Benoit XVI : Je vous encourage à ne jamais céder aux tentations récurrentes de la culture hédoniste et aux appels du consumérisme matérialiste
La célébration de la sépulture de Benoit XVI a donné l’occasion à la tendance qui apprécie largement peu l’orientation pastorale de François de diciéverser leur amertume : nous perdons une vrai pape. Je n’entre pas dans cette vaine polémique. Et je n’oublie pas que la question de la réforme de la curie demeure d’année en année d’actualité depuis Jean XXIII ; une actualité brulante depuis 1958 ! Certains observateurs disent que seul François résiste aux différentes pressions.
Voir par exemple ici Mgr Georg Gänswein
La mission de l’Église est de vivre une permanente conversion afin de se rapprocher de l’Évangile car elle s’en est historiquement éloignée. Cela ne peut se faire d’un coup de baguette magique. Un long processus est nécessaire. Le chemin est assurément entrepris depuis Vatican II. Les évêques ne sont plus des prélats des hauts rangs. Sont-ils pour autant en prise directe avec les très pauvres de la société ? Seuls les riches, les notables en responsabilité osent les invités à leur table domestique. Pour le prouver, il faudrait une étude sociologique ; quelle est la carte relationnelle ordinaire d’un responsable d’Église ? Ce prince rencontre-t-il spontanément des citoyens qui souffrent quotidiennement du capitalisme, du libéralisme économique ?
Les journalistes analysent que les catholiques pratiquants sont majoritairement à droite ; un électorat traditionnellement proche de la droite de gouvernement d’Emmanuel Macron. L’actuel débat sur la réforme des retraites le montre. Que dit-on de l’appel de tous les baptisés à la vie sobre, simple ? Appel à la pauvreté évangélique et au partage ?
Et pourtant les papes récents ont interrogé et condamné le libéralisme économique. Les catholiques de droite, responsable d’entreprise veulent-ils l’entendre ?
Aujourd’hui, regardant dans mes archives, j’ai retrouvé une étude faite en décembre 2011. Cela fut l’occasion d’une réflexion que je dépose en ce lieu.
J’ai été en ce temps de Noël 2011 impressionné par le nombre de fois où les journalistes ont repris les expressions de Benoît XVI interrogeant, sinon condamnant le capitalisme :
- Le pape Benoît XVI a dénoncé la commercialisation grandissante qui caractérise Noël, alors qu'il célébrait la messe de la veille de Noël en Italie samedi soir, pressant les fidèles de surpasser la superficialité de la fête pour en découvrir le sens véritable.
- Benoît XVI condamne le consumérisme de Noël
- Le pape Benoît XVI a invité les hommes à retrouver l'humilité... Ils doivent… délaisser les "scintillements" de la société de consommation et "l'orgueil" de la raison "libérale".
Alors, j’ai voulu savoir, si cette attitude non consumériste, que j’ai plusieurs fois reprise dans mes homélies de cette fin d’année (2011) en parlant d’un Noël sans cadeaux extraordinaires, d’un Noël hors consumérisme, était une nouveauté papale. Eh bien non. Il y a 4 ans, ce mot « consumériste » était déjà employé dans ses discours entourant Noël.
En 2008 :
Sous la poussée d'un consumérisme hédoniste, Noël risque malheureusement de perdre sa signification spirituelle pour se réduire à une simple occasion commerciale d'achats et d'échange de dons ! Mais en vérité, les difficultés, les incertitudes et la crise économique elle-même que de si nombreuses familles vivent au cours de ces mois, et qui touche l'humanité tout entière, peuvent être un stimulant pour redécouvrir la chaleur de la simplicité, de l'amitié et de la solidarité, des valeurs propres à Noël. Dépouillé des résidus du consumérisme et du matérialisme, Noël peut ainsi devenir une occasion pour accueillir, comme cadeau personnel, le message d'espérance qui émane du mystère de la naissance du Christ.
