Louis Magnin, formateur de prêtres du Prado, puis prêtre ouvrier, se situe au plus proche des personnes afin de transmettre Jésus-Christ
Je me suis enfin décidé à mettre en ce lieu les entretiens que j’ai eus avec Louis Magnin en 2008. Pourquoi avant attendu si longtemps ? Je l’ignore ; sinon, je ne peux qu’évoquer la liberté que me donne actuellement le retirement dont bénéficie un retraité canonique.
Il se peut aussi que, préparant des conférences à la Maison du Prado sur le quartier de la Guillotière, j’aie repensé à la mission du prêtre ouvrier Louis Magnin. En effet, trois rencontres se situent dans ce même cadre, le mardi à 18 h 30 :
> 7 février : Depuis 156 ans (Antoine Chevrier) les instituts éducatifs de la Fondation du Prado protègent et guident les jeunes sur le chemin de la vie.
Témoignages avec Denis Poinas, président, Prado - Instituts Thérapeutiques éducatifs et Pédagogiques
> 14 mars : La Guillotière du Prado. Du père Chevrier au quartier "branché". Quels enjeux pour l'avenir ?
Michel Pierre, habitant du quartier.
> 11 avril : La mission de l’Eglise à Lyon dans les années 50 avec les prêtres ouvriers et la mission ouvrière.
Georges Fabre, prêtre ouvrier ; Roger Gay, Histoire Sociale CGT Rhône Alpes, ACO ; Bruno Guérard, inspecteur du travail honoraire.
Quand on demande à Louis s’il accepte qu’on l’enregistre, de suite il avance ce que l’on a appelé l’affaire du Prado, l’affaire de Lyon. Ceci ayant déjà été réalisé, je lui indique que mon propos sera différent. Il tient quand même à rappeler que, dans cette affaire, l’engagement du supérieur du Prado et évêque auxiliaire de Lyon, Alfred Ancel, a été déterminant. « Ces prêtres n’ont fait que ce que leur mission auprès des Algériens demandait » déclare l’évêque à la justice ;
Sur le site Grand ensemble.media .fr nous lisons : « En 1958, les militants du FLN de Lyon cherchent à mettre en place une structure d’aide aux détenus algériens (800 dans les prisons lyonnaises) ainsi qu’à leur famille. Ils s’adressent au prêtre Carteron pour qu’il leur trouve un local et ce dernier les renvoie aux prêtres Chaize et Magnin du Noviciat du Prado à Saint-Fons. Ces derniers mettent à disposition des Algériens une chambre où documents et argent sont déposés.
Lorsque la cache du Prado est découverte, les prêtres Magnin et Chaize sont arrêtés, Albert Carteron réussit à quitter Lyon. Magnin est inculpé « d’atteinte à l’intégrité du territoire ».
Le Cardinal Gerlier publie alors une déclaration de solidarité avec les prêtres inculpés et dans laquelle il dénonce les sévices que subissent les Algériens. Le ministère de l'Intérieur réplique aussitôt par voie de presse. Cette affaire donne lieu à de multiples réactions largement relayées au niveau national ».
Il importe de se reporter à ce site pour entendre Louis Magnin
L’affaire du Prado entretien d’une heure Radio Canut se rendre ici.
Sur “Musée du diocèse de Lyon” une page en donne les éléments principaux. (voir ci-dessous)
Ces introductions faites, écoutons un premier entretien avec Louis Magnin.
Depuis quatre ans, la violence des uns et des autres en Algérie (bombardements, exécutions, tortures…) amène chacun à se forger une opinion sur les « événements ». Militaires et politiques ne sont pas toujours en accord sur la marche à suivre. Le 13 mai 1958 des civils et des militaires prennent le pouvoir à Alger. Il est fait appel alors au général De GAULLE auquel l’Assemblée Nationale vote les pleins pouvoirs. Une nouvelle constitution est approuvée par référendum en septembre.
Cette même année un groupe d’Algériens cherche à mieux organiser l’aide aux détenus algériens (environ 900 à la prison Saint-Paul de Lyon) et à leurs familles. Pour trouver un local, il s’adresse à Albert CARTERON, prêtre diocésain, nommé par le cardinal GERLIER auprès des travailleurs nord-africains. Celui-ci se tourne vers le Noviciat du Prado à Saint-Fons, les Pères CHAIZE et MAGNIN. Il est décidé de mettre à disposition de ce service social la chambre 22, où sont stockés papiers, mandats et argent.
