Avec tous, comment pouvons-nous vivre en bonne intelligence et finalement en amitié avec de pareils écarts dans les moyens de subsistance ?
Chaque année, ATD Quart-Monde sensibilise le grand public lors de la Journée mondiale contre la misère.© ATD Quart-Monde
Dans le quotidien La Croix du jeudi 30 septembre 2021, Emmanuelle Lucas, avec le titre : « Faut-il interdire les réseaux sociaux aux ados ? » écrit : « Pascal Plantard rappelle aussi que la culture libertaire du Web est particulière. “Elle n’est pas issue de la gauche anarchiste post-68, mais de celle de la Silicon Valley et du modèle californien, qui peut se résumer à ce postulat : ma liberté avant celle des autres. Au fond, l’idée est que la liberté doit payer. De là, on en oublie certains grands principes qui sont ceux qui permettent de protéger les plus faibles ”, explique-t-il, appelant à une prise de conscience politique. Celle-ci émerge lentement, estime le chercheur. Des communautés de militants numériques ancrées en Europe s’organisent pour demander une régulation. « On voit un peu partout émerger des groupes comme les partis pirates, la Quadrature du Net, en France, ou des communautés organisées autour des logiciels libres et de Wikipédia », note Pascal Plantard. Ces mouvements, disparates, ont tous un point en commun : demander une remobilisation concrète de l’État pour ne plus laisser aux familles seules la charge parfois écrasante de la surveillance numérique ».
L’individualisme actuel peut se comprendre avec le célèbre slogan America first. Être le premier grâce à l’argent gagné, concret ou virtuel, qui me permet tout y compris d’écraser les très faibles.
Dans cette méditation sur l’individualisme je donne la parole à Jean-Marie qui adresse à tous une invitation à changer de modes de vie, ce que la pandémie du covid devrait nous inviter à faire.
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Hier, j'étais à Orléans.
J'avais l'idée d'aller faire un tour en centre-ville, au matin, vers les huit heures ; j'y suis allé.
Je me trouvais dans le secteur de la Place du Général de Gaule, en ce creux de mois d'août, à l'heure où les personnes se rendent à leur travail – et elles s'y rendaient, au travail, pour une part d'entre-elles en tout cas, le regard vide, le cœur lourd me semblait-il.
Pour l'autre part : c'était dans une bonne proportion des personnes plus ou moins errantes, qui sortaient pour ne pas être seules… mal fagotées, parfois blessées, handicapées, ayant bu… je n'en revenais pas !… J'avais pourtant déjà vu pareilles scènes lorsque j'habitais Grenoble voici presque dix ans – mais la situation s'était manifestement dégradée, véritablement aggravée.
J'en venais à presque errer, moi aussi.
Sous le choc.
Je cherchais un regard, une attention, une attention dirigée – si ce n'était vers l'autre, tout du mois vers l’environnement qui nous intéressait… je vis à un moment donné un homme, un homme tout simple pourrait-on dire : la quarantaine, de petite corpulence, assis sur le rebord d'un massif de quelques arbres, en face de la CPAM.
Son allure était particulière, un peu de guingois, le visage dirigé vers le sol ; il avait dans sa main gauche une canne blanche d'aveugle et repliée.
Il attendait.
Je ne sais ce qu'il attendait, en fait… j'y suis allé presque instantanément, je suis allé vers lui.
« Bonjour, est-ce que vous pourriez m'indiquer comment se rendre à Notre-Dame des Miracles ?... »
Je prétextais une recherche pour entamer la discussion.
Il m'indiqua l'endroit, gentiment, avec un très léger sourire…
Je souhaitais parler davantage avec lui, engager véritablement la conversation :
« Vous semblez être un peu philosophe, non ?... »
Il ne me répondit pas.
« Vous étiez dans vos pensées, en train de réfléchir ?... »
Il ne me répondit pas davantage, et appuya un peu plus son sourire qui devint manifeste.
Il était beau, démonté, cassé, brisé d'une certaine manière – mais beau, oui.
En fait il était vrai.
Ensuite et assez rapidement, finalement, je l'ai quitté, pour effectivement me diriger vers Notre-Dames des Miracles… et chemin faisant : j'avais dans la tête et le souvenir d'avoir vu, la veille, toujours à Orléans, en centre-ville, de grosses voitures… de très grosses voitures, des personnes qui circulaient, et pas qu'une seule, qui avaient de l'argent, manifestement beaucoup d'argent… comment était-ce possible ?!… Comment pouvions et pouvons-nous donc vivre en bonne intelligence et finalement en amitié avec de pareils écarts dans les moyens de subsistance ?…Je n'avais aucune réponse à donner à cela – je n'en ai pas d'avantage aujourd'hui, si ce n'est le fait que si nous persistons délibérément dans nos manières de vivre, dans nos manières de faire, avec cet individualisme et cet égoïsme parfois éhonté qui nous habite, qui nous possède : nous irons alors au clash, à une violence aveugle, à une sorte de guerre civile dans le pire des cas… et quel drame cela constituerait alors ; quelle catastrophe tout à fait indicible !
Je garde, en mon cœur, ce léger sourire de l'homme qui voyait tout…
Jean-Marie Delthil. Bonny-sur-Loire, le 7 août 2019