Le mot “hiérarchie” indique une source sacrée. Il s'agit d'éviter que l’on oublie Celui qui donne l'être, à savoir Dieu. Ne pas le nier
Le prêtre, qu’il soit curé, évêque ou pape agit in persona christi. Cela signifie qu’il n’est jamais le maître à la place de l’unique Maître. Il est avant tout disciple du Seigneur Jésus. Donc, jamais il ne peut prendre place sur le siège qui, de toute éternité, demeure celui de Dieu. Certes, quand un évêque prend place dans une cathèdre, il le fait symboliquement. Il rend tout simplement visible le Ressuscité. Pourtant, dans la ligne des dynasties féodales, ne se prend-t-il pas, hiérarchiquement, pour le Maître ? Le port de la tiare le prouverait : père des rois, régent du monde, vicaire du Christ. Il me semble qu’aujourd’hui, pour bien montrer la place de l’homme par rapport à celle de Dieu, il conviendrait de laisser vide ce siège cathédrale.
- Van Eyck, Retable de l'Agneau mystique (détail), 1432
En iconographie, depuis l’empereur Constantin, plus exactement Justinien, le Christ est représenté sur un trône qui se veut plus beau et plus grand, plus digne que celui du prince terrestre. Il convient, en effet, de montrer que le Maître du Monde entier est supérieur à l’empereur terrestre. Pour cela on adopte vêtement et mobilier des grands de ce monde. Alors, le vicaire du Christ, dans ces atours, prit place sur ce trône. Devant agir in persona Christi, il se montre comme étant hiérarchiquement le Premier. N’est-ce pas ici la tentation au gouvernement monarchique qui s’imposa dans la direction des affaires communes de l’Eglise ?
Pour éviter toute confusion, le prêtre agissant au nom de Jésus-Christ, ne devrait pas sièger sur une cathèdre, ou autre siège de présidence remarquable par sa magnificence. Sur ce siège, seul Dieu peut prendre place. Le prêtre, curé, évêque ou autre, appelé pour servir et non être servi ne peut que prendre place à côté du siège divin. Symboliquement, afin de montrer le rôle de serviteur du prêtre, le Siège sur terre du ministre du Christ devrait rester vide.
FORUM. Monarchie ou démocratie ? Un dilemme trompeur.
P. Pierre Lathuilière, prêtre et théologien du diocèse de Lyon.
Dans La Croix du mercredi 16 avril, je lis avec intérêt ces lignes de Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Lille: « Redécouvrons par exemple l'expérience de l'Église en matière de démocratie. » Je trouve ce rappel particulièrement rafraîchissant en un temps où j'entends avec stupéfaction des propos récurrents qui nous affirment sans vergogne que « l'Église n'est pas une démocratie, mais une monarchie ».
Bien sûr, il ne faut pas avoir étudié longtemps l'histoire de l'Église contemporaine pour reconnaître là un slogan des disciples de Mgr Lefebvre qui pensent ainsi résumer le concile Vatican I. Mais ce n'est qu'un slogan, c'est-à-dire une arme idéologique qu'il conviendrait de remettre au fourreau comme les autres. Car l'Église n'est ni une démocratie ni une monarchie. Le seul véritable monarque en christianisme, comme nous l'a rappelé Pie XI en instituant en 1925 la fête du Christ-Roi et en condamnant l'Action française l'année suivante, c'est celui qui s'est fait le serviteur. C'est d'ailleurs une recommandation expresse faite par Jésus à ses disciples, qui se disputent alors même que Jésus vient de leur parler de sa mort proche: « Les rois des nations agissent avec elles en seigneurs, et ceux qui dominent sur elles se font appeler bienfaiteurs.Pour vous, rien de tel. Mais que le plus grand parmi vous prenne la place du plus jeune, et celui qui commande la place de celui qui sert. Lequel est en effet le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert? N'est-ce pas celui qui est à table? Or, moi, je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert. » (Luc 22, 25-27).