À l’approche d’une visite officielle du général De GAULLE à Lyon, la Préfecture cherche à prévenir d’éventuels attentats. La police lyonnaise procède à des arrestations, dont celles des responsables du service social logé au Noviciat du Prado.
A.CARTERON choisit de quitter Lyon pour ne pas être lui aussi arrêté et « questionné » jusqu’à livrer des noms. Ses amis algériens le surnomment El-bi’r, c’est-à-dire "le puits", qui garde enfouis les secrets.
En fin d’après-midi de ce 16 octobre, le Cardinal GERLIER prend le train de nuit pour Rome en vue du Conclave qui élira le pape Jean XXIII.Au même moment, les policiers de la Police judiciaire de Lyon investissent le Noviciat de Saint-Fons, accompagnés de l’un des responsables du service social, menotté, qui les conduit directement à la chambre 22. Les dossiers ont disparu. Les policiers convoquent pour le lendemain dix heures au siège de la P.J., rue Vauban, les deux prêtres responsables du noviciat, « avec les documents ». Ceux-ci détruisent les dossiers qu’ils avaient cachés et se présentent, en soutane à l’époque, à la convocation, et subissent un interrogatoire de cinq heures séparément.
Mgr ANCEL, supérieur général du Prado et administrateur provisoire du diocèse depuis le départ la veille du cardinal GERLIER pour le conclave, inquiet de l’absence de ses deux prêtres, se rend chez le Procureur et le Préfet pour leur expliquer le ministère de ces prêtres.
Pendant la confrontation générale entre les douze Algériens et les deux prêtres, le Chef de la Sûreté reçoit un appel téléphonique du Préfet lui donnant l’ordre de libérer les deux prêtres.
Mgr ANCEL explique à la presse venue l’interroger que les documents ont été détruits dans un « geste d’affolement » et que l’argent du service social sera remis aux autorités judiciaires.
Toutefois le Commissaire cherche à en savoir davantage sur ces documents. Il retrouve l’un des prêtres relâchés, Louis MAGNIN, et l’emmène pour l’interroger. Mgr ANCEL, revêtu de sa soutane violette, se présente alors dans la nuit à la Police judiciaire pour être entendu en tant que supérieur du religieux et administrateur provisoire du diocèse :
Ce que ces prêtres ont fait n’a rien à voir avec une action terroriste. C’est une action charitable qui ne déborde pas la mission que je leur ai donnée. Je couvre tout ce qu’ils ont fait. Si vous devez poursuivre quelqu’un, c’est moi que vous devez poursuivre.
Il signe sa déposition et est invité à quitter les lieux, tandis que le prêtre est maintenu en garde vue.
Le lendemain matin, le prêtre est emmené, en soutane, menottée, au Palais de Justice, où il rejoint les douze Algériens pour être présenté au Juge d’instruction. À l’audience, il est assisté de deux avocats qui se sont spontanément présentés pour assurer sa défense. Le Juge l’inculpe d’ « atteinte à l’intégrité du territoire national » et le met en liberté provisoire. On le fait sortir par une porte dérobée pour éviter la presse qui parle de « l’affaire du Prado ».
Le Parquet fait appel de la décision du juge puis renonce à son appel.
Le lendemain de cette arrestation est un dimanche. Des groupes des « Combattants de l’Union française » dénoncent dans des tracts distribués aux sorties des messes « la mobilisation de la charité au service de l’assassinat ».
Mgr ANCEL envoie alors à Rome le Supérieur du Grand Séminaire, le secrétaire du Cardinal GERLIER et les deux avocats des prêtres, pour informer le Cardinal GERLIER avant son entrée en conclave, où il sera alors privé de toute communication avec l’extérieur. En même temps ils doivent joindre le cardinal LIENART, prélat de la Mission de France dont l’un des prêtres a lui aussi été inculpé.
