L’acte caritatif, humanitaire engage toujours une orientation politique fondamentale. Le désir d’une vie sobre

Publié le par Michel Durand

L’acte caritatif, humanitaire engage toujours une orientation politique fondamentale. Le désir d’une vie sobre

Sans action politique proprement dite, Antoine Chevrier opte pour des modes de vie qui engage la vie sociale et ont ainsi des répercussions politiques. Dans son accueil des pauvres enfants et adolescents au Prado, il s’est toujours refusé de faire travailler les enfants comme cela se faisait dans les couvents ateliers de l’époque.

Dans le domaine du politique, que dire d’Antoine Chevrier ? Certes, il n’a jamais fait de politique ; il n’a développé aucune théorie qui invite à un changement de société. Il semble même qu’il n’avait pas connaissance de ses contemporains agitant ce genre de questions. Alors qu’il entre au petit séminaire de l’Argentière en 1843, a-t-il entendu parlé de Proudhon venu à Lyon pour travailler dans une grande maison de transports fluviaux, découvrant ainsi le grand commerce, la grande banque et les grandes entreprises ?

En 1846, Antoine Chevrier entre au grand Séminaire qui, à l’époque, se trouvait dans le quartier de l’industrie de la soie, Place Croix-Paquet, au milieu des commerçants en soie et des Canuts. Les révoltes de ces derniers ne pouvaient être ignorées.

L’acte caritatif, humanitaire engage toujours une orientation politique fondamentale. Le désir d’une vie sobre

Marqué par des modes de vie populaire

En fait, nous ne pouvons pas oublier qu’Antoine Chevrier est né de parents venus à Lyon par attrait de la grande ville. Sa vie, note Pierre Berthelon dans l’introduction du Véritable Disciple, « porte l’empreinte du monde où il est né et qui l’a formé. C’est le fils unique de petites gens, des laborieux, désireux de monter dans l’échelle sociale. Milieu porté à se mettre du côté de l’autorité qui fait régner l’ordre favorable à ses ambitions plutôt qu’à se solidariser avec les révolutionnaires, mais milieu populaire ; et Antoine Chevrier gardera toute sa vie un fond de mentalité populaire ». C’est sans doute cet état d’esprit issu du peuple qui l’orienta vers des chemins différents de ceux que Madame Chevrier aurait voulu qu’il prenne à l’intérieur même de son sacerdoce. Ainsi, note Pierre Berthelon, « ses conceptions économiques sont aux antipodes de celles de ses concitoyens, il ne veut pas avoir de revenus et n’a pas la religion du travail. Il veut que, dans sa chambre, tout parle de la pauvreté de Bethléem, tandis que ses concitoyens préféraient, dans des maisons sans allure extérieure, trouver un intérieur confortable et esthétique. Il ne veut pas se lancer dans la construction d’églises grandes et riches, pendant que ses confrères, avec leurs paroissiens, n’hésitaient pas à faire démonstration de richesse pour manifester leur piété ».

Nous pouvons voir dans cette option de pauvreté et de vie sobre, un engagement qui marque une orientation politique : choix d’un mode de vie qui ne coupe pas des plus pauvres, des gens qu’il a connu une fois quitté la place Bellecour et franchi le pont du Rhône pour se rendre dans le quartier de la Guillotière livré à la toute nouvelle industrie chimique et attirant les ouvriers les plus misérables. Il a l’audace, souligne Pierre Berthelon, de « s’affranchir d’un style de relations humaines dites convenances ecclésiastiques ».

Sachant cela, nous comprenons qu’il puisse écrire dans son Véritable Disciple, page 316 :

« Comme l'argent tente ! comme il fait envie généralement et qu'il est difficile de ne pas faire quelque faute de ce genre, de ne pas imiter Judas : "combien me donnerez-vous et je vous le livrerai" (Mt 26,15), donnerai ?

Avec quelle vigueur Notre Seigneur chasse les vendeurs du Temple; c'est un péché qui afflige grandement son cœur, il faut retrancher des choses saintes tout ce qui sent l'argent, le commerce, le trafic.

N'est-ce pas souvent pour punir notre avarice et notre attachement aux biens de la terre que Dieu envoie des révolutions et nous fait dépouiller par les fidèles eux-mêmes de tout ce que nous possédons ? C'est la première chose que font les révolutionnaires : nous dépouiller, nous rendre pauvres.

Ne dirait-on pas que le bon Dieu veut nous punir de notre attachement aux biens de la terre et nous forcer par là à pratiquer la pauvreté, puisque nous ne voulons pas la pratiquer volontairement ? Et c'est quelquefois bien heureux que cela arrive parce que nous nous endormirions dans les richesses et le bien être et nous ne nous occuperions plus des choses de Dieu. Quand Dieu dit : "Malheur aux riches" (Lc 6,24), il le dit encore plus pour ses ministres que pour les autres parce que si quelqu'un doit pratiquer la pauvreté, c'est bien surtout les prêtres, ses serviteurs ».

