La conscience éveillée en profondeur donne un engagement politique cohérent pour une conversion des modes de vie, un changement de mentalité

Publié le par Michel Durand

rassemblement à Nice, temps de silence.

rassemblement à Nice, temps de silence.

source de la photo Actualités de Nice

Alors que je m’engage à être présent à une nouvelle manifestation en soutien des Palestiniens et, par voie de conséquence, de toutes les personnes victimes de massacres, je me dis combien forte serait la pratique non violente alors qu’elle est massivement vécue. Imaginons, non pas une petite minute de silence, mais 5, 10, 15 minutes de silence complet, voire une heure ou une journée entière… Je reconnais que la minute de silence pratiquée aux manifestations pro palestiniennes est fortement impressionnante. Ce silence n’aurait-il pas plus de poids que les slogans si les manifestants témoignaient ainsi dans la durée, de leurs motivations solidaires ?
Une revue, « Arbre » m’a demandé de rédiger un article sur les cercles de silence. Je le recopie ici même. En effet, c’est la pratique des CDS qui a ravivé en moi, le souvenir de l’action non violente de Gandhi. Violence des pacifiques disait Roger Schutz.

 

À Lyon, le premier cercle de silence s’est tenu en juin 2008, le deuxième mercredi du mois.

C’est un membre du Réseau éducation sans frontière (RESF) qui m’avait demandé si je pouvais mettre en place cette forme de manifestation en soutien aux migrants dits « sans papiers ».

« Les enseignants et parents d’élèves de RESF, m’a-t-on expliqué, ne se sentent pas tellement à l’aise avec ce long temps de silence immobile ». Par contre, « nous sommes persuadés que ce mode d’action dans et par le silence et la non-violence mérite d’exister à Lyon. »

J’ai alors pris contact avec les Pères franciscains de Lyon. Il me semblait légitime que l’initiative vienne d’eux, puisque l’origine des cercles de silence réside en Alain Richard franciscain à Toulouse. Mais comme personne ne se trouvait disponible pour cet engagement, j’ai finalement proposé des rencontres dans la maison paroissiale Saint-Polycarpe des Pentes de la Croix rousse. Trois mois, au moins, de préparation.

Au cours de ces réunions, nous avons d’abord appris à nous connaître, à nous apprivoiser. Nous avons affiné notre engagement et rédigé le tract tel qu’il est encore distribué aujourd’hui, sauf l’encart mis à jour chaque mois ou presque. C’est au cours de ces rencontres que j’ai noué des contacts étroits avec les bénévoles de la Cimade. Nous nous connaissions. Leur siège est à quelques minutes de St- Polycarpe.

La CIMADE, m’a dit Pierrette Meynier, accompagnée de Jacques Walter, pasteur à la Mission protestante populaire, avait pensé lancer les CDS dans Lyon ; mais, ils n’étaient pas parvenus à se détacher suffisamment de leurs autres préoccupations pour cette action. Alors, quand ils ont eu connaissance de mon initiative, ils s’y sont associés très vite.

Le combat du CDS de Lyon porte sur le respect de la personne : qu’un migrant arrive, avec ou sans papiers, c’est une personne et il doit être traité comme telle. On parle de la libre circulation des marchandises et de la circulation règlementée des voyageurs sans expliquer pourquoi les hommes et les femmes des pays riches de l’hémisphère nord pour la plupart se déplacent légalement avec de bien plus grandes facilités que les ressortissants du Sud. Égalité, dignité, respect des droits de l’Homme, voilà notre axe.

Lors du premier cercle de silence, le 11 juin 2008, nous étions environ 160 personnes. Chiffre que nous avons retrouvé cinq après à l’occasion de la tenue du cercle anniversaire, le 12 juin 2013. Ce furent des participations record.

La tranche d’âge demeure plutôt stable, plutôt élevée. Les jeunes rencontrés à ce sujet sont intéressés, intrigués et admiratifs à la fois, mais ils s’engagent peu. Ils ne se sentent pas de rester une heure debout sans bouger et en silence.

