Une troisième dimension (la pensée) existe en l'humain qui va interroger les deux premières (la raison-esprit, la sensation)
Première lecture : « Moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49, 14-15)
Psaume (Ps 61 (62), 2-3, 8, 9) : En Dieu seul, le repos de mon âme.
Deuxième lecture : « Le Seigneur rendra manifestes les intentions des cœurs » (1 Co 4, 1-5)
Évangile : « Ne vous faites pas de souci pour demain » (Mt 6, 24-34)
Que de paraboles !
Jésus emploie le genre littéraire des paraboles quand il souhaite enseigner des modes de vie que ses auditeurs sont incapables sinon de comprendre, du moins d’accepter.
Ainsi, Jésus demande de ne pas nous soucier de nos vêtements :
Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ?
Sommes-nous disposés à ne pas survaloriser l’importance que peut avoir le type de costumes, de robes, de vestes, pantalons ou manteaux que nous achetons ? Et pour acheter, il faut de l’argent. Beaucoup d’euros. Sommes-nous disposés à diminuer nos temps de travail rémunéré ? Or Jésus dit :
Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.
Je trouve essentiel ce passage de l’Évangile. Il s’applique à toutes et à tous. Seulement, il est tellement difficile de l’accepter et de le mettre en pratique qu’une série de paraboles s’avère indispensable pour nous le faire entendre. Très souvent, dans l’Église, on dit que l’appel à une vie de pauvreté ne s’adresse qu’aux religieux et religieuses qui ont fait vœu de pauvreté. Non, la vocation à mener une vie sobre, simple s’adresse à tous les baptisés. C’est la marque essentielle de l’attachement à Jésus-Christ. Afin de voir en toute personne un frère, il importe de prendre l’arme du pauvre pour lutter contre la misère.
Situons ce passage d’Évangile dans l’actualité. Pourquoi l’Europe se montre-t-elle si frileuse dans l’accueil de l’étranger ? Tout simplement parce qu’elle ne veut pas partager ses richesses avec celles et ceux qui sont obligés de quitter leur pays soit à cause de la guerre, soit à cause de la famine ou de la maltraitance. L’Occident accumule par peur de manquer. Et cela fait des siècles que ça dure !
Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit.
J’imagine que vous trouvez cet Évangile, et le commentaire que je tente d’en faire, vraiment pas réalistes. Vous pensez et vous dites : « on ne vit pas que d’amour et d’eau fraiche ». Il faut bien se soucier de ce que l’on va manger, boire et se vêtir.
Regardons ceci de près. Analysons l’homme que nous sommes et nous verrons que Jésus veut le bonheur de tous quand il recommande de ne pas se fatiguer dans le but d’accumuler des biens qui assureraient le futur.
Certes, ce qui est avancé ici va à l’encontre de l’opinion générale formatée par des systèmes économiques poussant à la consommation afin de toujours produire plus de marchandises pour plus d’enrichissement. Non seulement, l’homme souhaite de beaux vêtements à la mode, en plus il faut qu’il exhibe le prestige de la marque.
Vous connaissez la parabole de la Rolex. On en parle de diverses façons :
Un soir un politique se demandait ce qu’il lui fallait pour être certain d’être un homme, un vrai. Jacques, le publicitaire lui répondit : “il te faut une Rolex”. “Tout le monde a une Rolex. Si à 50 ans on n'a pas une Rolex, c'est qu'on a quand même raté sa vie”.
Mais, redevons sérieux, sage.
Je souhaite ouvrir une page philosophique.
Je considère l’humain, l’homme -c’est peut-être aussi une parabole-, comme étant composé de trois éléments. La pensée, la raison-esprit, la sensation. Ces trois éléments de notre nature humaine se localisent dans l’âme, le cerveau et ses dérivés, la peau. La surface de notre corps est ce qui nous place en rapport avec tout ce qui existe autour de nous. Il est facile de comprendre que l’on serait en danger, si la main ne sentait pas le chaud ou le froid. L’esprit reçoit ces sensations et les analyse. Il va déterminer le bon comportement à adopter.
C’est là que la raison intervient en discernant le meilleur ou le moins dangereux. C’est également en cette zone que la société intervient par les moyens de conditionnements dont elle est capable. La parabole de la Rolex montre qu’une société exhibant le prestige imposera des modes de vie incitant à la consommation. Nous le savons, l’homme en son esprit est conditionné par tout ce qui l’entoure et, par exemple, pourra affirmer qu’il est dangereux d’ouvrir ses frontières, car des “envahisseurs” vont détruire la culture chrétienne. Oh oui, l’homme est bien mystérieux ! Il suffit de regarder en nous-mêmes pour comprendre ce que dit Paul dans sa lettre aux Romains (7,15) :
Nous savons bien que la Loi est une réalité spirituelle : mais moi, je suis un homme charnel, vendu au péché. En effet, ma façon d’agir, je ne la comprends pas, car ce que je voudrais, cela, je ne le réalise pas ; mais ce que je déteste, c’est cela que je fais.
L’homme, effectivement, est tourné vers tout ce qui l’entoure. Ses désirs le portent à accaparer tout ce qu’il voit. Il souhaite en conséquence se construite de vaste grenier pour y amasser ses productions et il fait usage de sa raison pour prouver qu’il est dans la vérité.
Mais une troisième dimension existe en l’être humain qui va interroger les deux premières : la pensée. Parce que l’homme pense en son intérieur, il sait se détacher des pulsions de son corps et de son esprit afin d’obtenir plus de vérité, de sincérité, de justesse. Mystère de la conscience qui fait dire que ne pas respecter la dignité de tout vivant est absolument condamnable. C’est parce que l’homme ne pense pas, ne prend pas le temps de penser qu’il se laisse envahir par les arguments du corps validés par son esprit soi-disant rationnel. La pensée est ce qui peut conduire à la désobéissance civile. La pensée est ce qui donne le courage d’acte humainement irraisonnable, mais juste. La pensée est l’élan mystique qui branche sur Dieu. La force des prophètes. Quand une vérité est à dire, il faut la dire même si cela conduit au tribunal des hommes, domaine de la raison.
Bref, je situe la parabole de Jésus proclamée ce jour dans ce lieu de la pensée, du cœur, de l’âme (pour employer d’autres mots). Le Père céleste sait ce dont nous avons besoin. Ce n’est pas la raison qui va nous conduire, mais l’intime communion de notre pensée avec la pensée divine. Le Seigneur nous invite à la pauvreté pour combattre la misère, car il sait que le bonheur de l’âme ne réside pas dans le port d’une Rolex. Il nous donne la force de vivre et d’agir contre les idées reçues. Seul l’élan mystique de la pensée, l’ouverture à Dieu, nous ouvre cette porte. Telle est la vocation de tous les baptisés, de tous les chrétiens, les disciples du Christ.
Qu’allons-nous boire ? Ou : avec quoi nous habiller ? Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît.
Le Changeur par Rembrandt, 1627.