Tout part d’observations de bon sens. Pas de croissance infinie dans un monde fini. Stop ! Face à l’idéologie libertaire on réfléchit un peu

Publié le par Michel Durand

Colloque de CPP, Novembre 2014Colloque de CPP, Novembre 2014

Colloque de CPP, Novembre 2014

Communiqué de presse post colloque :
Quelle société voulons-nous ?

Nous étions 180 à participer au colloque organisé par Chrétiens et pic de pétrole. Le plus grand nombre fut présent à toutes les conférences et ateliers. Certains ne sont venus qu’à l’une ou l’autre des conférences ou tables rondes-débat.

Tous furent réjouis d’une telle réflexion rassemblant des horizons religieux et philosophiques bien différents. Un participant en témoigne ainsi : « Encore bravo pour la grande qualité de ce colloque : les thèmes choisis, les intervenants, l'organisation matérielle, j'ai apprécié chaque moment et malgré la densité il y avait beaucoup de fluidité, de chaleur, de respect et de convivialité. De plus, pour moi qui me suis éloigné de l'Église catholique depuis longtemps, j'ai découvert avec joie que l'Église pouvait être vivante et porteuse de préoccupations et d'un message proches de la Vie. Enfin votre approche me plait bien et malgré d'autres engagements associatifs, je souhaiterais rester en contact avec vous et si possible apporter une contribution concrète à la vie de l'association ».

Comme l’écrit François Pillard, membre de CPP, « tout part d’observations de bon sens : pas de croissance infinie dans un monde fini ; la croissance du reste est déjà en panne depuis un moment, il devient difficile de négliger les avertissements du GIEC, et les crises économiques, sociales, bancaires, écologiques, la dette, les inégalités, si monstrueuses qu’on ne sait plus dans quel ordre les prendre, comment les traiter. Alors stop ! Face à l’idéologie libertaire du toujours plus, toujours plus vite, on appuie sur pause et on réfléchit un peu ! »

Réflexion de François Pillard déposée sur le site de l’Antenne Sociale de Lyon :

180 personnes de tous âges, de tous horizons philosophiques comme géographiques, concentrés, réactifs, enthousiastes, ont fait vivre les murs vénérables du Lycée Saint-Marc pendant deux jours. La qualité de leur écoute, la sincérité de leurs questionnements ont été à la hauteur du menu qui leur était proposé, un menu à l’ancienne où se sont enchainées les spécialités les plus fines. Philosophes, écrivains, économistes, enseignants, politiques, théologiens, scientifiques, ingénieurs, théoriciens et praticiens de l’action sociale se sont succédé, apportant progressivement des éclairages nouveaux sur ce questionnement majeur de notre temps : Pourquoi devons-nous espérer, pour l’humanité, un autre destin que ce mur sur lequel elle semble vouloir s’écraser toute entière? Quelle conversion serait alors nécessaire ?

Tout part d’observations de bon sens : pas de croissance infinie dans un monde fini; la croissance du reste est déjà en panne depuis un moment, il devient difficile de négliger les avertissements du GIEC, et les crises économiques, sociales, bancaires, écologiques, la dette, les inégalités, si monstrueuses qu’on ne sait plus dans quel ordre les prendre, comment les traiter. Alors stop ! Face à l’idéologie libertaire du toujours plus, toujours plus vite, on appuie sur pause et on réfléchit un peu !

C’est vrai, nous sommes tous pris dans ce tourbillon, et tous amenés à collaborer (le retrait systématique conduit à la mort), mais essayons de garder un peu de clairvoyance : la question de la dimension, de l’ordre de grandeur, est essentielle, mais notre croyance dans le progrès technique nous aveugle et l’escamote du champ de notre réflexion. On crée de nouveaux outils utiles, dont on oublie vite la finalité, et dont on devient esclaves. Ainsi l’humanité gémit, à demi broyée sous le poids des progrès qu’elle a faits (Bergson). La démocratie, inventée pour de petites républiques, se cherche encore pour les grandes populations. Et nos entreprises, financières ou industrielles, soit disant « too big to fail » sont en fait « too big to manage ».

