Un fondateur ne peut fonder une action que s’il accepte la collaboration de beaucoup d’autres personnes et gardent avec lui une marche commune
Aujourd’hui dans l’Église, on parle beaucoup de synodalité. On se réunit en synode pour aborder les démarches synodales. Une étude du fait que nous travaillons ensemble - ou que nous pouvons travailler ensemble - au lieu d’obéir à un chef. Un Prince.
Dans la société civile, nous parlons de démocratie participative. Gouvernement par le peuple où tout le monde, y compris les citoyens les plus petits, les moins influents, les plus pauvres, les non instruits etc… prennent la parole, donnent leur avis.
Préparant le prochain Quelqu’un parmi nous, revue de la famille pradosienne, j’ai songé aux premières actions évangélisatrices d’Antoine Chevrier. Il n’aurait rien pu faire s’il n’avait pas été accompagné de Marie Boisson, Pierre Louat et bien d’autres personnes. Jean François Six, dans sa thèse d’histoire aborde cette question. Je le cite.
Antoine Chevrier, Marie Boisson, Pierre Louat… une équipe qui marche ensemble
Assurément au XIXe siècle, personne ne parlait de « synodalité ». Pourtant, Antoine Chevrier n’était pas le seul à agir, à décider des orientations à prendre quand des situations critiques créaient le trouble dans la petite équipe des catéchistes des enfants de la Cité de l’Enfant Jésus fondée par Camille Rambaud. Jean-François Six end parle ainsi dans « Un prêtre, Antoine Chevrier, fondateur du Prado » (p. 176-177) : « Nous pouvons donc avancer, avec certitude, qu'en proposant à frère Camille de devenir prêtre, Antoine Chevrier voulait faire de lui son premier compagnon pour le groupe de « prêtres pauvres » qu'il voulait fonder. Et que s'il voulait séparer l'œuvre des enfants de celle de la Cité, c'était pour mieux assurer cette fondation de « prêtres pauvres » qui mèneraient leur vie d'adulte au milieu d'un monde adulte. Des frères seraient, eux, consacrés au monde des enfants. Par ailleurs, il précise de manière radicale dans cette lettre la place du ministère sacerdotal : les « prêtres pauvres », insérés au cœur du monde ouvrier, i n'ont pas pour fonction de conduire et gouverner la cité, mais d'y réaliser un ministère « spirituel », l’évangélisation.
Toutes ces idées, le père Chevrier n'est pas seul à les remuer ; il écrit à frère Camille : “Ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que ces pensées sont les pensées de tous vos frères, de vos sœurs, et qu'elles ne leur ont été communiquées par personne ; c'était la mienne depuis très longtemps quand chacun en particulier m'a communiqué ses idées” (lettre 23 à Camille Rambaud à Rome, fin juin 1859. Peut-être le père Chevrier se trompe-t-il sur lui-même : s'il avait de telles idées depuis longtemps, il les a sans doute communiquées à d'autres, plus ou moins consciemment. En tout cas, cela indique à frère Camille qu'il y a, à la Cité, un extrême remue-ménage ; il arrive, de Rome, sans prévenir, à la mi-juillet. Il reprend en main la situation financière, réorganise les travaux de l'église (entrepris et abandonnés), et reprend le chemin de Rome le 3 janvier 1860. Frère Camille et le père Chevrier se sont-ils mis d'accord pour la dissociation des deux œuvres ? C'est une question difficile à résoudre. À la mi-janvier, en effet, frère Pierre - Pierre Louat - quitte la Cité pour habiter dans un petit local… à lamentée de Fourvière, afin d'y réunir de jeunes adolescents, de leur faire le catéchisme, et de les préparer à la Première Communion. Sœur Amélie - Amélie Visignat - quitte à son tour la Cité. Mais le père Chevrier empêche sœur Marie - Marie Boisson - de la suivre. Sœur Marie en a donné ce qu'elle a estimé comme la véritable raison : “Le père Chevrier ne voulut pas (du moins, c'est mon opinion) prendre la responsabilité de faire sortir l'Œuvre de la Première Communion de la Cité pendant l'absence de M. Rambaud qui, en ce moment, se préparait aux ordres à Rome. Il me refusa la permission de sortir de la Cité pour aller à Fourvière en ajoutant : “À moins que le cardinal ne vous le permette”. Il pensait peut-être que je n'oserais pas demander cette permission. Je la demandai pourtant dès le lendemain. Le cardinal me reçut fort bien, et me donna toute liberté pour quitter la Cité. Quand je vins en informer le père Chevrier, il parut tout surpris du résultat et me dit simplement : « Je n'ai rien à dire, puisque Son Éminence vous a donné l’autorisation”. Il semble que le père Chevrier n'ait pas pu convaincre frère Camille de la nécessité urgente de séparer les deux œuvres ; et que, devant le refus de frère Camille, frère Pierre et sœur Amélie, qui étaient très indépendants tous deux et par ailleurs s'entendaient bien, aient pris leurs responsabilités en quittant d'eux-mêmes la Cité pour fonder ailleurs l'œuvre de Première Communion. Le père Chevrier ne les a pas empêchés de partir, mais il n'a pas voulu les envoyer de lui-même, par respect pour la position de frère Camille. C'est ce même respect qui lui fait refuser à sœur Marie la permission de quitter la Cité. Sœur Amélie et sœur Marie vont habiter à Fourvière, près de la vieille chapelle de la Vierge Noire, chez une pénitente du père Chevrier, Mlle de Roquefort. Elles commencent par parcourir les différents quartiers de la ville et trouvent six petites filles. Les parents acceptent qu'on les emmène à Fourvière. Les enfants sont nourries et logées pendant leur préparation à la Communion. Mme Augier, qui avait habité la Cité pendant quelque temps, puis s'était retirée, ne partageant pas les vues de Camille Rambaud, assume la charge matérielle de la petite communauté… Frère Pierre ne demeure que quelques semaines à Fourvière. Fin janvier 1860, il trouve un local à la Guillotière : une pauvre baraque de deux pièces dans un terrain assez vaste (à l’angle de la rue des Trois-Pierres et de la rue Creuzet) ».