Un être humain (migrant) n’est pas un poids, mais un semblable, un frère et une sœur

Publié le par Michel Durand

Il barcone dei migranti, foto dell’anno per il Time ; http://www.lavocedellisola.it/2014/12/10/il-barcone-dei-migranti-foto-dellanno-per-il-time/

Il barcone dei migranti, foto dell’anno per il Time ; http://www.lavocedellisola.it/2014/12/10/il-barcone-dei-migranti-foto-dellanno-per-il-time/

Complexité et interdépendance des causes migratoires

Sciences Pô Lyon – 20/4/15. Par Jean-Pierre Cavalié – Mai 2015

En remerciant Jacques qui a transmis ce texte.

NB : Une pensée pour tous les migrant-e-s mort-e-s ces derniers jours en Méditerranée.

1. L’humain est un migrant :

Il a parcouru la terre de -500.000 et surtout -100.000 à -10.000. On compte une moyenne de 60km par génération. (Cf l’atlas des migrations de La Vie)

Nous aurions pu regarder les cartes des grands mouvements des civilisations et des grandes routes commerciales pour réaliser que l’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de ses migrations. Certaines ont été très violentes, et d’autres plus pacifiques. Alors, la question n’est pas : faut-il ou pas des migrations, mais peut-on faire en sorte que nos migrations soient : choisies – pacifiques – constructives ici et là-bas – en tenant compte de la capacité de la planète ?

2. La nouvelle donne :

Cf le rapport du PNUD 2009 « Levons les barrières ». Il chamboule plusieurs idées reçues :
Il chamboule la définition du migrant en ne s’arrêtant pas au franchissement des frontières nationales. Il intègre la réalité de la mondialisation et considère comme migrant toute personne qui se sent obligée de quitter durablement son lieu de vie (donc pas les touristes). Il en dénombre alors quasiment 1 milliard sur la planète : 1 humain / 7.

Sur cette base, il constate que les ¾ ne quittent pas leur pays : 740 millions à l’époque. Rien qu’en Chine, il y a 240 millions de migrants.

Ceux qui passent les frontières, on les appelle les migrants internationaux ; ils sont 220 millions, répartis ainsi : 70m S vers N ; 70m S vers S ; 60m N vers N ; 20m N vers S.

Au final, environ les 4/5ème des migrants restent dans un pays du sud ; ce sont globalement les pauvres qui accueillent les pauvres. Les pays du nord, si l’on reprend l’expression de Michel Rocard, n’accueillent pas la misère du monde et ils n’en prennent même pas leur part, si l’on tient compte du fait qu’ils accaparent 80% de la richesse monétarisée de la planète.

Les migrations vont donc dans tous les sens : Cf cartes Atlas C.W.W. p6 et 10 – diapos. Nous n’en sommes plus aux migrants jeunes hommes, provenant des anciennes colonies pour travailler et rapporter de l’argent à la famille au pays pendant 5 années environ.

Il constate aussi que les migrants développent l’activité économique et donnent plus qu’ils ne reçoivent ; ils créent des emplois ; et ils favorisent un véritable développement humain là-bas en direction des familles (alimentation, équipement, alphabétisation, autonomisation des femmes, baisse de la natalité).

Ajoutons qu’aujourd’hui, la moitié des migrants sont des femmes et on compte de plus en plus d’enfants. On migre beaucoup en famille.

Les transferts financiers représentent autour de 1200 milliards $, 6 à 7 fois plus que l’APD et le double des IDE. 1$ envoyé génère autour de 3$ de développement. Une augmentation de 10% des transferts génère une réduction de 3,5% de la pauvreté.

3. Des causes migratoires très variées :

J’en viens donc à notre sujet concernant la diversité et la complexité des causes migratoires. Je ne les chiffrerai pas, non seulement parce que j’en suis incapable, mais surtout parce qu’elles sont en fait très interdépendantes. Ces diverses causes sont en fait de multiples facettes qui, selon les lieux, les moments et les préoccupations des uns et des autres, brillent plus ou moins, comme les mini-miroirs des boules disco.

1. L’augmentation de la pauvreté et des inégalités. (diapo)

Les pays riches, essentiellement du Nord accaparent 80% de la richesse mondiale. Selon Oxfam, 80 familles les plus riches ont la moitié de la richesse mondiale. Pourtant, ce ne sont pas les plus pauvres qui partent le plus loin. Ça marche comme une centrifugeuse : plus on est léger, économiquement parlant, moins on va loin.

