Si connaître la réalité de la prise en charge de la pauvreté est important, connaître les personnes qui survivent est encore plus important
Hier, en la maison Saint-André à Limonest, s’est tenue la récollection « un avenir plein d’espérance - les pauvres voient Dieu ». Certaines personnes ont préféré s’abstenir. d’autres sont venues. Nous les avons accueillis. Nous étions une petite vingtaine.
Eliane du groupe de préparation a rédigé ce texte que je trouve tellement beau que je ne vois pas comment je pourrais le garder pour moi tout seul. Alors je vous le partage. Ci-dessous, je vous donne également à lire le livret de la journée.
Qui sont les pauvres, aujourd'hui ?
« Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits. »
C'est ce mot de la prière de Jésus que je vais essayer d'aborder avec vous.
Tout-petit : c'est d'abord l'enfant qui vient de naître, tout frêle, la peau encore toute fripée... dépendant intégralement de ses proches... et, si nous naissons égaux, nous n'avons pas tous le même parcours.
Tout-petits : terme que nous utilisons peu aujourd'hui ; l'adjectif « tout » renforce la notion de « petit » qui fait penser à vulnérable, fragile, dépourvu, pauvre, démuni... celui que le monde ignore, méprise, rejette, celui qui fait peur… De tous ces termes, je retiendrai « pauvre » car c'est le vocable qui est le plus utilisé dans les différents modes de prise en charge et/ou de rejet au fil des siècles.
«... Des pauvres, vous en aurez toujours autour de vous…» (Jean 12,8) dira Jésus à ses apôtres.
Dans l'Évangile, les pauvres ont plusieurs dénominations : les affamés, les opprimés, la veuve, l'orphelin, l'infirme, l'aveugle, l’étranger....
Toutefois, la perception de la pauvreté et son ampleur ont considérablement évolué au cours des siècles, de même que les causes qui les produisent... et, pour corollaire, les stratégies de lutte contre la misère se sont diversifiées au fil des politiques…
C'est pourquoi, vous avez dans votre dossier un document qui retrace l'historique de la pauvreté : comment elle a été abordée au fil des siècles au plan politique et sociologique ; et, simultanément, comment l'Église a joué son rôle auprès des pauvres. Sur ce point, il faut rajouter Diaconia 2013 qui fut un grand rassemblement à Lourdes en mai 2013 suite à l'encyclique de Benoît XVI et l'appel des évêques de France en 2009, rappelant que le service des frères était l'affaire de tous les baptisés et non plus seulement celle des organismes spécialisés. Il y a eu tout un travail d'accompagnement, d'écoute, d'aide à la verbalisation dans les diocèses et, peut-être, y avez-vous participé ?
Mais si connaître l'évolution et la réalité de la prise en charge de la pauvreté est important, il l'est encore plus de connaître, reconnaître les personnes qui vivent -parfois, qui survivent ! - les différentes formes de pauvretés : culturelle, familiale, sociale, matérielle... toutes ces personnes «sans»... Souvenons-nous des gilets jaunes... du mal-être qu'ils exprimaient... et de tous ceux qui font partie de notre quotidien…
Pour ma part, en qualité de retraitée, je ne suis plus engagée dans des associations mais je reste disponible à l'imprévu pour des dépannages... C'est ainsi que depuis près d'un an, j'ai fait connaissance d'une famille syrienne qui a été déplacée de plusieurs pays avec ses deux enfants pour arriver en Maçonnais, accueillie dans un logement municipal et accompagnée par une association d'aide aux migrants en lien avec le Secours Catholique. La maman atteinte d'une pathologie cardiaque, est enceinte et nécessite de nombreuses visites médicales. C'est ainsi que je suis sollicitée pour être chauffeur. Et toute une coordination est structurée entre le médecin réfèrent de l'association, la traductrice bénévole, l'association d'apprentissage au français, le Secours Catholique... cela me fait penser au paralysé (Marc 2, 1-12) où il y a 4 hommes pour porter, élever le brancard jusqu'au toit... Jésus parle au paralysé- et ne dit rien aux brancardiers ! - car c'est bien le pauvre qui est au centre..., pas les ouvriers ! Sur ce point, j'aime bien le terme de « serviteur quelconque » (Évangile de Luc 17, 7-10.).
