Peut-on obéir à des décideurs qui ne connaissent pas le réel de la vie des citoyens, les conduisant dans une vie humainement appauvrie ?
Les disciples du Christ ne sont-ils pas tous des rêveurs ? Ils veulent que les hommes deviennent meilleurs par une conversion qui vient librement de leur cœur. L’intériorité prime. Pas de contrainte légale, extérieure.
Mais ils demandent aussi d’obéir aux empereurs, aux rois, aux chefs d’État. Voir la lettre de Paul aux Romains, 13, 1-2 : « Que chacun soit soumis aux autorités supérieures, car il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, et celles qui existent sont établies sous la dépendance de Dieu ; si bien qu’en se dressant contre l’autorité, on est contre l’ordre des choses établi par Dieu, et en prenant cette position, on attire sur soi le jugement ». Or, ces autorités supérieures édictent des lois qui s’opposent à ce qu’annonce l’Évangile. Ainsi l’esclavage. Voir la lettre de Paul à Philémon.
Onésime est, selon la loi romaine, esclave et il restera esclave. Seule une conversion du cœur permettra à Philémon de le reprendre à son service comme un frère. Révolution de la conversion intérieure. De cette pratique, il s’en suit que l’esclave, tout inhumain qu’il soit, n’a officiellement été aboli qu’au milieu du XIXe siècle et qu’aujourd’hui des formes d’esclavage demeurent.
Voici à ce propos un souvenir. Cela remonte au lendemain des 8 décembre dans le Vieux Lyon dans les années 1988-1995. « À cette époque, il était prudent de prendre un imperméable pour visiter le vieux Lyon. Plâtre, farine yaourts ou œufs pouvaient "choir" terme du moyen âge des mâchicoulis, pardon des fenêtres ». Voir ici un bref résumé où se trouvent oubliées les bombes à eau.
Le lendemain de ces 8 décembre, les commerçants, habitants et associations du Vieux Lyon étaient à la peine. Il fallait nettoyer vitrines et pas de porte. Quand le gel survenait, c’était une tâche qui prenait toute la matinée.
Je participais aux rencontres de quartier pour endiguer ce fléau et je proposais de rencontrer les chefs des établissements scolaires de la colline (enseignement catholique), pour rencontrer les élèves en première ligne dans ce combat ludique. Une commerçante s’est exprimée ainsi : « Michel, selon ce que tu dis, tu veux convertir les mentalités ; cela prend trop de temps. Il faut des lois. Il fait que les CRS puissent agir contre ces jeunes. Il faut que cela cesse tout de suite ». Aujourd’hui, je reconnais bien mon utopie : croire que les gens peuvent se transformer de l’intérieur, librement, sans contraintes extérieures. En septembre 1982, les évêques de France ont publié : « Pour de nouveaux modes de vie ». Que voit-on ?
Les fidèles chrétiens semblent ne pas avoir écouté. Les modes de vie n’ont pas changé, ne changent pas, ou si peu.
Que faire ?
Se mettre en désobéissance civile devant des lois émises par les autorités supérieures qui s’opposent aux droits humains fondamentaux ?
Tenir des actions contraignantes pour que les choses changent au bénéfice des personnes les plus pauvres et qu’il y ait plus de solidarité, de fraternité ? Occuper les banques, temples des dieux-argent de la finance ? Paralyser les industries productivistes qui ne profitent qu’à petit nombre ? Un progrès matériel au détriment du progrès humain ? Matérialisme contre humanisme. Bref, paralyser tous les systèmes en place pour qu’enfin les citoyens soient écoutés par les autorités en place.
« Le sérieux et la raison responsable sont aujourd’hui dans la rue ».
Que faire ?
Je me pose ces questions en lisant la prise de position de Gaël Giraud à propos de la réforme des retraites et le discours pour la nouvelle année d’Emmanuel Macron. Voir ci-dessous.
Si Gaël Giraud dit vrai, alors E. Macron est menteur ou inconscient des réelles réalités.
Le 27 décembre 2019, Gaël Giraud écrivait :
« Il nous faut aujourd’hui un régime de retraite post-croissance »
Dans une tribune au « Monde », j'explique en 7 points rapides en quoi le projet de réforme des retraites présenté par le gouvernement Philippe est à la fois contradictoire, inefficace et injuste, et qu’il ne résoudra pas les déficits.
"Le rapport Delevoye et les différentes déclarations du gouvernement dessinent un projet de réforme qui propose, dans les faits, le contraire de ce qu’il annonce et s’avère néfaste.
1 - Un régime qui signe la fin des régimes spéciaux ? Non : il en abroge certains, mais en conserve d’autres. Les régimes spéciaux des « policiers, des surveillants de l’administration pénitentiaire et des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne » sont maintenus. Pourquoi ceux-là et pas d’autres ?
▪️Hypothèse irréaliste
2 - Un régime qui permettra l’équilibre budgétaire en 2025 ? Non plus. Les calculs sous- jacents à la proposition Delevoye s’appuient sur une hypothèse du conseil d’orientation des retraites (COR) de croissance du produit intérieur brut (PIB) de 1 % à 1,8 % à horizon 2070. Hypothèse irréaliste compte tenu, à brève échéance, de la trappe déflationniste dans laquelle se débat notre économie, de l’austérité budgétaire mise en œuvre par ce gouvernement et, à long terme, de l’impact dévastateur du dérèglement écologique face auquel la COP25 vient d’enregistrer un nouveau refus d’obstacle de la communauté internationale.