Est-ce propre à Lyon et à l’image légendaire de réserve et de discrétion attribuée à la population de cette ville ? Je ne sais. Mais je dois avouer que, au cours de tous les cercles de silence, nous ne sommes ni bavards ni démonstratifs. On se salue discrètement et les après-CDS sont brefs. Il y a des villes où de nombreux tracts sont distribués, où chacun porte une pancarte sur le ventre ou dans le dos avec des inscriptions dénonçant l’injustice des rétentions de personnes qui ne cherchent qu’à éviter la maltraitance dans leur pays d’origine. Certains CDS – désolé de porter ce jugement - par la multiplicité des pancartes expriment un bruit non pas sonore, mais visuel. À Lyon, un seul tract, une seule pancarte, pas de masque blanc, mais une écharpe blanche que l’on porte si on le souhaite. Un minimum qui montre que les personnes ainsi rassemblées ne sont pas là par hasard.

Les CDS, sans bavardage sonore ou visuel, lancent, dans le silence, un appel à la conscience : tout est déjà dit. On sait ce qui se passe, que l’Europe se protège derrière des barrières virtuelles, illusoires, mais légales. Alors, sans avoir besoin de le redire, encore moins de le crier, le manifestant silencieux incite chaque passant à s’interroger sur l’accueil de l’étranger. Il interpelle la personne qui circule, qui voit, qui s’arrête et dit parfois : « c’est bien, vous êtes généreux… ». Quel travail se fait-il dans la tête de celui (celle) qui dit : « on vous admire, c’est bien, il faut continuer » ? Nul ne le sait. Mais, nous pensons (nous espérons) avoir touché quelque domaine de sa conscience. Celui qui ne fait que dire « c’est bien » peut-être va-t-il, dans son engagement politique futur, en tenir compte. C’est là que je situe l’appel concret à la conscience. Il laisse le passant libre puisqu’il n’y a aucune pression politique, aucun embrigadement. La conscience éveillée sera atteinte dans toute sa profondeur et cela occasionnera un engagement civil, c’est-à-dire politique avec cohérence. Telle est la question de la conversion des modes de pensée, conversion du spirituel, bref : le changement de mentalité. On en appelle à la conscience des individus pour que de racistes, de xénophobes, les gens interpellés deviennent accueillants. Le changement de regard engage un choix électoral déterminé. C’est une solution profonde, pérenne. Civile, c’est-à-dire Politique, avec un P majuscule.

Autrement dit : Pourquoi mon engagement ? - Pour essayer d’obtenir des Européens, des Occidentaux, une lucidité plus vraie, une justice plus grande, un respect des hommes, quels qu’ils soient. Aux jeunes qui me posent la question « Comment pouvez-vous rester debout en silence… ? Vous êtes vieux ; n’êtes-vous pas fatigués ? » Je réponds que c’est vraisemblablement parce qu’âgés nous avons acquis une certaine sagesse, une force, une conviction, parce que nous avons compris que le monde politique ne se change ni par les élections, ni par les manifestations bruyantes, mais par un impact beaucoup plus fondamental, beaucoup plus profond que nous tenons debout. C’est la démarche spirituelle au sens laïque – une démarche philosophique et métaphysique, une transcendance – et la conviction que ça ne sert à rien de répéter toujours les mêmes choses (ou de l’imposer par les lois) pour que les cœurs changent. Il faut, de par sa présence personnelle, physique, existentielle, prouver la force de notre conviction afin de la rendre aimable, imitable. Et comme l’interrogation existe quand même « vous n’êtes pas efficaces », je réponds que oui, nous ne sommes pas efficaces, car nous ne sommes pas assez nombreux. Je pense que notre action est limitée, car nous ne sommes pas assez nombreux, massifs. Mais si je me dis « nous ne sommes pas assez massifs donc je m’arrête », en conscience je me sentirai encore plus mal. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas l’efficacité requise, nécessaire, que l’on va s’arrêter. Il reste l’espérance. Il y a là une première démarche existentielle qui montre notre engagement. Son ressort, son tonus, son équilibre dépendent de l’espérance. 

Publié dans Politique, Palestine, migration

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article