Grâce au dialogue de voisinage, surtout avec les anciens, il ne fut pas difficile de se réunir et de répondre aux attentes
Pour la revue du Prado Quelqu’un parmi nous, je termine ce jour la relecture du numéro qui porte sur le dialogue interreligieux. Beaucoup d’articles nous sont parvenus. J’en avais parlé – appel à écrivains – il y a quelques semaines. Avoir dû travailler à cette rédaction, des souvenirs se sont réveillés alors que j’étais curé en l’Église de la Sainte Famille à Villeurbanne. J’en dépose ici même le récit.
Il me semble que le premier mot concernant le dialogue interreligieux est celui-ci : accueil
L’accueil est la manière de recevoir une personne, un événement, une réalité, une situation. C’est la fête qui s’organise pour recevoir une personne ou un groupe qui arrive. On parlera éventuellement de réception et l’on remerciera d’avoir organisé un accueil chaleureux, enthousiaste, plein de promesses de bonne entente et d’heureuse collaboration future. Dans le cas contraire, on regrettera un accueil bien froid, une réception protocolaire sans âme où les personnes présentes se montraient toutes distantes les unes des autres.
Ceci dit, je souhaite donner le témoignage de l’accueil vécu avec les membres musulmans de la salle de prière d’un quartier de la banlieue est de Lyon. C’était dans les années 90.
Un peu d’histoire
Au milieu du XXe siècle, la campagne existait encore en cet endroit, mais les espaces de maraichage commençaient à disparaître. Un bidonville s’installait. Les baraques se multipliaient. Azouz Begag, né en 1957 à Villeurbanne, parle dans son premier roman Le gône du Chaâba, de son enfance en ce lieu proche de Croix-Luizet, actuellement l'espace vert de la Feyssine,
Le Chaâba ? Un bidonville près de Lyon au bord du Rhône ; c'est un amas de baraques en bois, trop vite bâties par ces immigrants qui ont fui la misère algérienne. « Ici comme ailleurs, lit-on dans la présentation du livre, les éclats de rire des enfants résonnent dès le lever du soleil. Les " gones " se lavent à l'eau du puits et font leurs devoirs à même la terre. Mais chaque matin, ils enfilent leurs souliers pour se rendre à l'école avec les autres... Là, derrière les mots inscrits sur le cahier d'écriture, de nouveaux horizons apparaissent. Un monde de connaissances, de rêves et d'espoirs à découvrir ».
Le bidonville est détruit en 1967-68.
Dans ce quartier, des religieuses de la famille franciscaine, les sœurs des Buers, fondées au XIXe siècle, dirigent une maison de retraite. « Cet EHPAD privé associatif, d’inspiration chrétienne et tenu par des sœurs, est conjoint à une cité de Villeurbanne ou les multiples HLM dressent, quelle que soit la saison, leur barre de béton », lit-on sur la fiche de présentation.
Ces religieuses avaient offert une de leur pièce donnant sur la rue pour qu’elle serve de salle de prière à la communauté musulmane. Cela devait être dans les années 70. J’ai connu cette situation en 1993 quand je suis arrivé sur la paroisse de la Sainte-Famille, quartier de Croix-Luizet, proche des Buers, pour assurer la mission de curé.
Le changement
Vers la fin du XXe siècle, la communauté musulmane pratiquante était devenue très nombreuse. Surtout, des jeunes étaient présents en grand nombre, beaucoup plus exigeants en matière de connaissance et de pratique religieuse que leur parent. Les locaux prêtés par les religieuses s’avèrent trop petits et inadéquats.
Par ailleurs, les sœurs des Buers devaient récupérer l’espace prêté pour mener à bien leur projet d’agrandir et de moderniser la maison de retraite.
La situation fut alors présentée à la communauté paroissiale avec la question : « comment dire aux responsables de la salle de prière qu’ils ne peuvent plus rester dans ce lieu ? » D’une certaine façon, les religieuses demandaient l’aide de la paroisse.
Le dialogue étant permanent avec des membres de la communauté musulmane, notamment auprès des anciens, il ne fut pas difficile de prendre contact et de fixer une réunion. Il semble me souvenir que nous nous sommes retrouvés au Centre Social tout proche des locaux paroissiaux. L’équipe d’animation pastorale de la paroisse, au sein de laquelle se trouve une sœur des Buers, a organisé la réunion. Alors que nous nous attendions à rencontrer plutôt des personnes âgées, ce sont des jeunes (30 – 40 ans) qui sont venus.
