Développement personnel, analyse de l’orgueil. Je suis celui qui est orgueilleux et j’ai attendu tant de temps pour m’en apercevoir réellement
En saisissant sur mon ordi les pages de mon journal d’adolescent, j’observe que tout est bien banal et en même temps quelque peu mélodramatique.Ce jour, une page de série TV à l’américaine !
En toute transparence !… Ma lecture, relecture ressemble à une révision de vie qui engloberait toute une vie. Tentative de faire le point de ce que j’ai vécu au moment où approche la fin ; quoiqu’il en soit, une fin de monde. Invitation à prendre cette tranche de vie avec humour, détachement et sérieux.
Je pense l’avoir déjà écrit : aujourd’hui, quelle école les parents ont de leur enfants ?
Voire ici la page précédente de ce journal d’adolescent.
Lundi 1er août 1960
Je suis aux Contamines où je tiens la tâche de moniteur dans le camp Notre-Dame. Mon seul travail est de contribuer à rendre la vie de camp agréable. C’est un travail général qui demande ma présence un peu partout. Je dois également diriger les activités que l’abbé (vicaire à Digoin) me donne à accomplir. Et j’essaye de faire cette direction non pas par ordre de supérieur à subalterne, mais par suggestion en me mettant dans le milieu, en jouant avec les types (les enfants) que je considère comme camarades. Peut-être parce que je ne fais pas de différence entre surveillants et surveillés, on me trouve assez sympathique. Certains me l’on dit à plusieurs reprises. Ils regrettent même mon départ dans trois jours, car « mon successeur est moins intéressant », dit-on. Je suis surpris de ces paroles et tâche de réhabiliter le remplaçant. Je ne voudrais pas lui faire du tort. Mais je n’y peux rien ; on aa jugé sa nature, on a jugé la mienne. Il est impossible de ne pas avoir de préférence.
Le moniteur avec qui je travaille maintenant - celui-ci reste durant tout le camp - est très agréable.Il a le don, ou la grâce, de plaire aux plus jeunes. Il est très dynamique et très ouvert malgré son, âge avancé. Il est bon camarade.
Jeudi 4 août
Dans ce camp, nous avons fait de jolies promenades. Personnellement, j’ai vu après une marche d’une heure en montagne le chalet du mont Truc et le mont lui-même. Après une ascension d’une heure également nous avons vu le Mont-Blanc de Saint-Nicolas-de-Véroce. Et puis chaque matin au levé, je pouvais voir le mont Joly. Enfin, beaucoup de villes, de villages et de paysages variés. La montagne s’est découverte à moi cette année. J’ignorais les plaisirs qu’elle donnait et je ne peux retenir mon enthousiasme tellement il est grand. Ma semaine passée au Crey fut une véritable révélation, une découverte qui m’enchanta te telle sorte qu’aucun mot ne peut traduire mon impression.
Il y avait aussi cette vie de camp que j’ai découvert pour la première fois. J’ai aimé cette franche camaraderie et j’ai admiré cette vitalité que les types de 14 ans ont tandis que ceux de 18 l’ont perdue.
Mais pourquoi ne suis-je resté que 8 jours ? Mes parents depuis le premier août sont en Bretagne à Perros Guirec. Ils veulent que je profite de la villa louée. Et ils m’ont permis d’accompagner l’abbé dans la condition de revenir au début du mois. Ils trouveraient de mauvais goût que je prenne mes vacances ailleurs pendant qu’ils payent pour que je sois auprès d’eux. Cela m’ennuie de quitter de camp, car, à Perros que vais-je y faire ? Suivre mes parents ! Il n’y aura pas de camarades et les occupations de mes parents ne peuvent pas être les miennes. Bref, je dois partir. Je pars ; tant pis si je ne peux pas agir librement même pour aider un prêtre durant mes vacances. J’espère que l’année prochaine je ferais le camp en entier.
