L’action est, parait-il, dangereuse. On s’oublie dans l’action, comme le fait Malraux. Est-ce que, moi aussi, je m’oublie dans l’action ?

Publié le par Michel Durand

L’action est, parait-il, dangereuse. On s’oublie dans l’action, comme le fait Malraux. Est-ce que, moi aussi, je m’oublie dans l’action ?

Opération vérité, suite de la lecture du journal d'adolescent

 

8 juillet 1959

Les vacances sont très néfastes pour l’esprit ; elles incitent dangereusement à l’oisiveté. Comme je ne veux pas sombrer dans l’ennui, j’essaye d’occuper tous mes moments de la journée. Je ne m’arrête pour ainsi dire pas. Tour à tour je fais de la lecture, de la réflexion morale et religieuse , des travaux physiques ou manuels. Cette dernière occupation me repose des occupations précédentes, car je ne peux pas lire toute une journée. En plus de ces moments qui sont personnels, je prends contact avec les camarades de Digoin ayant mon âge. Il est mieux, je pense, de s’étendre autour de soi plutôt que de se replier dans sa demeure ce que j’aurais tendance à faire. Un voyage aux châteaux de la Loire pendant huit jours m’éloigne également de l’oisiveté. Comment pourrait-on appeler ce dont j’utilise pour mes vacances ? Je crois que le seul mot qui résume tout par son sens vague est « l’action ». J’agis en effet quand je parle aux camarades, quand je lis avec de la réflexion, quand je voyage, etc. Mais l’action est, parait-il, dangereuse. On s’oublie dans l’action, comme le fait Malraux. Est-ce que, moi aussi, je m’oublie dans l’action ? C’est dans un sens contraire que j’en use ; c’est non pas pour m’oublier, mais pour me découvrir. Si je me laissais aller par l’oisiveté, dans ce cas, je m’oublierais ; dans ce cas, je ne saurais pas qui je suis. Et l’action a pour but chez moi de lutter contre l’oisiveté, de conserver mon esprit éveillé, ce qui me permet de me pencher sur les livres, sur les autres afin de savoir.

Quand je parle d’action, c’est à une échelle personnelle, c’est pour mon propre bien (peut-être égoïste) et je n’essaie pas d’entraîner les autres, ce qui serait de l’action en masse ; de l’activisme, lequel est jugé néfaste.

 

15 juillet

Le huit juillet, j’ai jeté quelques mots pour un contrat avec des garçons de mon âge. Ce contrat, je l’ai pris au club nautique. Nous étions un groupe et nous parlions de choses futiles, mais j’ai vu que je pouvais très bien faire de ces garçons et de ces filles des camarades. Je poursuis ce contrat en assistant chaque mardi à une réunion au foyer des jeunes. Réunion dirigée par l’abbé de Digoin qui ne s’est malheureusement jamais montré. Le rapport avec les camarades s’est enfin  affermi le jour où, ayant envie de faire une surboum et n’ayant pas de salle, ils se sont repliés dans un garage non terminé que mon papa nous a prêté. Tous étaient enthousiastes à la vue de ce garage. Ils y ont dansé - et moi-même - durant trois jours successifs. Le groupe était tellement heureux de cette découverte qu’il a parlé de créer un club privé installé en permanence dans ce garage ; mais, papa refusa. Nous étions déçus, mais nous avons compris que cela pouvait attirer des ennuis à cause du bruit et des voisins. C’est surtout durant les trois surboums que j’ai pu voir ou tout au moins constater la pensée des camarades. La majorité cherche à flirter, mais leur flirt n’est pas excessif. Ils veulent surtout s’amuser, passer agréablement leurs vacances. Je les ai trouvés très superficiels sauf quelques-uns qui cherchent. Mais ceux-ci cherchent en dehors de Dieu. Ils veulent se faire une vie humaine, terrestre et en profiter. Personnellement, je ne veux pas profiter de la vie en tant que plaisir. La seule chose que j’ai pu constater c’est qu’il m’était difficile de m’adapter à toutes les conversations. J’ai également constaté que, sur le point de vue religieux, je vois Dieu d’une manière différente et cela doit être pour ceci que je ne les comprends pas beaucoup, pas toujours. Je ne comprends pas en effet, pourquoi ces types de 17, 18 ans, s’abîment le cœur par le flirt.

Tout ce que je viens de dire est très relatif. Je ne veux pas que l’on croive que je regarde mes camarades de haut. Si je désapprouve ce qu’ils font, eux peuvent désapprouver ce que je fais.

Je ne comprends pas le flirt, je ne comprends pas mes camarades… peut-être est-ce que notre vision de la Vie n’est pas la même.