Mais revenons à notre république : Liberté, Égalité, Fraternité. Fraternité si souvent négligée. C’est pourtant elle que le pape François replace au cœur du politique sous le nom de Charité, c’est la fraternité universelle que proclame le Notre Père. Sans reconnaissance de l’autre en fraternité, pas de liberté, sans charité, pas de justice (Levinas). Si nos sociétés tiennent encore, c’est parce que des centaines d’associations travaillent au lien fraternel. Mais la fraternité requiert des conditions d’exercice : ce qui est possible à l’échelle du village disparaît avec la foule…

Et que dire de l’attirance pour des sommes d’argent toujours plus monstrueuses ? Dès 1931 Pie XI soulignait les effets pervers de la financiarisation. L’argent, instrument commode qui permet la liberté de l’échange est un bien public. Le thésauriser constitue donc un détournement de sa finalité. Et spéculer à haute fréquence fait carrément sortir du modèle économique dominant pour qui le marché équilibre offre et demande : de quel équilibre parle-t-on quand tout change à la milliseconde ? L’argent abondant induit des perversions, servant de coupe-file, achetant des droits à polluer, transformant les amendes infligées en droits nouveaux pour ceux qui peuvent payer. Force est de reconnaître que nous sommes baignés par une idéologie qui nous aveugle. Il faut prendre de la distance, il faut des veilleurs d’éthique : c’est là une responsabilité pour le christianisme.

Alors face à toutes ces crises, dont chacun est évidemment partie prenante, demandons nous pourquoi cet attrait morbide pour « toujours plus » : c’est en nous-mêmes que nous devons chercher, et d’abord dans nos peurs de la mort, de l’isolement, de la pauvreté…., peurs que nous pensons calmer par la recherche de puissance, et cette recherche, flattée à outrance par le productivisme, provoque un glissement de sens entre avoir et être. Or notre faiblesse est inéluctable : malgré les bienfaits de la technique, on ne peut éluder un travail sur soi-même, qui dure toute une vie, pour « chercher en nous-mêmes, et pas ailleurs, l’inhumanité à dépasser » (Etty Hillesum). C’est la sobriété volontaire qui permet alors de laisser émerger l’émerveillement, la confiance, l’espérance, de se présenter dans le dénuement. Renonçant aux comparaisons, désarmé, n’avoir plus peur de rien (Patriarche Athénagoras), et entendre enfin : « Sous le pavé de vos errances, je vous attends comme la nuit attend le jour » (Pasteur Francine Carrillo).

Il s’agit bien là de renverser complètement notre façon de penser, de chercher autre chose. En premier lieu, il faut remettre en avant la notion de biens communs, l’eau, l’air, les sols et tout ce qui est nécessaire à la vie humaine : tout cela nous appartient collectivement, et n’est donc absolument pas privatisable. Il faut se reposer des questions non sur le combien, mais sur le pourquoi et sur les effets. Méfions nous des discours TINA : There Is No Alternative. Prenons conscience que nos sociétés reposent sur des croyances partagées, progressivement figées en doctrines (Castoriadis). Remettons, avec Ivan Illitch les termes de croissance, progrès, au rayon des mythes et des mots toxiques. Il faudrait décoloniser nos imaginaires de cette croyance dans l’illimitation, qui est au cœur de la « science économique », et dont nous sommes à la fois agents et victimes. Notre société repose sur le gâchis et la rareté, il est possible de lui opposer une société d’abondance frugale, en se contentant du nécessaire. C’est une véritable cure, qui doit être individuelle et collective à la fois.

Mais peut-on refaire société, et comment ? Le système capitaliste est très résilient, mais on peut arrêter d’en être complices et refuser son paradigme, résumé dans le slogan de Buzz l’Éclair : « vers l’infini, et au-delà ». Rompons avec l’idée que la liberté consiste à transgresser toutes les limites : prenons la liberté de nous poser des limites, à la fois maxi pour une soutenabilité globale, et mini pour une soutenabilité individuelle. Nous pouvons placer en priorité politique absolue la question écologique : revenir à une empreinte écologique soutenable. Et dans ce but, il convient de préserver l’espace du Commun en démarchandisant notamment la terre, le travail et la monnaie, et de renverser la question sociale : non pas revendiquer tout ce que la société peut faire pour ses ayants droit, mais ce que chacun peut faire pour la préserver. Enfin la question de la démocratie reste posée, avec ce complément : qui représentera les absents (écosystèmes, générations futures, …) ? Et la justice pourrait resurgir avec le goût pour la pauvreté franciscaine (manquer du superflu), distincte de la misère (manque du nécessaire), en réhabilitant le partage, qui n’est pas l’échange entre possèdants.