3 - Un régime plus juste ? Non : un euro cotisé ne vaudra pas les mêmes droits à la retraite du fait de l’inégalité d’espérance de vie. Un ouvrier à 60 ans a devant lui, en moyenne, près de dix ans d’espérance de vie (donc dix ans de droits) de moins qu’un cadre supérieur. La proposition Delevoye n’en tient pas compte.
4 - Le COR chiffre le déficit de notre système de retraite entre 8 et 17 milliards d’euros en 2025. Une partie de ce déficit est creusée mécaniquement par le gel des salaires des fonctionnaires et la baisse des effectifs des salariés du public : moins de salaires à verser, ce sont aussi moins de cotisations. Pour les salariés du public, cette « justice sociale » est donc la promesse d’une double peine.
Mais, surtout, ce déficit est facile à combler : la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) prive l’État de 2,7 milliards d’euros de recettes par an, la « flat tax » [ou prélèvement forfaitaire unique] sur le capital, d’environ 1,5 milliard. Soit plus de 20 milliards d’euros de manque à gagner en cinq ans, dont les fameuses retombées positives pour l’économie n’existent pas. Il suffit donc de renoncer aux cadeaux fiscaux accordés par le gouvernement pour que l’éventuel déficit du régime de retraite en 2025 soit résorbé.
▪️Le vieux modèle Juppé
En outre, l’hypothèse de croissance du PIB sur laquelle sont construits les calculs du rapport Delevoye et du COR trahissent le fait que l’on n’a toujours pas compris que l’objectif de notre société, des plus jeunes en particulier, n’est pas — n’est plus, n’aurait jamais dû être — de produire plus, de faire plus de croissance (du PIB) et, ce faisant, de détruire plus vite la planète.
Il nous faut aujourd’hui un régime de retraite « post-croissance ». D’autant que la tendance longue, depuis deux siècles, est à la réduction du temps de travail, non pas à son allongement. Nous revoilà, au contraire, avec le vieux modèle Juppé des années 1990 à rebours du sens de l’histoire : travailler plus et plus longtemps, pour financer la retraite des plus aisés (puisqu’ils en bénéficieront beaucoup plus longtemps).
5 - Une « gouvernance innovante » ? Non : il s’agit d’une gouvernance antidémocratique. Tout comme pour l’assurance-chômage (dont le financement contrôlé jusqu’alors par les syndicats et le patronat sera désormais piloté uniquement par la CSG à la main de l’État), le projet Delevoye prévoit un recentrage du pilotage de la valeur du point de retraite au niveau de l’État. C’est, à l’image de la manière de gouverner d’Emmanuel Macron, saper la concertation et le dialogue social.
6 - Emmanuel Macron s’est engagé à ne pas reculer l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans. L’issue, pour le gouvernement, est donc de reculer l’âge pivot à partir duquel un retraité pourra bénéficier du taux plein et d’allonger la durée de cotisation. Or, conjuguée à la réforme de l’assurance-chômage (laquelle durcit les conditions d’accès, diminue les indemnités, instaure la dégressivité des allocations, raccourcit les durées d’indemnisation), cette « reprise en main » du système des retraites par répartition contraindra les seniors à accepter l’ubérisation du travail plus longtemps et sans filet jusqu’à ce qu’ils puissent percevoir leur taux plein.
▪️Indigence et misère
Pour une bonne partie d’entre eux, cela signifiera rester au chômage plus longtemps. Et comme ils n’auront plus droit qu’à des indemnisations chômage au rabais — voire atteindront très vite la fin de tout droit —, cela voudra dire, pour celles et ceux qui n’auront pas accès à une retraite par capitalisation, renouer avec l’indigence et la misère de l’après-guerre.
7 - L’insistance du gouvernement sur le caractère prétendument « injuste » de tel ou tel régime spécial en vigueur aujourd’hui est-elle inspirée par un souci de justice ? Non plus. Celle-ci exigerait que l’on débatte de ces régimes en fonction de critères de solidarité et non pas au nom d’un déséquilibre budgétaire que l’on ne se donne pas les moyens sérieux de résorber. Encore moins en imposant des choix arbitraires sur les régimes spéciaux que l’on conserve. De quoi s’agit-il, sinon d’une tactique usée, qui vise à diviser les Français entre eux en vue de neutraliser toute opposition ?
L’alternative n’est donc pas entre le supposé immobilisme de ceux qui voudraient que « rien ne change » et ceux qui, avec sérieux, tenteraient de sauver notre système de retraite par répartition.
Le sérieux et la raison responsable sont aujourd’hui dans la rue. Ils luttent contre un projet qui fait le contraire de ce qu’il annonce, est injuste, inefficace, prétend remédier à un déficit en partie creusé par la politique du gouvernement lui-même et que ce dernier pourrait combler facilement en renonçant à ses cadeaux fiscaux. Un projet, enfin, qui contribue à engager davantage notre société dans l’impasse d’un productivisme qui nous tue.
Gaël Giraud (Économiste, directeur de recherche au CNRS)"
Le 31 décembre Emmanuel Macron disait :