BENOÎT XVI, Audience générale, mercredi 17 décembre 2008. Voir ici.
Dans une autre approche, le regard est plus gentil. Le scintillement des lumières risque seulement de cacher le vrai sens de la naissance de Jésus. il peut aussi inviter à en voir le sens.
La fête de Noël fascine aujourd'hui comme jadis, plus que d'autres fêtes de l'Église ; elle fascine parce que tous, d'une certaine manière, ressentent que la naissance de Jésus a quelque chose à voir avec les aspirations et les espérances les plus profondes de l'homme. Le consumérisme peut éloigner de cette nostalgie intérieure, mais si l’on a dans le cœur le désir d'accueillir cet Enfant qui apporte la nouveauté de Dieu, qui est venu nous donner la vie en plénitude, les lumières des décorations de Noël peuvent devenir, en revanche, un reflet de la Lumière qui s'est allumée avec l'incarnation de Dieu.
BENOÎT XVI, Audience générale, Salle Paul VI Mercredi 5 janvier 2011
À la nuit de Noël 2011, dans son homélie :
Aujourd’hui Noël est devenu une fête commerciale, dont les scintillements éblouissants cachent le mystère de l’humilité de Dieu, et celle-ci nous invite à l’humilité et à la simplicité. Prions le Seigneur de nous aider à traverser du regard les façades étincelantes de ce temps pour trouver derrière elles l’enfant dans l’étable de Bethléem, pour découvrir ainsi la vraie joie et la vraie lumière.
N’y a-t-il pas dans ces expressions une profonde interrogation de l’actuelle vie économique ? Un mode de production qui ne s’appuie que sur l’incitation à la consommation ne peut être au service de l’homme et il est une grave atteinte à la terre qui voit ses ressources exploitées jusqu’à la dernière limite.
N'oublions pas ! Caritas in veritate aborde le sujet.
51. La façon dont l’homme traite l’environnement influence les modalités avec lesquelles il se traite lui-même et réciproquement. C’est pourquoi la société actuelle doit réellement reconsidérer son style de vie qui, en de nombreuses régions du monde, est porté à l’hédonisme et au consumérisme, demeurant indifférente aux dommages qui en découlent [122]. Un véritable changement de mentalité est nécessaire qui nous amène à adopter de nouveaux styles de vie « dans lesquels les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune » [123]. Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié civique provoque des dommages à l’environnement, de même que la détérioration de l’environnement, à son tour, provoque l’insatisfaction dans les relations sociales. À notre époque en particulier, la nature est tellement intégrée dans les dynamiques sociales et culturelles qu’elle ne constitue presque plus une donnée indépendante. La désertification et la baisse de la productivité de certaines régions agricoles sont aussi le fruit de l’appauvrissement et du retard des populations qui y habitent. En stimulant le développement économique et culturel de ces populations, on protège aussi la nature. En outre, combien de ressources naturelles sont dévastées par les guerres! La paix des peuples et entre les peuples permettrait aussi une meilleure sauvegarde de la nature. L’accaparement des ressources, spécialement de l’eau, peut provoquer de graves conflits parmi les populations concernées. Un accord pacifique sur l’utilisation des ressources peut préserver la nature et, en même temps, le bien-être des sociétés intéressées. (cf N° 52 : l’écologie)
Dans ses visites pastorales, Benoît XVI aborde aussi la question de la culture contemporaine tendue par l’addiction à la consommation et à la jouissance personnelle. C’est pour répondre tout de suite et totalement à un besoin crée par la publicité (inciter à l’acte d’achat) que la production, facteur d’enrichissement est nécessaire. Produire, consommer… sans limites. Telle est la devise du néo et de l’ultra libéralisme. Certes, il n’emploie pas ces mots ; mais, ne doit-on pas les sous-entendre dans son texte ?