2. Les guerres et les conflits (diapo)

L’Europe est aux portes de nombreux conflits guerriers ; elle les connaît d’autant mieux qu’elle y a une sérieuse part de responsabilité. Ils servent notamment de prétexte à une présence militaire dans l’une des grandes zones pétrolières, notamment, de la planète. Cela ne l’empêche pas d’empêcher de passer, de refouler et de faire l’amalgame entre terroristes et demandeurs d’asile ; cf le conflit syrien.

3. Les persécutions

Elles sont liées au groupe ethnique, réel ou supposé, à la nationalité (racisme), à l’appartenance religieuse, au groupe social (femme, homosexuel), et aux opinions politiques. C’est l’objet de la convention de Genève de 1951 sur ce que l’on appelle généralement l’asile politique et qui est en fait beaucoup plus large.

Ces causes ne favorisent pas que des migrations internationales ; la plupart restent dans le pays ou vont dans le pays voisin ; cf pour le conflit syrien : 3,7m dont presque 2 en Turquie et 1,2 en Jordanie, le reste en Europe.

4. Les traditions migratoires

Mais il y a aussi des régions et pays qui ont des traditions migratoires fortes en anciennes ; cf par exemple en Afrique de l’Ouest. C’est lié notamment aux traditions nomades et à la complémentarité des économies régionales.

5. La mondialisation

Des espaces de libre circulation existent déjà (UE, CEDEAO) et donnent envie, montrent que c’est possible, voire souhaitable. Ils créent des habitudes et banalisent la migration.

Elle repose, d’une manière générale, sur le développement des mouvements sur la planète.

6. Les moyens d’information

Ils diffusent très largement les images et les envies d’ailleurs.

7. Les moyens de transports

Ils ont accru la rapidité, la facilité des déplacements et les coûts ont baissé.

8. Un relatif enrichissement

Malgré l’accroissement de la pauvreté, on constate en même temps une relative augmentation globale des revenus et des niveaux de vie sur la planète. Or le développement accroit les migrations, car il augmente les envies et les moyens d’aller voir ailleurs.

9. L’accroissement de la formation et de l’autonomisation des femmes joue aussi un rôle 

10. L'urbanisation montante de l'habitat urbain 

On vient de dépasser un cap : la moitié des humains vivent dans des zones urbaines. Cela favorise dans un premier temps la migration campagne – ville, puis ailleurs.

11. Le vieillissement de la population

C’est une réalité préoccupante dans les pays du nord. En Europe, nous sommes maintenant en dessous du seuil de renouvellement de la population (2,1 enfant/femme). L’Allemagne en est à 1,2 et la France 1,9. Face à cela, il n’y a que deux solutions : faire des enfants, mais ça prend du temps et encore faut-il que la population en ait envie ; et sinon, avoir recours à l’immigration.

12. La demande de travailleurs sans droit

Le modèle économique demande des travailleurs sans droit et pour cela on a fabriqué des travailleurs sans papiers, en complément de travailleurs en règle. Les migrants se déplacent d’abord là où il y a le plus de chance de trouver du travail pour faire vivre sa famille ; ce qui n’empêche pas d’être aussi demandeur d’asile.

13. Les diasporas jouent aussi un grand rôle dans l’orientation des destinations migratoires.

14. des raisons existentielles

Une part importante de migrant-e-s part pour des raisons existentielles : Ils/elles ont une bonne formation et un niveau de vie correct, mais il n’y a pas la possibilité d’exercer son métier comme il faut, on est surveillé, les femmes ont des droits limités, etc… L’impression dominante est celle de société « bouchée », fermée.

15. Le changement climatique qui se traduit par :

- Une augmentation de l’intensité et de la fréquence des catastrophes dites naturelles, mais dont, en fait et selon le GIEC, 9/10 sont liées au changement climatique. Aujourd’hui, chaque année, ce sont 210 millions de personnes qui sont concernées ; 5 fois plus que les victimes des conflits armés ; les femmes et les enfants en meurent 14 fois plus que les hommes. Cela désigne essentiellement des cyclones et typhons qui causent des inondations, et glissements de terrain...

- La pollution industrielle, dans 49 pays, hors 1° monde, fait 200 millions de victimes, selon Green Cross – étude 201.

