Souvenirs : je découvre combien des rencontres banales orientent la direction du chemin à prendre et marquent sans le dire toute l’existence

Publié le par Michel Durand

Souvenirs : je découvre combien des rencontres banales orientent la direction du chemin à prendre et marquent sans le dire toute l’existence

Journal d'adolescence - suite

Mercredi 12 février (1958)

Hier, j’ai souhaité de posséder (maitriser) toutes mes pensées pour laisser place au travail. Et, chose formidable, mon esprit ne se dirige que sur le travail ou en grande partie. J’ai reçu cette grâce, j’en suis sûr. Mon caractère est cent fois meilleur. Je suis heureux, rempli d’une joie totale, une joie différente des autres. Ainsi, à la messe de division j’ai été, comme hier, très content de communier. Cette joie bien que je la considère spéciale est la vraie joie.

Je pense que Charles pourra être un ami ; il m’a confié est je lui ai confié.

 

Samedi 15 février

Hier et aujourd’hui nous faisons les compositions de l’examen semi-trimestriel. J’ai fait l’anglais et le français (orthographe) hier. L’anglais est bon. Mais le français, je doute. Samedi matin et samedi soir, c’est fait le reste. Aussi le soir à 5 heures, je suis libre et je vais à Digoin.

Dans le train où j’ai rencontré Martine avec une amie et deux autres filles, j’ai longuement réfléchi sur les examens. Mis à part la rédaction, mes compos sont bonnes. Cette réussite scolaire est en accord avec une journée splendide qui s’est bien passée . Je dis cela, car, bien qu’étant sur le départ en vacances, je n’y ai pas pensé.

Alors que je reçois une lettre de mes parents qui sont rentrés depuis deux jours de Paris, j’explique à Pierre quels disques il doit m’acheter à Moulins. Dans le train, je sens la fatigue m’abattre ; je dors presque.

 

Dimanche 16 février

Ce dimanche se passe en compagnie de l’oncle et la tante Chevallier. Ni le matin ni le soir ne furent désagréables, ceci grâce au beau temps qui malheureusement tourne à l’orage.

Forcés par le devoir (professionnel), mes parents durent se rendre au bal costumé organisé par la Commune de Digoin. L’ambiance était mauvaise, les danseurs et danseuses costumés piteux. Tout était moche. Sauf la personne avec qui j’ai dansé. Un masque (bourbonnais) de conversation intelligente et plaisante, mais bavarde. Nous avons  beaucoup discuté. Je me trouvais veinard de danser avec une étudiante (je la croyais telle) dans ce milieu affreux. Bien que ce masque féminin ne me connaissait pas, elle est arrivée par multiples questions à trouver mon nom. J’en étais surpris vu que je ne trouvais pas le sien en dépit de toutes les paroles. À minuit, au moment de se démasquer, j’ai appris avec stupéfaction que ma cavalière était la femme du secrétaire de Mairie que connait très bien papa. Honteux d’avoir tenu des propos peu dignes à une femme mariée, j’ai quitté le bal malgré les insistances de ma cavalière. Restez donc me dit-elle, nous nous sommes beaucoup amusés, continuons. Mais je n’en avais pas envie et le visage rouge, je quitte la salle sous le regard des personnes qui durent comprendre mon embarras.

 

Lundi 17 février

Suivant les habitudes de la pension, je me lève tôt le matin, tout comme hier. Fernande, la bonne, étant malade, je me donne en entier pour essuyer la vaisselle, faire le salon, la salle. Le soir, nous avons reçu à dîner Madame Aubertin, Paulette (sa fille) et Maurice (son époux). Je me suis, pour ne pas changer, montré un peu gauche devant eux. Ceci, peut-être à cause de Monsieur Aubertin qui est mort depuis deux ou trois mois.

 

Mardi 18 février

Dernier jour de congé qui se passe très bien. Je n‘ai pas le temps de m’ennuyer quoique sur le soir, le temps fut un peu long. Je sors avec maman pour acheter un complet ; il va être du tonnerre. En même temps, je mets les lettres pour Claude et pour Ruth à la poste. Maman a écrit à Claude et j’ai rajouté un petit mot.

Je pris rapidement mon diner et également rapidement je monte dans le train. Je rencontre ici Pierre qui, arrivé à Clermont, va chez sa tante pour passer la nuit. Aussi, je rentre seul à la boite.

 

Mercredi 19 février

À 9 heures a lieu la reprise des cours. Tout à ce sujet se passe bien. À ce sujet ! Car il fait un froid terrible.

Charles s’est bien amusé pendant les vacances quoi d’il soit resté à Clermont. Il a vu ses parents qui, en accord avec le frère inspecteur, permettent à Charles de sortir tous les jeudis et un dimanche sur deux. J’aimerais être à sa place : un semblant de liberté. Mais je pense que ces sorties ne me satisferaient pas. Ce dont j’ai besoin, c’est d’aller à Digoin, dans ma chambre, chez mes parents.