Sachant que notre attitude est largement déterminée par nos représentations, historiquement forgées par la Bible (Dominez la nature !), que dit l’Église aujourd’hui de ces remises en question ? Notre Espérance doit être portée par notre regard sur la création, dont, par son Incarnation, Dieu reconnaît la valeur. Être créés à l’image de Dieu nous confère une mission : imager Dieu auprès de la création. Et le lavement des pieds nous montre de quelle domination il doit s’agir : nous sommes au service de la nature, notamment par l’historicité, notre domaine privilégié, dans laquelle le processus créateur est toujours à l’œuvre, et où la diversité du vivant symbolise la complétude de l’Amour divin. L’homme cocréateur, seule créature « capable de Dieu » selon Vatican 2, et qui reçoit le salut en Jésus-Christ, a le devoir d’entrer en communion avec la création, d’assurer sa mission de médiation et de permettre à toute la création d’entrer dans la glorification, entièrement récapitulée dans le corps ressuscité.

L’Église ne peut donc que s’intéresser à l’écologie. Dans son enseignement social, le premier document environnementaliste peut être attribué à Paul VI, lorsque, devant la FAO, il appelle à se défier des excès de la technologie au détriment du milieu naturel, mais c’est Jean Paul II qui, en 1990, établit un lien entre la crise écologique et la crise morale, en évoquant clairement la responsabilité humaine. Très marquée par le Père Lebret, l’encyclique Populorum progressio promeut le développement de tout l’homme et de tous les hommes, posant que l’humanité va dans le mur si elle limite son développement au mesurable. Portant depuis Rerum Novarum la critique des lois du marché, qu’il ne faut pas appliquer aux biens communs, l’Église, par Jean Paul II, pousse à l’intervention de l’État, et par Benoit XVI à réintroduire la gratuité dans l’économie : c’est le don qui exprime la transcendance de l’homme. Et Benoit reprécise que la destination universelle des biens, socle de la justice, doit s’entendre aussi vis-à-vis des générations à venir. Si l’Église ne propose pas de solution politique, elle pousse le chrétien à s’y engager résolument, car le politique relève de la Charité (Pie XI et Benoit XVI). Le principe de subsidiarité joue dans les deux sens, permettant à Jean XXIII dans Pacem in terris d’appeler à une gouvernance mondiale : à l’évidence, la question climatique relève de ce niveau. François s’inscrit dans la même veine, critiquant un système économique centré sur le dieu argent, et rappelant que la création n’est pas une propriété, mais un don. Pour l’individu, et en paraphrasant Gandhi, cela signifie qu’il faut vivre simplement, aujourd’hui, pour que d’autres puissent simplement vivre, aujourd’hui et demain.

Tout cela n’est pas que discours théorique. D’abord les dures réalités de la physique s’imposent à nous tous, parfois de façon cocasse, et doivent nous ramener à des ambitions raisonnables. Ensuite on constate que des ilots de mise en pratique, d’expérimentation, fleurissent à travers le monde. Ici des pratiques de bon sens démontrent que la casse sociale en entreprise n’est pas une fatalité, ailleurs la pratique démontre que la régénération biologique des sols fait plus pour les rendements que le gavage en produits chimiques. Une des recettes est de sortir du comment, de la technicité, et de la performance, pour se demander pourquoi on agit, et consacrer des temps d’arrêt d’abord à la contemplation ressourçante, ensuite à la concertation qui permet d’agir non en concurrence, mais en coresponsabilité. Et il y a là un chantier infini, car la question n’est plus aujourd’hui de trouver des solutions techniques pour éviter le réchauffement climatique, mais de trouver ensemble les façons dont nos sociétés peuvent s’y adapter.

François PILLARD, 10 novembre 2014

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