La foi chrétienne est relation à Dieu et appelle au niveau horizontal la double dimension communautaire et personnelle, les deux se tiennent
Toujours dans le cadre de la revue trimestriel du Prado, "Quelqu’un parmi nous", je reçois cette page d’un confrère rencontré, il y a quelques années au séminaire du Prado à Limonest (Rhône). Je suis heureux de la placer ici et de la mettre ainsi en lien avec ce qui fut précédemment publié. Voir ici et ici et ici.
L’Église à l’ère du Covid19.
Pasteurs et fidèles, citoyens de la cité terrestre, tous sous le vocable du confinement et face à l’épidémie, nous avons été poussés à la reddition de la liberté autodéterminée et à la capitulation du sentiment de la toute-puissance de l’homme. La réalité du confinement n’est-elle pas un rappel à l’ordre que nous sommes des êtres fragiles et vulnérables, et surtout dépendants les uns les autres dans une « humanité-une » ?
Du nouveau sur terre, l’être humain doit renoncer au contact physique avec ses semblables. Face à "l’ennemi invisible" et à la distanciation sociale qui s’impose comme mesure barrière se dissimule aussi notre rapport vrai ou faussé à la notion du risque et notre méfiance vis-à-vis de nos semblables. Du coup, chacun de nous est danger potentiel pour l’autre et vice-versa ; on s’évite, sinon on se fuit. Avec cette pandémie, c’est tout le travail du lien social qui a été dénaturé, déstructuré et même sapé.
La notion de la distanciation sociale ne serait-elle pas révélatrice d’un horizon de plus en plus pressant, celui d’une société sans contact ; celle qui favoriserait le travail derrière l’écran et esseulerait davantage des personnes ?
D’où la forte résurgence sur nos lèvres du champ lexical : visioconférence, télétravail, télécollaboration, plateforme, borne, automate, distributeur, self-service.
Sous le vocable de la distance sociale, les citoyens de la terre ont été séparés les uns des autres par la fermeture de frontières, les patrons ont été séparés de leurs salariées, les parents de leurs enfants, les petits-enfants de leurs grands-parents, des pasteurs de leurs fidèles. La notion de la proximité a été mise en déroute ! Le voisin du coin est aussi un danger potentiel pour soi. Il faut donc rester chez soi pour vivre sain et sauf.
Dans cet engrenage, l’Église a dû se repenser : privée de ce qui fait le cœur, l’essence et la raison d’être de l’Église en tant qu’Assemblée convoquée pour se nourrir à la table de la parole et à la table de l’eucharistie, l’Église devrait renouveler sa façon de vivre la communion. Mais la messe à la télé peut-elle étancher la soif de l’eucharistie ? Certes, non, la messe à la télé est un palliatif qui ne saurait suppléer pleinement à la participation effective des fidèles à la célébration eucharistique où les frères et sœurs dans foi sont appelés à vivre la fraction du pain, signe du partage et de la communion fraternelle.
La distanciation sociale mine l’expérience chrétienne fondamentale. La foi chrétienne est relation à Dieu et appelle au niveau horizontal la double dimension communautaire et personnelle, les deux se tiennent. Ainsi la communion à la mode "drive" ne saurait être promue sans altérer la substance de la communion fraternelle. Et d’ailleurs aucun sacrement ne peut se vivre pleinement en mode "drive", ou préparer à distance. Le contact interpersonnel est structurant de notre vie en société et de notre vie en Église.
Jean MPONGO VEDI, Oyonnax 16 mai 2020.
Lisons encore, si on le souhaite, cette page de La Croix, samedi 30 mai 2020, transmise par Robert Divoux, P.O. pradosien retraité (le jaune est de Robert)
Dans un vigoureux édito, Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix, soulève la question du quasi-silence de l’Église de France pour proposer la foi dans la société telle qu’elle est actuellement. Une attitude qu’elle analyse comme un choix : « se contenter d’entretenir un héritage ». :
Que nous est-il permis d’espérer ?
Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef
Messe ou pas messe avant la Pentecôte ? Le débat entre ceux qui, attachés à l’Eucharistie, souhaitaient recommencer tout de suite le culte et les autres, plus prudents, préférant attendre encore une semaine, aura donc agité la sphère catholique durant cette période de crise, avec ces vaines polémiques opposant les soi-disant classiques aux prétendus progressistes. Polémiques dont nous semblons avoir le secret, dans l’Église de France, depuis la Révolution… Sauf que ce débat est resté totalement confiné à l’intérieur de ce qu’il faut bien appeler désormais le « tout petit monde catholique ».
Qu’en retiendra la société ? Sans doute que, comme les libraires ou les grandes surfaces, les catholiques ont obtenu gain de cause pour leur « commerce d’hosties », pour reprendre une expression féroce du sociologue Olivier Roy. Après tout, la pratique catholique dominicale concerne 1,8 % de la population… De là à affirmer, comme le fait le sociologue (1), que l’Église est devenue un simple lobby chargé de défendre le pré carré de cette minorité de catholiques, il y a un pas qu’on ne saurait franchir trop vite. Car il ne faudrait pas être naïf. Dans une société où l’ignorance et l’indifférence à la religion sont grandes, il est important de défendre la pratique, et en particulier la liberté de culte. L’inculture religieuse dont a fait montre récemment l’actuel ministre de l’intérieur, pourtant ministre des cultes, montre bien que l’Église doit rester vigilante et ne pas compter que sur le bon vouloir de l’État.
Pour autant, doit-on se résigner à ce que la parole de l’Église ne soit plus que cela, une défense de l’institution ? En 1996, déjà, prenant acte du fait minoritaire pour le catholicisme, et après une large consultation, les évêques avaient publié un texte intéressant (2) expliquant que l’Église devait désormais « proposer la foi » dans la société, et non se contenter d’entretenir un héritage. Or ces deux derniers mois, mis à part cette polémique désolante sur la date d’ouverture, il faut bien admettre que ce fut un silence assourdissant de la part du christianisme. Chaque philosophe, intellectuel, artiste s’est exprimé sur ce qui se passait. De la part de l’Église de France, rien ou presque. À quelques exceptions près, comme la remarquable intervention de l’ancien maître des dominicains, le frère Bruno Cadoré, qui a «proposé », lui, une vision théologique et spirituelle de la crise (3). Mais sinon, peu de paroles fortes de l’institution à poser sur cette crise sanitaire et économique de dimension planétaire.
Il est regrettable de voir les spécialistes de la collapsologie envahir l’espace médiatique, sans que le christianisme, pourtant « expert du monde de demain », sache exprimer ce qui, à ses yeux, peut permettre aux habitants de ce pays de vivre dans l’espérance une situation aussi difficile. Les sources chrétiennes ne sont-elles donc pas à même d’aider à trouver un sens dans le combat mené contre une épidémie ? La Bible ne nous permet-elle pas de comprendre comment le désordre, l’impuissance, font aussi partie de la création et donc de notre condition d’hommes ? De distinguer entre les fausses idoles que sont le libéralisme et la consommation à outrance et la valeur de la vie à préserver ? De donner de l’épaisseur à la notion de solidarité que nous avons expérimentée tous les jours ? Nous, catholiques, sommes invités à devenir « témoins de l’espérance et de l’unité ».
Pour l’unité, au vu des polémiques internes, c’est raté.
Pour l’espérance, il est peut-être encore temps.
(1) « Le croyant est-il un consommateur comme un autre ? », par Olivier Roy, dans L’Obs.
(2) « Proposer la foi dans la société actuelle », 1996.
(3) « À l’heure du Covid-19, sur le moment et sur l’après ». Entretien avec le frère Bruno Cadoré par les Éditions du Cerf, accessible sur Internet.