 

Jeudi 20 février

Je me rends comme chaque jeudi après-midi à Blanza. Sur le conseil de l’aumônier, nous avons discuté sur divers points qui ne gazaient pas du tout. La discussion fut vaine. Nous avions tort d’avance ; c’est un principe. J’avoue que je peinais à réussir dans la discipline, mais j’étais novice. Ce que je comprends ce mois, c’est le blâme lancé sur les élèves de Godefroy. Les habitants de Blanza, par la bouche de Laporte, voient en nous de mauvais sujets, donnant le mauvais exemple. Ainsi il est dit que nous avons donné la permission de fumer. Ce qui est faux. Fous de colère et las de disputes spectaculaires, nous avons quitté définitivement le patro, nous avons quitté ces gens de mauvaise foi, de mauvais caractère. Nous espérons former un autre patron, mais lequel ?

 

Samedi 22 février

J’espère, dès le matin, connaître le résultat  de l’examen. J’ai peur, car je ne suis pas sûr d’être bien classé. Mon inquiétude fut inutile, car je suis deuxième après Escarguel et avant Lantier. Ma note en maths est assez bonne ; en géométrie, je dois faire mieux. Mes parents seront surement contents en apprenant ma place : deuxième ! Cela fait longtemps que je désire cette place.

Je suis heureux, cela se conçoit ; aussi est-il dommage que la pluie fasse objection à mon bonheur. Il pleut continuellement. Ce qui me donne l’impression d’être ici depuis longtemps alors qu’il n’y a que 5 jours que je suis rentré.

 

Lundi 24 février

J’essaye de voir l’aumônier qui, à plusieurs reprises, était absent ou occupé. Je ne l’ai pas vu. Cette visite avait pour but le patronage, mais j’espérai discuter sur ce qui me concerne intimement. Cette entrevue manquée, la lassitude peut-être, a fait de la journée une journée passive. J’ai cependant formulé positivement une remarque déjà ancienne. En pension, j’éprouve le besoin de penser, de rêver, de me disposer à la méditation en m’étendant seul dans un près. Tandis qu’à la maison, toutes ces choses de l’esprit, des sens, du cœur, de Dieu ne me disent rien. En un mot, je me pose beaucoup plus de questions en pension qu’en vacances chez moi.

 

Mardi 25 février

Cette fois, l’aumônier Guillaumon est dans son bureau. Gilles Palluat et moi-même allons le trouver pour le patro. Nous avions peur, mais l’abbé ne nous dit rien. Au contraire, il nous a donné raison, car après les disputes publiques entre moniteurs où nous avons été abaissés, nous ne pouvions plus avoir d’autorité. Je pense que la mauvaise réputation que nous avions à Blanza fut produite par d’autres camarades qui l’an passé se donnaient libre cours à la fantaisie. N’en parlons plus. Ceci est une chose terminée ; nous sommes partis, laissant les autres avec leurs mauvaises paroles, ce qui est la meilleure solution. Un autre ennui subsiste cependant , nous n’avons plus de patron et il nous en faut un. Lequel ?

Cette idée accapare constamment mon esprit. C’et vers le soir seulement que tout fut arrangé. Nous irons au patronage de Notre-Dame-du-port qui manque de moniteurs. Comment cela va être ? Je l’ignore.

Il y a de la neige, mais comme il ne fait pas trop froid , j’espère que celle-ci sera disparue avant que mes parents viennent, c’est-à-dire avant dimanche.

Charles, après une angine, est descendu de l’infirmerie. Il a vu comme toute la classe quelques photos de villas magnifiques qui égayaient les murs de la salle. Il a vu aussi, en comparaison, la misère des mal-lotis à l’aide d’autres gravures. J’eus le temps de voir ces images jusqu’à 23 heures. Je dus en effet faire (écrire) 400 lignes.

 

Jeudi 27 février

C’est le premier jour que nous pratiquons ce patronage à la paroisse Notre-Dame-du-port. Notre début est bon ; il m’a emballé. Les enfants sont gentils et corrects. Quelle différence de mentalité entre ceux-ci et les petits paysans de Blanza. Ce qui me fit surtout plaisir, c’est le moniteur-chef. Il est l’amabilité même. Ayant 20 ans, il se trouve au séminaire pour la première année. Il est très simple, moderne, prompt. Vraiment sympa, il est toujours franc. En un mot, il possède tout ce qu’il y a de bon. Il est le type même de l’homme comme je l’apprécie. Ce n’est pas, comme on pourrait le penser puisqu’il est séminariste, une simili grenouille de bénitier, un bigot. Loin de là.

Avec toutes des rencontres heureuses, je suis content d’avoir quitté Blanza que je ne regrette pas.

 

Vendredi 28 février

Une joie incomparable, indescriptible s’empare de moi. Tout le matin fut ainsi ; j’étais littéralement transporté d’allégresse. Vers le soir cette joie s’est apaisée. Ce sont les maths qui en sont la cause, car je n’ai pas bien réussi. Il me reste cependant quelque chose de mon bonheur, de mon transport. (La joie qui m’imprègne est plutôt un transport qu’une joie réelle). Ainsi, à la récréation de 18 heures, l’envie de rêver me tente fortement. Je voudrais rester seul dans la cour, dans le calme, à ne rien faire, sinon à laisser mon esprit vagabonder d’étoile en étoile. Il en est de même dans mon lit où je me transporte vers le rêve si agréable, mais peut-être dangereux. (Évasion ?)

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