Décrire l'organisation ecclésiale selon l'une de ces deux catégories de démocratie ou de monarchie, ce n'est ni plus ni moins que continuer l'indécente dispute des disciples. C'est soumettre aux lois de ce monde la communion instaurée par Jésus au nom de son Père. C'est rester enfermé dans des catégories du passé. Par contre, que la communion ecclésiale puisse être inspiratrice pour un renouvellement de nos mœurs politiques, pourquoi pas, à condition de ne pas les imposer ni dans une monarchie chrétienne ni dans une démocratie chrétienne. Libre aux chrétiens d'être monarchistes ou démocrates, mais l'Église n'a pas pour fonction de fournir une caution sacrée à César: elle doit seulement appeler au respect de la difficile tâche humaine du gouvernement des humains.
Vatican II n'est pas resté muet sur cette question. Certains, désireux d'amoindrir la portée de ce concile sans le récuser ouvertement comme Mgr Lefebvre, voudraient oublier que la communion divine du Père, du Fils et de l'Esprit indiquée comme source de l'Église (chapitre 1 de Lumen gentium) est déjà une mise en cause du principe monarchique: « Je ne suis pas seul », dit Jésus (Jean 8, 16.29). Les mêmes oublieux de la source trinitaire voudraient effacer dans les textes conciliaires ce qui est donné comme forme première de l'Église, à savoir la communauté assemblée comme peuple de Dieu (chapitre 2 de Lumen gentium), ce qui n'est nulle part assimilé à un mode de gouvernement démocratique. Les mêmes toujours voudraient surtout qu'on en arrive directement au troisième chapitre de Lumen gentium en déformant les propos du Concile sur « la constitution hiérarchique de l'Église et spécialement l'épiscopat » pour identifier la notion de « hiérarchie » à un principe monarchique, ce qu'elle n'est pas.
Au sens strict du terme, le mot « hiérarchie » sert à indiquer une source, une origine sacrée. On le comprend aisément: il s'agit d'éviter que « le peuple de Dieu » soit oublieux de celui qui le fait venir à l'être, à savoir Dieu, et en arrive ainsi à se nier. Les ministres ordonnés dans l'Église, même lorsque leur ministère est unique en son genre comme le pape, sont toujours membres d'un collège à l'image des Apôtres institués par Jésus. Ils ne sont pas chargés de témoigner de l'existence d'une voix unique, mais d'une unique foi exprimée de façon polyphonique. Car au cœur de leur témoignage, il y a la communion. L'insistance catholique sur la dimension personnelle du ministère n'est pas une consécration de l'individualisme pastoral ou des tempéraments autocratiques: elle est reconnaissance des visages propres à chacun de ceux qui sont appelés par leur nom pour guider vers l'accueil de la communion offerte par Dieu. Chaque visage mène à sa manière vers l'unique visage du Christ, tête du corps. Ayant été membre de plusieurs conseils épiscopaux dans mon diocèse, ayant donc collaboré de près au travail pastoral de plusieurs successeurs des Apôtres, je peux témoigner du fait qu'on ne peut confondre aucun de ces visages, pas plus qu'on ne confond dans les récits des Évangiles et des Actes, Pierre, Paul, Thomas ou Jean. Chacun renvoie à sa manière à celui qu'il suit et qu'il aime, le Christ Jésus. Et c'est ainsi qu'il indique une « hiérarchie », une source vers laquelle diriger son écoute, sa volonté, son obéissance.
Nous le constatons tous à travers les figures successives de nos papes: nous avons la chance en notre siècle de pouvoir lire aisément leur proximité spirituelle avec Jésus. Et pourtant, que de différences de l'un à l'autre! Dans un monde où tout se mesure à la manière de gérer les rapports de force, seule une vision étriquée, héritée de ce monde, peut réduire le pape à un monarque et, a fortiori, même en s'appuyant sur Vatican II, l'évêque à un monarque. Mais ce n'est pas la logique du Royaume de Dieu où pour entrer il faut être comme un enfant (Marc 10, 14). Et les enfants sont là pour nous instruire, tout comme l'Église – si elle se situe à la manière des enfants – peut apporter son regard plein de nouveauté à toutes les monarchies et toutes les démocraties qui peinent à trouver leur chemin.
LATHUILIERE Pierre
31/5/14 - 00 H 00