L’année pradosienne offre l’opportunité d’un temps de réflexion dans l’esprit de l’Évangile. Se décider dans la sérénité et la foi
Je continue (voir le § 1) la présentation de l'entretien avec Louis Magnin, prêtre du Prado né en 1921. Il nous parle de sa vocation pradosienne, de son vécu dans la formation de pradosiens et comme prêtre ouvrier. Il souligne l'importance de l'eucharistie quotidienne dans sa vie en équipe pradosienne et indiquera comment il se positionne vis--à-vis de l'action catholique.
Puis une question : pour la mission, où vivre ?
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Extrait de l’entretien avec Jean-Claude Bonnaud : Le Prado t’a demandé, ensuite, d’aller à Madrid... Pourquoi et comment ?
Après treize années au Noviciat de Saint-Fons, je croyais avoir terminé pour moi, le service de la formation pradosienne. Un nouvel appel est venu de l’Espagne. Le Prado d’Espagne commençait à s’organiser de manière autonome. En 1968, le Conseil du Prado d’Espagne décida de créer une année de formation pradosienne à Madrid, dès la rentrée de septembre. Je connaissais les pradosiens espagnols. Quelques-uns d’entre eux, dont Antonio Bravo, avaient fait leur formation pradosienne à Saint-Fons (1965/66 - 1966/67). C’est sans doute ce qui a incliné le Conseil Général du Prado à me demander d’assurer la responsabilité de cette « année ». Aucun pradosien espagnol n’était alors disponible pour cela. J’irais donc à Madrid pour une période de trois ans. Je serais secondé par Antonio Bravo qui, au bout de trois ans, me succéderait.
Pourquoi ai-je accepté ?
Précédemment (en 1964 et 65, me semble-t-il) le Prado d’Espagne m’avait invité à participer à un « mois d’initiation » à la spiritualité du Père Chevrier. L’Espagne m’a tout de suite séduit, en l’occurrence Avila et la Castille. Qu’est-ce qui me séduisait ? Le pays, les gens, leur dignité, la vitalité de l’Eglise en dépit du poids du régime franquiste et d’une hiérarchie globalement conservatrice. La recherche évangélique des jeunes prêtres (et des moins jeunes). La détermination des pradosiens -encore peu nombreux- à faire vivre et à proposer la grâce du Père Chevrier. Sans oublier l’amitié qui me liait aux premiers pradosiens espagnols, en particulier Felipe Alia. J’ai donc accepté.
Après six semaines d’apprentissage intensif de la langue à Madrid, Antonio Bravo m’y rejoignait. Il nous fallut d’abord choisir un quartier, trouver un logement et l’aménager. L’aménagement se fera progressivement. La vaisselle est restée plusieurs semaines sur le sol et les vêtements dans les valises - sans que cela crée de vrais problèmes. Nous étions tous motivés. Nous étions une dizaine.
Les premiers participants étaient très représentatifs de la situation de l’Église d’Espagne à ce moment-là. Certains, déjà prêtres depuis quelques années, venaient dans la perspective d’un engagement au Prado. D’autres, diacres ou séminaristes ayant terminé leur formation, venaient dans une démarche de recherche. Les uns hésitaient à demander l’ordination en raison du contexte conservateur et disciplinaire du diocèse. D’autres, décidés à devenir prêtres, étaient jugés trop critiques pour que leur évêque les appelle. Les uns et les autres demeuraient dans l’expectative. « L’année pradosienne » leur offrait l’opportunité d’un temps de réflexion dans l’esprit de l’Évangile. De fait, l’ « année » leur a permis de prendre une décision dans la sérénité et la foi.
C’était en 1968. L’Espagne vivait, en contrecoup, son « Mai 68 ». Les événements de France ont eu une résonance très vive dans les milieux d’opposition au franquisme et dans les secteurs progressistes de l’Église. Dans la période qui suivit, beaucoup de prêtres quittèrent le ministère. Les évêques étaient dépassés. Dans ce contexte un peu anarchique de « brebis sans pasteurs », le Prado offrait une alternative, une voie de renouveau par « l’intérieur » sans être en décalage avec le peuple.
En ce qui me concerne plus personnellement, ces trois années à Madrid m’ont permis de connaître l’Espagne et l’Église d’Espagne, de façon intuitive, mais assez exacte - me semble-t-il. Nous vivions dans un quartier périphérique populaire où cohabitaient des immigrés des provinces moins industrialisées (Andalousie, Castille, Extramadure, Galice...). J’ai participé au ministère pastoral du curé espagnol en charge de ce quartier. J’ai accompagné des équipes de chrétiens (la plupart anciens de la J.O.C.) engagés dans des organisations syndicales clandestines. Nous avons connu par deux fois, au cours de ces trois années (1968/71) « l’état d’exception », en particulier au moment du « procès de Burgos ». Tout cela je l’ai vécu du dedans.
J’ai apprécié, bien sûr, la collaboration avec Antonio Bravo. Il me dépassait de beaucoup en compétence. Mais c’est moi qui étais responsable et il m’incitait délicatement à bien prendre ma place. Nous nous sommes mutuellement estimés et respectés. Je l’admirais sans l’imiter. Nous avons vécu ensemble fraternellement. Quant au Prado d’Espagne, c’est un peu, pour moi, un Prado d’adoption.