Jeudi 11 août 1960
Depuis le 4 août, je suis à Perros et, contrairement à ce que je pensais, mes vacances en ce lieu ne sont pas désagréables. Nous sommes tous très heureux et la compagnie de Pierrot (Chevallier, un cousin de Magny-Cours) et d’Elizabeth m’est agréable. Elizabeth s’est décidée d’accompagner ma tante (Charlotte Chevallier de Magny-Cours) au dernier moment. J’ignorais donc sa présence. Nous faisons tous les trois de bonnes parties : cinéma, dancing, bar pour la nuit et baignade, canoë, promenade en voiture pour la journée. Ainsi, nous avons fait en canoë une excursion à l’île déserte Tomé réputée très dangereuse (à cause des courants entre l’ile et le continent).
Cette vie est agréable, mais factice. On s’amuse, bien sûr, mais en tuant le temps. C’est une véritable existence de fêtard et j’aurais aimé ne pas voir les rapports très étroits de Lizbeth et de Pierrot.
Mardi 23 août
DU 15 au 23 août, je suis avec Anne-Liz. Pierrot et Lizbeth sont partis. La vie de cette deuxième partie de vacance est différente de la première. Papa, mon oncle (Chevallier) et Peter (époux de Claude) sont ici et nous allons plus souvent à la pêche. Je ne vais plus danser et j’en suis heureux ; mais nous allons très souvent au café. Il y a moins de joie, car il y a moins de jeunesse et de ce côté la vie est moins agréable.
Anne-Liz, l’autrichienne cousine de Peter, est presque constamment avec moi. Nous sommes en effet les seuls à nous comprendre. Non pas en français ou en allemand, mais en anglais, un affreux anglais d’école où les fautes de grammaire sont nombreuses. C’est peut-être parce que je m’efforce de lui être agréable qu’elle me montre une si grande confiance. Je cherche seulement à rendre son séjour intéressant pour qu’elle ait un bon souvenir de la France et de notre famille. C’est peut-être parce qu’elle m’a vu opposé à mes parents - j’ai eu plusieurs disputes en sa présence - qu’elle essaie de m’être sympathique. C’est peut-être sa nature. C’est peut-être de mon imagination, de mon illusion, mais enfin… Je constate seulement que des liens d’aminés se manifestent. Ils se manifestent sans que jamais nous les ayons exprimés par le vocabulaire. Cela eut été difficile dans une langue que nous connaissons mal. Quand nos regards se croisent, nous émettons un sourire ou, plus souvent, on détourne rapidement nos têtes. Vers la fin de son séjour en France, j’éprouve presque une gêne à sortir avec elle, car ce n’est plus l’amitié qui existe, mais l’amour. Et je ne veux pas de cet amour. Heureusement que ses 23 ans constituent une marge de sécurité.
À la veille de son départ, je me suis disputé avec ma sœur qui, aidée de ses larmes, manifeste sa colère. On m’a reproché de l’énerver, de ne pas avoir d’amour pour ma sœur, d’être égoïste, orgueilleux. Enfin, on m’a reproché beaucoup de choses et comme mon état est assez faible, assez déprimé - quelques contradictions suffisent pour me rendre triste - je dus quitter la table afin de cacher mes larmes. Anne-Liz fut sensible à mon émoi ; je le vis dans son regard plein de pitié. Après avoir repris des forces, je pus revenir ; le repas était terminé et tout le monde se préparait pour aller faire un tour. Je fais signe à Anne-Liz d’aller se préparer et je l’attends. Mes parents étaient loin devant et ce soir, nous étions vraiment seuls. Je n’osai pas la regarder ; elle n’osait pas me regarder. Son émotion se peignait sur son visage. Le silence même traduisait cette émotion. Était-ce le coup de foudre ? L’amour… Ce je ne sais quoi qui s’exprimait sans mot, uniquement par nos regards, nos gestes ? Était-il possible que je sois amoureux d’Anne-Liz ? D’où me venait ce trouble intérieur ? D’où venait l’attitude troublée d’Anne-Liz ? Elle chercha de m’expliquer en français sa pensée que je n’ai jamais connue, car elle n’arriva pas à s’exprimer. Sous un lampadaire de la ville, je vis son visage. Que ne fut pas mon émoi de voir ses yeux baignés de larmes ! Je pressais le pas afin de pouvoir rejoindre mes parents. Dans le groupe, je pourrai m’éloigner d’elle et c’est ce qu’elle souhaitait, car elle ne m’a pas rejoint.