- L’avancée de la désertification ; cela veut dire manque d’eau, mais il faut dire que la surexploitation agricole avec quantité d’intrants chimiques, notamment aux USA, désertifient.

- L’épuisement des sols lié au productivisme agricole, entraine à terme une chute des rendements et une baisse des surfaces cultivables. D’où la lutte pour le rachat de terre notamment en Afrique. Les paysans en sont chassés.

- Le manque d’eau potable qui génère des maladies. Déjà un problème pour 1/6° de la population. L’Himalaya alimente en eau au moins 40% de la population mondiale.

- L’accroissement des épidémies (chaud et humide).

- De gigantesques incendies qui ont tendance à augmenter.

- L’acidification des océans et leur réchauffement qui engendre une baisse des ressources pour la pèche particulièrement ; aggravée par la surpèche pratiquée par les pays riches.

- La montée des eaux ; 1 mètre prévu pour la fin du siècle.

Des causes très entremêlées.

Depuis quelques années des responsables de l’ONU dont le Haut-Commissaire aux Réfugiés, Antonio Guterres, relayé par le secrétaire général Ban Ky Mun, affirment que les raisons du départ sont très entremêlées. On peut les distinguer, mais on ne peut séparer les personnes en fonction de ces critères. Parmi les arguments, nous pouvons mentionner les suivants :

Le champ du politique englobe tous les domaines de la vie collective : la politique comme exercice du pouvoir de gestion, l’économique avec la production, la distribution, la finance, les transports, l’éducation, la formation, la santé, l’environnement, la culture, etc... Les autorités politiques exercent leur responsabilité dans tous ces domaines, avec bien entendu et fort heureusement, des liens entre eux. Sur le côté négatif, nous constatons que ce sont les mêmes pouvoirs politiques qui favorisent l’exploitation, mettent en place la répression et le contrôle de tous ceux qui bougent. Toutes les formes de domination, voire de dictatures sont autant économiques que politiques et idéologiques. Celles et ceux qui les fuient sont-ils des migrants économiques, des réfugiés politiques ? L’expression « réfugié politique » peut être adaptée pour tous les migrants évoqués par les Nations Unies, si on en garde au mot « politique » son sens premier.

En droit, ces causes sont aussi entremêlées. DCP et DESC doivent être « universels, indivisibles et interdépendants ». A Vienne en 1966, l’assemblée générale de l’ONU a défini les deux piliers des droits fondamentaux : les droits civiques et politiques (DCP), et les droits économiques, sociaux et culturels (DESC). La « conférence internationale des Droits Humains » (Téhéran 1968 et Vienne 1993) a affirmé que ces deux piliers, c’est-à-dire l’ensemble des droits fondamentaux, étaient « universels, indivisibles et interdépendants ».

J’ai commencé en disant et montrant que tous les humains sont des migrants. Nous sommes appelés à reconnaître également en tout migrant un être humain, comme nous, ayant droit aux mêmes droits fondamentaux. Alors on va peut-être dire qu’1 milliard de migrants/réfugiés à accueillir, ça fait beaucoup à gérer. Face à cela, sans doute pouvons-nous nous dire que :

- Un être humain n’est pas un poids, mais un semblable, un frère et une sœur.

- Toutes les études sérieuses affirment que les migrants/réfugiés sont une source d’enrichissement dans tous les domaines, ici comme là-bas.

- S’il y a une région du monde où l’on peut accueillir, c’est bien dans les pays du nord, les pays occidentaux, notamment, qui sont riches globalement et en voie de vieillissement.

- Le GIEC prévoit, si nous ne changeons pas de modèle économique et de mode de vie, il y aura d’ici la fin du siècle, au moins 1 milliard de migrants/réfugiés de plus. La migration est notre avenir, car elle sera notre salut.

Abdelmalek Sayad disait qu’avant d’être un immigré, on est un émigré. Votre démarche est donc la bonne lorsque vous vous demandez d’abord : pourquoi partent-ils ? Maintenant, dans le raisonnement, il faut aussi revenir à soi et se demander : qu’est-ce qui doit changer ici pour que ça change là-bas ? Pour enfin pouvoir se poser ensemble la question fondamentale : C’est quand qu’on va où ? Quel monde voulons-nous bâtir ensemble, pour nous et les générations à venir ?

Jean-Pierre Cavalié – Mai 2015

Publié dans Politique, migration

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