Aujourd'hui, elle se trouve confrontée à la multiplication du nombre de divorcés remariés. Elle est mise au défi de les accueillir, mais je dois reconnaître qu'elle ne sait pas très bien le faire. Sans doute aurions-nous à apprendre de la tradition orientale, qui tient bien la dimension symbolique et sacramentelle du mariage, tout en étant nettement plus souple.

L'Église d'Orient a joué différemment en portant témoignage de la parole de Jésus, mais en n'en tirant pas les mêmes conséquences institutionnelles. Pour les orthodoxes, il y a bien un seul mariage sacramentel dans la vie d'une personne, parce que ce mariage revît la dimension symbolique et chrétienne qui s'enracine à la fois dans le récit de la Genèse et dans la parole de Jésus, mais l'Église se permet de célébrer des mariages non sacramentels (en cas de veuvage ou de divorce), du moins une fois, au-delà du mariage sacramentel. Ce second mariage n'a pas la même signification symbolique et sacramentelle que le premier. Il n'y a pas pour autant dévalorisation du mariage religieux.

Rien n'est simple ! L'Église ne peut pas célébrer un second mariage après un divorce, mais elle peut accompagner les couples en évitant toute célébration qui serait un pastiche du mariage. Ces dernières années, il y a eu autour de moi un certain nombre de mariages civils de personnes divorcées dont je me suis réjoui, car ces mariages - contractés par des paroissiens que je connaissais bien - ne me semblaient pas contraires à l'appel de Dieu. Si je m'en suis réjoui, c'est sans doute que c'était là un bien et non un mal !

 

La communion des divorcés remariés

 

Une autre question est celle du sacrement de réconciliation et de la communion des divorcés remariés. N'oublions pas qu'un premier mariage peut être vécu très loin de Dieu et que la découverte de la foi peut se faire dans un deuxième temps, avec un autre conjoint, dans la construction d'un deuxième couple. Cela peut amener certaines personnes à demander le baptême. Il est paradoxal que cette découverte ne puisse déboucher sur une pleine participation à la vie de l'Église. Dans un certain nombre de cas, je n'ai pas vu comment, en tant qu'évêque, j'aurais pu leur refuser le baptême sans être infidèle à l'accueil du Christ et à la tradition des conciles.

Outre les pratiques de l'Église d'Orient, nous devons nous inspirer des conciles du Ille siècle en Afrique du Nord. Ces conciles ont joué un rôle fondateur en ce qui concerne le sacrement de réconciliation. Certains ont estimé que ceux qui avaient renié la foi au moment des persécutions ne pouvaient plus être réconciliés, qu'ils devaient rester toute leur vie des chrétiens en marge de l'Église. Les évêques se sont élevés contre cette tentation rigoriste d'exclusion. L'Église catholique a jugé qu'elle avait la mission de célébrer avec ces personnes la réconciliation, de les admettre à la pleine communion ; que, cette situation ne correspondant pas à un « péché irrémissible », elle ne pouvait se contenter de traiter de lapsi (chrétiens « tombés », apostats ou pécheurs) ceux qui avaient renié la foi ; qu'elle ne pouvait les laisser à la miséricorde de Dieu sans qu'elle-même fasse le moindre geste de miséricorde.

Il me semble que cette réflexion ancienne devrait être incluse dans l'analyse de la situation actuelle des divorcés remariés. Même si la décision prise par ces divorcés de s'engager dans un second mariage peut être contestée, on ne peut pas les enfermer dans cet état comme s'il s'agissait d'un « péché irrémissible » (au sens des conciles africains du Ille siècle). On m'objectera que ce n'est pas un péché commis dans le passé, mais leur vie de couple actuelle qui est « calamiteuse ». Selon moi, cette objection ne tient pas. D'une part, je considère que le divorce n'est pas nécessairement un péché et, d'autre part, je ne crois pas que leur vie de couple d'aujourd'hui soit réellement un obstacle. Je ne crois pas non plus que l'invitation faite aux divorcés de s'abstenir de relations sexuelles pour pouvoir communier soit humainement significative et tenable.

Même si l'Église ne peut célébrer un deuxième mariage, elle devrait néanmoins pouvoir le reconnaître (à la manière des Églises d'Orient ou d'une autre façon). L'accueil des divorcés remariés au sacrement de réconciliation et à la communion reste à construire. Au IIIe siècle, l'accès au sacrement de réconciliation était précédé d'un stage pénitentiel (un peu l'équivalent du catéchuménat pour les futurs baptisés). On pourrait réactualiser cette pratique.

Nous avons à inventer de nouvelles manières de vivre la double exigence qui s'impose à l'Église : porter une parole de sens constructive pour les couples et accueillir les personnes quelle que soit leur situation matrimoniale. Cette double exigence est par nature difficile à tenir, mais elle doit être notre guide.

L'Église n'est pas le fan-club de Jésus ou l'association de défense des intérêts des croyants. La foi chrétienne n'est pas la mémoire d'un mort, mais celle d'un vivant ! L'Église n'est rien d'autre que la communauté rassemblée dans la mémoire vivante de la « liberté dangereuse de Jésus. ».

Dans un livre difficile (Être chrétien), Hans Küng a pu écrire avec justesse : « La seule originalité du christianisme, c'est Jésus ! » J'ai envie de dire à mes contemporains : « Croire, ce n'est pas toujours ce que vous croyez ! »

Même si je suis d'un naturel un peu réservé, je n'hésite pas, à la fin de chaque office, de chaque réunion ou de chaque célébration publique, à aller au-devant des autres. Surtout, par ma fonction, je rencontre des personnes très diverses. Ainsi, je suis confronté quotidiennement aux grandes questions que se posent légitimement les catholiques et bien d'autres. Mais, à la différence des hommes politiques, je n'ai pas de promesses électorales à faire, si ce n'est la promesse du Christ !

Publié dans Témoignage

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article