Est-ce là une manifestation de l’amour ? Est-ce mon imagination ? Je ne peux le savoir, car je n’en ai cherché aucune preuve. Jamais je ne lui ai tenu le bras ou la main. Comme je souhaiterais connaître sa pensée ; j’aimerais connaître la phrase qu’elle n’a pas pu me dire.
Lundi 29 août 1960
La fin des vacances à Perros est assez triste. Mes parents s’amusent ; ils ont des distractions, mais je ne peux pas me distraire avec les mêmes choses aussi je m’ennuie, je suis triste. Je souhaite vivement la fin pour revoir Digoin. Les vacances, même au bord de la mer, ne sont pas intéressantes sans camarades. J’ai l’impression de perdre mon temps ; vivement que cela soit fini.
Souvent, je pense à Anne-Liz et répète, à moi seul, les phrases anglaises qu’elle pouvait prononcer. Sa voix était délicieuse. Une voix dans laquelle on devinait toujours son sourire. Non, il ne faut plus que je pense à Anne-Liz. Enverra-t-elle un télégramme une fois arrivée chez elle ?
Je pense également que je suis encore vivant, que ma fatigue du mois de juillet n’était pas due au cancer. Il faut un mois pour souffrir - comme le mari d’Odette - et ce mois est passé. Je suis vraiment stupide d’avoir de telles idées. Quelque fois, le soir je m’endors en pensant que demain je ne me réveillerai pas. Et le lendemain je suis réveillé.
La solitude me pèse. J’en connais le poids. Et pourtant je suis entouré de personnes. Des membres adultes de ma famille peuvent rompre ma solitude. Et bien, non. Même avec eux je suis seul. Peut-être parce qu’ils ne me comprennent pas ou peut-être parce que je me referme trop à leur joie.
Samedi 3 septembre
Je prends conscience de mon orgueil. Seulement maintenant.
Depuis l’âge de10 ans, maman me révéla mon orgueil : alors que je refusai d’aller chercher du lait parce que cela faisait bête, elle me disait : « tu es orgueilleux ». En classe de 4e ou de 3e, un camarade me disait : « tu es orgueilleux ». Aujourd’hui, puisque je viens de refuser des conseils matériels offerts gratuitement par ma sœur, on a répliqué : « qu’il est orgueilleux, il ne veut jamais écouter ce qu’on lui dit ». En moi-même, je remarque les traces de mon orgueil. Je me vois, dans mes rêves, à la tête de toute une foule. Je me vois en train de haranguer le peuple avec succès. Je me vois convertir. Je me vois guérir. Bref, je fais dans mes rêves toutes les actions qui sont capables de contribuer à mon honneur, à ma gloire. Et, cet orgueil dépasse malheureusement la fiction. Je suis en effet, celui qui ne veut pas les compliments, mais qui sourit quand on le félicite.Je suis celui qui est satisfait, car autrui a remarqué le succès. Je suis celui qui est heureux de voir le voisin admirer mes projets de camaraderie et de grandeur humaine. Je suis celui qui est orgueilleux et j’ai attendu tant de temps pour m’en apercevoir réellement.
Désormais j’ai besoin d’humilité. J’ai besoin de faire sans qu’on m’attribue ce que j’ai fait. J’ai besoin d’être dans l’ombre pour ne pas recevoir les acclamations. Ce qui sortira de cette ombre en sera réellement plus profitable. Cela me permettra de voir non pas à travers moi, mais à travers les autres. Cela me permettra d’être au service des autres plus parfaitement. Cela me permettra de placer Dieu au centre de mon action et non moi.
Mais, si je fais ainsi, si Dieu se met à la place de mon moi, comment pourrai-je épanouir mes capacités si faibles soit-elles ? C’est le problème de l’épanouissement (personnel) et de la vie chrétienne, lequel je n’ai pas très bien compris. Il faudra éclaircir ce point, mais je sais qu’il me faut acquérir beaucoup d’humilité . L’humilité s’est attribué à Dieu et non à soi ce dont on est capable. C’est rendre grâce à Dieu des dons, intellectuels, artistiques ou autres qu’il nous a donnés. Voilà ce qu’il me faut désormais insérer dans ma vie.