 

20 juillet

Je suis très dur avec mes parents et j’ai l’impression  de vouloir conserver une certaine distance avec eux. C’est ainsi que je refuse souvent les baisers de maman. Pourquoi ? Je devrai au contraire être heureux d’être entouré d’affection. Quelquefois je justifie mon attitude froide en me disant que refuser les baisers de maman est un moyen pour m’éloigner des choses de la terre ; mais est-ce être matériel que de recevoir de l’affection d’une mère ? Je pense plutôt être un ingrat. Je suis en tout cas ingrat vis-à-vis des parents. Et pourtant, ne m’arrive-t-il pas de rendre l’affection de maman par la prière ? Mais cela suffit-il ? Si je n’aime pas, comment faut-il faire pour aimer ? Si je ne montre pas que j’aime, comment faut-il faire pour le montrer ? Et puis, est-ce que j’aime ma famille ? À toutes ces questions, je ne vois qu’une réponse, c’est que mes sentiments pour les autres et pour Dieu semblent plus forts que ceux que je porte à ma famille.

 

12 août

Il est 22 heures et je me promène dans les rues de Saint-Tropez. Les boites viennent de s’ouvrir. Il y a donc du monde. Un monde qui déambule sur le port et les rues perpendiculaires au port. La foule est considérable. Il est trop tôt pour danser. Les garçons dans cette foule sont presque inaperçus sauf ceux dont la chevelure est abondante. Les filles par contre rayonnent de couleur et d’excentricité. Leur démarche est calculée de même que le maquillage qui, plus que beau, est abondant, surtout autour des yeux, lesquels sont prolongés par un coup de crayon. Il n’y a rien de naturel dans tout ceci, même leur joie, même les couples de 18 ans qui, se tenant par la taille, s’embrassent sans vergogne. Je les plains, car ils gâchent leur nuit et leur vie. Ce n’est pas moi qui suis malheureux, ce sont eux et le pire c’est qu’ils ne s’en rendent pas compte. Je préfère la compagnie de Dieu à celle d’une fille de famille hautement placée dans les fonctions dont l’allure est apprêtée. On peut dire que le monde de Saint-Tropez est pourri. Mais cela n’est qu’à Saint-Tropez et dans quelques autres villes ou coins du monde. Il reste des endroits où la vie n’est pas gaspillée par les plaisirs. Stupide serait de généraliser et de dire que le monde actuel est pourri. Il y a dans toutes les générations les bons et les mauvais et il faut voir ces deux genres d’humains.

 

13 août

Comme Pascal, je classe les travaux intellectuels, mathématiques, sciences, littératures dans les divertissements.

 

15 août

Il ne se serait pas normal de passer un mois en boite (la pension) et de communier une fois par mois si je passe trois mois sans m’approcher de ce sacrement. En plus, de cette pensée logique, je sens réellement le besoin de m’unir davantage au Christ par la communion. Ce désir, je l’ai déjà eu, mais je n’ai jamais pu le combler ; aussi étant encore plus heureux maintenant, je prépare au maximum ma confession. Le confesseur m’a surpris par un speech fait avant l’absolution. Il était court et net ; il m’impressionna beaucoup. Voilà ce que m’a dit le prêtre :

  • voulez-vous vous défaire de vos fautes ? Réponse : oui.
  • Travaillez-vous pour vous en séparer ? Réponse : j’essaie.
  • Employez-vous des moyens efficaces, concrets, techniques mêmes ? Et, à cette question je n’ai rien répondu pour la raison de n’y avoir jamais pensé.

Comme je suis heureux que l’on me posât ces trois questions ! Cela m’a donné l’occasion de réfléchir, de méditer dessus.

 

16 août

Avant de partir en vacances, j’ai discuté avec Raymond durant deux dimanches soirs successifs. À ces conversations nous avons fait le bilan des actions et faits de la JEC ; nous avons discuté des vacances. Pour la JEC nous ne savions pas dans quels liens devaient se faire nos contacts avec les camarades. C’est-à-dire que nous hésitions entre la camaraderie franche, la camaraderie indifférente, l’amitié. Comme réponse à ce problème, il est dit d’imiter Notre Seigneur Jésus Christ en lisant l’Évangile. Imiter, ceci est facile, mais lire… demande plus de volonté.

Pour les vacances, on s’est proposé de faire un lien postal entre les camarades de classe. Les adresses de tous furent polycopiées et distribuées, ce qui augmentait les raisons d’écrire. Mais cette correspondance interclasse n’a pas eu de succès. Pour les vacances également, il aurait été possible de réunir les camarades de classe en un camp de vacances situé en Alsace, ou sur le côté, ou dans les Pyrénées… enfin loin du centre. Il n’a pas eu non plus de succès envers moi-mes et les jécistes si bien que personne n’en a parlé autour de lui.

À ces entrevues, il a été également question de ce que je ferai. Je voulais profiter ds ces vacances pour me découvrir, affermir des idées et, très enthousiaste, je demandai à Raymond s’il était possible de lui écrire tous les 15 jours. Il était d’accord. Mais, il est aujourd’hui le 16 août et je lui écris pour la première fois. Au mois de juillet, j’avais le temps d’écrire, mais je ne savais pas quoi écrire. J’en conclus donc que les problèmes ne sont pas si nombreux que je le pensais. Je n’ai pas de problème au point d’en expliquer un tous les quinze jours. Raymond est d’accord avec moi et il s’est montré content dans sa lettre que je fasse cette remarque. L’homme est homme, il n’est pas un monstre constamment inquiet, ennuyé, comblé de problèmes.

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