Les rencontres dans le dialogue islamo-chrétien
La première demande fut de savoir si la paroisse avait une salle plus grande que celle des sœurs à mettre à la disposition de la communauté musulmane. Nous avons répondu qu’il nous semblait opportun qu’ils soient complètement autonomes et qu’ils demandent à la Mairie ce dont ils avaient besoin. Puis, nous avons échangé sur nos modes de vie religieuse respective. Je me rappelle que, même si l’enthousiasme n’était pas débordant, il y a avait une bonne qualité d’écoute. Je fis la proposition d’un temps de prière tous ensemble, en silence. Là je vis que j’allais trop loin. Un jeune musulman a dit, si ma mémoire ne me trahit pas : « là, vous nous en demandez trop ».
D’autres, rencontres furent organisées, trois ou quatre en deux ans, me semble-t-il. Peut-être plus. Il y eut des rencontres dans la maison paroissiale de la Sainte-Famille. Il y eut, un groupe important, environ 80 personnes, moitié chrétiens, moitié musulmans, la visite de la grande mosquée de Lyon, boulevard Pinel et la visite de la cathédrale de Lyon. Nous y avons parlé d’architecture, du sens du sacré, de la place des symboles.
De toutes ces occasions de dialogues interreligieux, je pense pouvoir témoigner que le plus important fut l’invitation de la communauté chrétienne à venir à la prière du vendredi qui se tenait dans une salle dont j’ai oublié l’adresse. Je n’avais pu me rendre à ce temps de prière, mais un membre de l’équipe pastorale m’en a fait un rapport complet. La présence des chrétiens n’était pas anonyme. Elle fut signalée. Ceux-ci étaient témoins des efforts accomplis par la communauté musulmane locale de s’implanter visiblement dans le quartier.
De toutes ces rencontres, le souvenir le plus fort que je garde est l’invitation plusieurs fois répétées que je fis de prendre contact avec les responsables catholiques de l’Église à Lyon. Ce que nous vivons en ce quartier est si beau et si vrai que cela ne peut que s’étendre.
Encore un souvenir : les plans de la future mosquée.
Au cours d’une rencontre de ce dialogue interreligieux, les plans de la future mosquée furent étalés sur la table. Oui, il convient de souligner que l’idée de s’adresser à la Mairie s’étant concrétisée, un terrain fut attribué, vendu à la communauté musulmane pour y construire.
Comme nous avions visité des lieux de culte chrétiens et musulmans, nous avons parlé d’architecture. Or, je ne pus m’empêcher de le signaler, ce que les plans montrés nous faisaient trop penser aux édifices de l’Arabie Saoudite. « Un tel type de minaret, sera-t-il bien reçu dans le quartier ? » Donc, j’interrogeais, les plans. Interrogation impossible dus-je entendre, car « le plan de mosquée, c’est Dieu qui l’a donné ». Un grand silence s’ensuivit que j’ai interrompu en disant qu’un minaret marocain ne ressemblait pas à un minaret tunisien, algérien, égyptien, iranien… Nous n’avons pas prolongé le débat sur ce sujet.
Mais je peux témoigner aujourd’hui que l’édifice construit s’installe bien dans le paysage du quartier. Ai-je tort d’y déceler une conséquence de nos échanges interreligieux ?
Il est certain qu’un des jeunes (à l’époque) animateur de cette communauté, quand l’occasion lui fut donnée, affirme à la presse avoir découvert dans nos rencontres le goût, le désir et le chemin du dialogue interreligieux.
Aujourd’hui, les portes ouvertes de la mosquée, les initiatives de cette communauté
Pour terminer, je signale quelques réalisations récentes :
- Agissons ensemble pour la PAIX :
La mosquée Othmane en partenariat avec les mosquées Errahma de Villeurbanne, Essalem de Lyon 3 et El Mouhsinine de Meyzieu, Keren Or Synagogue libérale de Lyon, l’église Anglicane de Lyon et les paroisses catholiques de Villeurbanne vous présentent : La 9ème Journée Culturelle. Table ronde l’imam Azzedine Gaci, le père Christian Delorme, le rabbin René Pfertzel (28 février 2016).
- « Partageons le thé et la paix, délaissons la haine. Chers villeurbannaises et villeurbannais, la Mosquée Othmane vous invite tous les dimanches de 14h à 17h (janvier-février 2015). Le thé et la paix avec nous. Venez en famille, venez comme vous êtes ».
Et encore en cette même période : « pour la paix, nous nous engageons. Il n’y a pas mieux que le sourire et la bonne parole pour répondre au mépris et à la violence. Les extrémistes de tous bords veulent nous diviser ; nous ne leur donnerons pas cette possibilité. Que les évènements tragiques que traverse notre pays aujourd’hui soient pour nous une occasion de se rapprocher et de mettre fin à cette escalade d’incompréhension et suspicion ».
Nous voilà donc devant un très beau bouquet, les fleurs du dialogue interreligieux.
Lire ici un témoignage sur le thé de la Pais à la mosquée Othmane