Des jeunes, non de simples casseurs, séduits par la cause palestinienne s'agrègent aux cortèges sans qu’ils connaissent toute cette question
Marc Hecker est chercheur à l'Ifri et auteur du livre Intifada française ? De l'importation du conflit israélo-palestinien (Ellipses, 2012).
Dans le quotidien La Croix (17 juillet 2015), je lis un entretien de Marc Hecker avec le journaliste Pascal Charrier. L’article éclaire la question que je me suis posée en participant aux manifestations pro-palestiniennes : comment se fait que les jeunes issus de la migration maghrébine se sentent à ce point solidaires de la Palestine ?
Marc Hecker est chercheur à l'Institut français des relations internationales. Son dernier livre a pour titre : Intifada française ? De l'importation du conflit israélo-palestinien, Ellipses, 2012.
Alors que des heurts ont émaillé un rassemblement de soutien aux Palestiniens dimanche dernier à Paris, la préfecture de police veut interdire une manifestation similaire prévue samedi dans la capitale. Selon le chercheur Marc Hecker, ce mouvement rassemble un public très hétéroclite, et les organisateurs ne contrôlent pas forcément les gens qui viennent dans les cortèges.
Quand a émergé le mouvement pro-palestinien en France ?
- Marc Hecker : Il a vraiment émergé avec la guerre des Six Jours de 1967, autour de plusieurs tendances, les réseaux arabes laïques, les cathos de gauche, une partie des gaullistes et l'extrême gauche, qui reste très importante dans la mouvance pro-palestinienne et s'est ralliée à la Palestine par anti-impérialisme. Ce mouvement s'est ensuite structuré dans les années 1970-1980. Au début des années 1990, à une époque où les musulmans de France «de la deuxième génération» commençaient à se politiser, ont émergé de nouveaux acteurs : des associations issues de la communauté musulmane française. La première Intifada de 1987 est également un élément important, qui a contribué à faire basculer l'opinion française du côté des Palestiniens.
Qui manifeste aujourd'hui ?
- M. H. : Les manifestations pro-palestiniennes sont très hétéroclites. Selon les parties du cortège, on voit des drapeaux rouges ou anarchistes, des drapeaux palestiniens, des portraits d'Arafat, des drapeaux du Hamas ou du Hezbollah. On peut aussi bien voir des militantes d'extrême gauche en minijupe que des femmes voilées, des retraités que des jeunes très remontés. Ces gens unis pour la défense des Palestiniens forment un ensemble disparate. De même pour les associations, certaines sont plus consensuelles que d'autres. Il y a des fractures au sein même du mouvement. Il arrive que des associations appellent à manifester au même moment, à deux endroits différents.
Assiste-t-on à une radicalisation de ce mouvement ?
- M. H. : J'ai constaté une radicalisation des signes politiques dans les manifestations, surtout dans les grands défilés, où les organisateurs ne contrôlent pas forcément qui vient. On a par exemple vu se multiplier les slogans associant les actions israéliennes à celles des nazis. On a aussi vu fleurir les drapeaux du Hamas et du Hezbollah. Pour ce qui est de la violence, en général, elle vient de personnes qui ne sont pas membres d'associations. Ce sont des jeunes qui viennent s'agréger aux cortèges, qui sont séduits par la cause palestinienne, mais qui ne connaissent pas bien du tout cette question. Mais ce ne sont pas de simples casseurs, comme on peut en voir dans les manifestations lycéennes. Les militants d'associations très consensuelles sont très gênés quand il y a des dérapages antisémites. Ils savent très bien que cela déconsidère le mouvement. On observe par ailleurs une religiosité croissante dans les cortèges. Les prières de rues ne sont plus exceptionnelles. Parfois, de petits groupes salafistes participent aux défilés. Mais, je le répète, ce ne sont pas toujours les mêmes acteurs qui sont présents et certains cortèges ont un potentiel de radicalité plus important que d'autres.
Les manifestations actuelles attirent-elles plus de monde qu'auparavant ?
- M. H. : Non, les grosses manifestations de ces quinze dernières années ont eu lieu pendant la deuxième Intifada, en 2000, et en 2008-2009. Elles ont attiré jusqu'à 50 000 personnes. On n'en est pas encore là, mais on pourrait assister à une montée en puissance si le conflit au Proche-Orient s'intensifie. Mais cela peut retomber très vite. Si, au contraire, les hostilités cessent, alors l'élan de solidarité retombera vite. Il y a vraiment une corrélation entre le niveau de violence au Proche-Orient et l'intensité du militantisme en France.
CHARRIER Pascal