 

Choix d’un mode de vie simple, sobre

Dans ce désir de pauvreté radicale, nous pouvons voir un mode de vie au quotidien qui rencontre inévitablement des conséquences politiques, des choix de société.

Les rapports d’Antoine Chevrier et de tous les membres de la maison du Prado avec les révolutionnaires de la Commune de 1870 à Lyon en donne un témoignage.

En octobre 1870, le père Chevrier écrit à l’abbé Bernet :

« Je ne vous engage pas à revenir encore à Lyon, à moins que vous ne teniez à être de la garde nationale. Nous avons reçu ce matin l'ordre de faire partie de la garde, sous peine d'amende et de prison et non seulement nous, mais aussi MM. les Curés et vicaires. Je viens de l'Archevêché. M. Pagnon nous  dit que les prêtres  sont exempts par la loi, mais aujourd'hui il n'y a plus de loi. J'espère bien que ce n'est qu'un orage et que ce ne sera qu'une contrariété faite à la soutane. Vous voyez tout de même que ce n'est pas très gai.

On nous a peu contrariés jusqu'à ce jour. Ces Messieurs ne vont pas mal et vous envoient leurs respectueux  hommages… on s'attend de jour en jour à quelque coup de fusil. Il y a dispute entre le drapeau rouge et le tricolore. On a essayé samedi d'arracher le rouge pour le remplacer par le tricolore,  mais impossible ;  il y aurait fallu guerre civile probable ; on a reculé. Enfin la position est difficile. »

Proche des pauvres, il n’eut pas à craindre les méfaits des révoltes

Jean-François Six explique : « Le 22 mars 1871 la Commune est proclamée à Lyon. Le 23, des bataillons de La Guillotière s'emparent de l'Hôtel de Ville. La Commune garde le pouvoir trois jours et le perd. Elle le reprend le dimanche 30 avril, jour des élections municipales en France : ce jour-là, à quatre heures du matin, des bandes parcourent La Guillotière en battant le rappel, enfoncent les portes de l'église Saint-Louis pour monter au clocher et sonner le tocsin ; ils annoncent l'avènement de la Commune à La Guillotière. Bien armés, ils établissent leurs positions devant le pont de La Guillotière et forment de nombreuses barricades. Les autorités lyonnaises mettent alors deux canons en batterie et font tirer ; l'infanterie abordera la position sans rencontrer personne. Le 1er mai, le soleil se lèvera sur les barricades abandonnées, des arbres criblés de projectiles, d'innombrables fenêtres aux vitres brisées. Il y avait eu une trentaine de morts. Cette émeute de La Guillotière termine la période révolutionnaire lyonnaise. Le Prado, qui se trouvait au cœur des événements, n'en fut pas touché ; « il n'eut à subir aucune vexation de la part des Communards », témoigne Jean-Claude Perrichon. Cela ne peut s’expliquer que par une juste proximité du père Chevrier et de ses compagnes et compagnons travaillant dans la salle de bal du Prado devenue école et lieu de vie, avec les habitants du quartier.

 

Le droit à une éducation gratuite

Nous citerons comme autre exemple de ce désir de vivre d’une façon proche des gens afin de répondre à leur attente et besoin, le refus d’Antoine Chevrier de faire travailler les enfants comme cela se pratiquer dans les couvents-ateliers sur les pentes de la Croix-Rousse. Une nette orientation politique (au sens de mode de vie) se rencontre dans sa détermination. Il n’a pas peur ainsi de prendre le risque de déplaire à celles et ceux qui voyaient autrement pour résoudre les problèmes rencontrés. Il refusa donc toujours de faire travailler les enfants afin de vendre ce qu’ils auraient fabriqué. La révolte des Canuts indique du reste que les Providences qui donnaient du travail aux pensionnaires vendaient le tissu moins cher, suite au faible salaire des enfants et engendraient une concurrence déloyale. D’où, en partie, la révolte des canuts. Mais, laissons là l’Histoire et lisons ce qu’Antoine Chevrier a écrit : « les riches ont des pensionnats, où ils passent cinq, dix ans, pour apprendre à lire, écrire, etc. Petit pensionnat pour ses pauvres enfants qui ne savent ni lire, ni écrire, et qui n’ont aucun moyen d’apprendre leurs devoirs. Ils y restent quatre ou cinq mois, temps nécessaire pour les former un peu. Cette session intensive vise à faire en sorte que les jeunes puissent se débrouiller eux-mêmes dans la vie. Il convient de les éduquer, de les éveiller pour qu’ils aient par eux-mêmes, sans assistances caritatives une vie meilleure. A notre avis, tout un programme politique.

Le père Duret témoigne : « On conseilla plusieurs fois au père Chevrier d’établir au Prado un travail lucratif, auquel on s’appliquerait une partie de la journée, et qui aiderait à payer le pain chaque jour. Des industriels catholiques s’engageaient même à fournir de l’ouvrage ; il s’y refusa toujours avec énergie et même indignation ».

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