Beaucoup d’officiels craignent que le cardinal GERLIER ne remette à la Commission de Sauvegarde un dossier, constitué par A.CARTERON, sur les tortures pratiquées aux chambres 305 et 308 de la Police judiciaire, rue Vauban, et que des magistrats, des policiers et des voisins de la PJ ne viennent témoigner devant cette commission et rendent ainsi publics certains faits. Cette commission indépendante de la Justice et de l’Armée a été récemment instituée pour faire la lumière sur les pratiques des forces de l’ordre, civiles ou militaires.
De Rome les deux cardinaux font une déclaration couvrant les activités de leurs prêtres et dénonçant les sévices infligés à des détenus algériens. A.CARTERON écrit au cardinal GERLIER qui publie sa lettre. Le cardinal GERLIER rédige un second communiqué de Rome. Il fait savoir qu’il reprendrait sa robe d’avocat pour défendre ses prêtres si besoin était ; il fut membre du Barreau de Paris et président de l’Action catholique de la Jeunesse française.
Louis Magnin est né à Lyon, près de la place des Terreaux. Dès l’enfance, il entend parler avec mépris et hostilité du quartier de la place du Pont où il y avait une forte concentration d’Algériens. En 1951, devenu prêtre, il est envoyé pour sa première mission dans le quartier de la Guillotière et porte un regard de bienveillance et d’empathie sur les populations étrangères, à l’encontre de ce qui lui a été inculqué dans son enfance. Il développe des liens d’amitié forts avec Albert Carteron et Henri Le Masne qui lui font découvrir les conditions de vie misérables des Algériens. Contrairement à Carteron qui était le lien entre l’Eglise et la communauté algérienne, Louis Magnin ne s’occupait pas directement des Algériens mais il avait à cœur de faire connaître leurs conditions de vie, notamment dans la communauté chrétienne dont il avait la charge.
En 1955, Il est nommé à Saint-Fons comme formateur des prêtres du Noviciat du Prado. Il continue à sensibiliser son entourage à la cause algérienne en y faisant venir Albert Carteron. En 1958, à la demande de ce dernier, il prête un local à des membres du FLN qui créent un service social destiné à secourir les familles des détenus (600 à Saint-Paul). Ce local à l’extérieur de Lyon devait permettre d’échapper aux nombreux contrôles de police. Mais le 17 octobre 1958, en prévision de la visite du Général De Gaulle, de nombreuses rafles sont effectuées et de nombreux Algériens arrêtés dont les responsables du service social. Après un long interrogatoire, ils mènent les policiers au local mais Louis Magnin et le père Chaize, prévenus par Carteron, ont eu le temps de cacher l’argent et les dossiers. Ils sont convoqués le lendemain au siège de la police judiciaire et subissent un interrogatoire de 5 heures avant d’être confrontés aux douze Algériens arrêtés sur lesquels ils voient les violences physiques des interrogatoires.
Louis Magnin et le Père Chaize, sont libérés une première fois suite à un appel téléphonique du préfet Massenet. De nouveau arrêté le lendemain malgré l’intervention de l’évêché, Louis Magnin doit signer des déclarations dans le bureau du commissaire de la brigade anti-terroriste. Emmené au palais de Justice avec les Algériens, inculpé pour « atteinte à l’intégrité du territoire national », il est libéré provisoirement tandis que ses compagnons algériens restent emprisonnés durant 9 mois. Par la suite, les Algériens arrêtés portent plainte pour les brutalités subies.
Pour Louis Magnin, cette « affaire du Prado » a contribué aux débats de l’époque sur la question algérienne et sur le positionnement de chacun, au sein de l’Eglise, et plus largement dans la société et parmi les institutions françaises. Elle a entre autres opposé le cardinal Gerlier, qui a soutenu les prêtres, au ministre de l’Intérieur Pelletier à propos de la torture.
Après la guerre, Louis Magnin a gardé contact avec Albert Carteron parti en Algérie et tous deux se sont éloignés des institutions*. Ils désiraient faire avancer l’humanité qu’elle soit chrétienne ou non et voulaient vivre leur foi dans la vie quotidienne. Ainsi, en 1971, Louis Magnin est devenu prêtre-ouvrier et ce jusqu’en 1994, date à laquelle il a pris sa retraite. Il a fini sa carrière dans la région parisienne où il a longtemps milité à la CGT.
* Il faudrait savoir ce que l’auteur de cette page entend par “institutions”. Le témoignage de ces prêtres indiquent qu’ils sont toujours resté à l’intérieur de l’Eglise.