Savoir renoncer devant la mort, à la pérennité de nos œuvres, de nos pensées, de nos amours… c’est forcément le fruit d’un long combat intérieur

Publié le par Michel Durand

Dimanche dernier je me trouvais à l'abbaye de Tamié

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En voici l'homélie dont j'aime bien l'accroche dans l'actualité. Tant pour le développement économique que pour sa vie intime, on ne veut plus de limites. Mais la mort est là et marque une inévitable limite. Une fin pour un Autre éternel.

 

5e dimanche de Carême B

« Le miracle grec »

Jérémie 31,31-34,   Hébreux 5,7-9    Jean 12,20-30

 


A il Magnifico s.j.

 

Qui oserait, par les temps qui courent, parler encore de miracle grec ?

Qui oserait penser à l’énorme dette… enfin, je veux dire, à tout ce que nous leur devons, aux Grecs : la philosophie, la science politique, la culture…

Bref, tout ce que l’on a appelé précisément « le miracle grec » ?

Toutes ces richesses, certes immatérielles, mais qui méritaient mieux que d’être foulée aux pieds, hier, par la dictature des colonels et, aujourd’hui, par la tyrannie anonyme des salles de marché…

Que restait-il donc de ce miracle grec avant la crise que nous traversons ?

Une politique digne de ce nom ?

Un avenir pensé pour l’homme ?

Ou survivions-nous, déjà, drogués au surendettement par ceux qui délocalisent l’économie réelle de nos pays vers d’autres colonels, d’autres populations asservies, et d’autres paradis fiscaux, pour se faire toujours plus d’argent ?

Au temps de Jésus, six siècles après ce miracle de la pensée venu de chez les Grecs, on en trouve quelques-uns parmi les pèlerins qui montent à Jérusalem pour la Pâque !

En chemin, c’est évidemment vers Philippe qu’ils se tournent, parce qu’il porte un très joli prénom… grec !

C’était à la mode, à l’époque, même pour des juifs de Bethsaïde, dans ce carrefour des nations qu’était devenue la Galilée…

Et Philippe va le dire à André, l’autre « grec », jamais a court de provisions… surtout de petits

pains que Jésus distribue largement ! A deux, ils se sentent plus à l’aise pour oser déranger leur maître ! Peut-être étaient-ils plus spontanés, plus abordables, aussi, que Simon, le frère d’André ou les fils de Zébédée ? Car ils proposaient volontiers à tous ceux qui désiraient voir Jésus, de les conduire jusqu’à lui...

Peut-être, encore, avaient-ils mieux compris que d’autres l’universalité du salut que Jésus avait proclamée en disant: « J’attirerai tout à moi… »

Or, plus les foules désiraient voir Jésus, et plus ses disciples les conduisaient à lui… plus il se dérobait.

Étonnant, non ?

Mais si Jésus se dérobe ainsi à la vue de chacun, c’est parce qu’il veut d’abord qu’on l’écoute, qu’on le croit sur sa Parole… et sur le témoignage de ceux qui ont cru à sa Parole. Qu’on l’écoute parler du Fils de l’homme qui sera élevé de terre sur une croix, en remontant de l’abîme vers Celui dont les cieux proclament la gloire.

Il n’est pas dit, remarquez bien, que le firmament nous la montre, cette gloire de Dieu, il est dit qu’il nous la raconte…

Un beau coucher de soleil, même sur la mer, ne sera jamais qu’un beau coucher de soleil ! Il peut être aussi lumineux qu’une Transfiguration, il est tout aussi éphémère... On ne peut pas le retenir pour s’installer devant, et y dresser sa tente…

Non ! La gloire de Dieu n’est pas un beau cliché, même surexposé !...

C’est un récit : l’effroyable récit de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, selon l’expression du poète Charles Péguy.

Le combat pathétique du Messie pour être sauvé de cette heure… et puis le sacrifice du soir auquel il a finalement consenti dans un grand cri et dans les larmes, et la blessure de son propre cœur… ouvert pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

Comment imaginer que le salut puisse s’accomplir dans la défaite ?

Que la toute-puissance de Dieu puisse être aussi catastrophique ?

Que des siècles d’histoire sainte aient abouti à la mort de celui qui devait tout sauver ?...

Parce que la destinée de l’homme ne se joue pas entre la vie et la mort… comme si nous avions le choix ! La mort n’est pas une illusion. Elle survient… pour chacun…

Et la foi ne dispense de rien. Le Christ lui-même est mort et ce ne fut pas paisiblement. C’est même pour l’attester qu’on l’a élevé sur une croix.

Mais savoir renoncer devant la mort, à la pérennité de nos œuvres, de nos pensées, de nos amours… c’est forcément le fruit d’un long combat intérieur…

CROIRE qu’il y a quelque chose d’éternel dans nos existences, CROIRE en la vie éternelle, tout simplement !

Que notre avenir est déjà là, du côté de ce qu’il y a d’éternel dans notre vie de tous les jours : dans ce que nous sommes, en vérité, dans les actes qui nous qualifient, et dans la foi en Jésus-Christ, mort et ressuscité.

Sa lumière va s’éteindre, mais c’est pour éclairer !

Et il faudra qu’il aille jusqu’au silence pour nous dire, enfin, quelque chose de lui.

Dites-moi :

Si le Fils ne s’était pas livré… le Père aurait-il su qu’il était Père ? Quel coup de tonnerre, en tout cas !

 

F. Philippe Hémon

Abbaye de Tamié

25  mars 2012

 

 

 

 


Publié dans Témoignage

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