Il y a aussi une famille que je connais de longue date par ATD Quart Monde. La maman me sollicite souvent pour lui faire des courriers : «peux-tu m'aider à faire une lettre car j'ai R.V. avec .X.. (juge, assistante sociale, éducatrice...) je ne sais pas m'exprimer, j'angoisse et on ne m'écoute pas... ; pour ne pas bafouiller, je leur dis de lire ma lettre... » Nous nous installons devant l'ordinateur et elle me dicte ce qu'elle veut dire... là aussi, au fil des années, j'ai pu constater que sa relation avec les institutions avait changé et qu'elle est beaucoup mieux reconnue dans son rôle de mère…
C'est aussi, Madeleine qui aura son premier CDI (contrat à durée indéterminée) à plus de 50 ans ! Elle est plongeuse dans un restaurant et au-delà de son travail difficile, des horaires tardifs, ce qu'elle apprécie le plus, c'est de pouvoir échanger avec des collègues, d'être reconnue comme capable de travailler et de ne pas avoir besoin d'assistanat... Retrouvant de la dignité, elle a eu envie de « retourner à l'église » (selon ses termes) et elle m'a demandé de l’accompagner...
C'est encore Christiane qui a un lourd passé avec incarcération ; elle a de maigres ressources et elle doit faire appel aux assistantes sociales, aux organismes caritatifs ; elle en souffre ; lors d'une université populaire (lieu d'échange au sein d'ATD Quart-Monde) elle nous dit : « les assistantes sociales nous posent des questions pour comprendre notre situation et nous aider à devenir autonomes... Les associations posent des questions beaucoup plus brutalement : pourquoi vous buvez... mais l'aide est immédiate ; on repart avec un sac de nourriture... Bien sûr, avec les assistantes sociales, ça pourrait être bien mais c'est trop long... Et je ne suis pas sûre de vouloir changer de comportement... si rapidement ; l'avenir me fait peur... » Parfois, elle me parle de la foi qu'elle avait quand elle « était jeune » et un jour, elle me dit « apporte-moi la prière du « Je crois en Dieu » car je ne la sais plus….
Il y a enfin, Bernadette qui, malgré de nombreux troubles depuis son enfance, n'a jamais pu bénéficier de l'AAH (allocation aux adultes handicapés) et n'a jamais travaillé ; son mari, ancien parachutiste et boucher en invalidité, a été amputé des deux jambes... Un déménagement s'impose pour un logement adapté et tout cela se déroule avec un courage extraordinaire : famille pauvre socialement, culturellement mais riche d'une solidarité familiale tant au sein du couple qu'avec les enfants qui les aide « à franchir les montagnes », selon leur expression ! Nous nous voyons assez régulièrement et rarement nous parlons du « Bon Dieu » terme qu'ils emploient pour dire leur confiance dans l'avenir... car « il y a quelqu 'un de plus grand que nous... »
Toutes ces personnes sont pauvres, c'est certain... et, encore, nous ne parlons pas de leur vie quotidienne dans des cités ou des quartiers éloignés du centre-ville ou les transports en commun sont nettement insuffisants. Donc, la marche à pieds s'impose pour aller chercher du pain, le journal, un des rares liens parfois avec la société…
Oui, pauvres matériellement, socialement, mais quelle richesse de cœur ! « Riches de leur pauvreté » disait un prêtre. Souvent, dans ma prière, je rends grâce de ces rencontres, ces confidences et je demande au Seigneur de rester « quelqu'un de petit » avec l'oreille suffisamment fine pour entendre ce qu'IL a à révéler.
Les pauvres voient Dieu