Par exemple au cours de sa visite pastorale à Aquilée et Venise, avec son homélie au Parc San Giuliano – Mestre- Dimanche 8 mai 2011
Même un peuple traditionnellement catholique peut, cependant, ressentir de manière négative, ou assimiler presque inconsciemment, les contrecoups d’une culture qui finit par insinuer une manière de penser dans laquelle le message évangélique est ouvertement refusé, ou entravé de manière cachée. Je sais combien votre engagement a été et continue à être grand pour défendre les valeurs éternelles de la foi chrétienne. Je vous encourage à ne jamais céder aux tentations récurrentes de la culture hédoniste et aux appels du consumérisme matérialiste. Accueillez l’invitation de l’apôtre Pierre, contenue dans la deuxième lecture d’aujourd’hui, à vous comporter «avec crainte pendant le temps de votre exil» (1 P 1, 17); une invitation qui se concrétise dans une vie vécue intensément sur les routes de notre monde, dans la conscience de l’objectif à atteindre: l’unité avec Dieu, dans le Christ crucifié et ressuscité. En effet, notre foi et notre espérance sont adressées à Dieu (cf. 1 P 1, 21): elles sont adressées à Dieu car enracinées en lui, fondées dans son amour et sur sa fidélité. Au cours des siècles passés, vos Églises ont connu une riche tradition de sainteté et de généreux service à vos frères, grâce à l’œuvre de prêtres, de religieux et de religieuses de vie active et contemplative zélés. Si nous voulons nous mettre à l’écoute de leur enseignement spirituel, il ne nous est pas difficile de reconnaître l’appel personnel et unique qu’ils nous adressent : Soyez saints ! Placez le Christ au cœur de votre vie! Bâtissez sur Lui l’édifice de votre existence. En Jésus, vous trouverez la force pour vous ouvrir aux autres et pour faire de vous-mêmes, selon leur exemple, un don pour l’humanité tout entière.
je citerai encore cette parole à l’Angelus, Place Saint-Pierre - jeudi 6 janvier 2011
Je rappelle ensuite que l'Épiphanie est la Journée missionnaire des enfants, proposée par l’Œuvre pontificale de la sainte enfance. Nombreux sont les enfants et les jeunes, dans les paroisses et dans les écoles, qui forment un réseau spirituel et de solidarité pour aider les jeunes de leur âge en difficulté. Il est très beau et important que les enfants grandissent avec une mentalité ouverte au monde, avec des sentiments d'amour et de fraternité, dépassant l'égocentrisme et le consumérisme. Chers enfants et chers jeunes, par votre prière et votre engagement, vous collaborez à la mission de l'Église. Je vous remercie pour cela et je vous bénis!
Et en 2009, à Brescia pendant une visite pastorale
Chers frères et sœurs, n'oublions pas le don immense reçu le jour où nous avons été baptisés! A cet instant, le Christ nous a lié pour toujours à lui, mais, pour notre part, continuons-nous à rester unis à Lui à travers des choix cohérents avec l'Evangile? Il n'est pas facile d'être chrétiens! Il faut du courage et de la ténacité pour ne pas se conformer à la mentalité du monde, pour ne pas se laisser séduire par les rappels parfois puissants de l'hédonisme et du consumérisme, pour affronter, si nécessaire, également des incompréhensions et parfois même de vraies persécutions. Vivre le baptême comporte de demeurer fermement unis à l'Eglise, même lorsque nous voyons sur son visage quelque ombre et quelque tache. C'est elle qui nous a régénérés à la vie divine et nous accompagne sur tout notre chemin: aimons-la, aimons-la comme notre mère véritable! Aimons-la et servons-la avec un amour fidèle, qui se traduise dans des gestes concrets à l'intérieur de nos communautés, en ne cédant pas à la tentation de l'individualisme et du préjugé, et en surmontant toute rivalité et toute division. Nous serons ainsi de vrais disciples du Christ !
Hédonisme et consumérisme
Dany Robert Dufour que j’ai plusieurs fois cité dans ce blog a publié un récent ouvrage qui me semble bien correspondre au regard de Benoît XVI sur l’hédonisme et le consumérisme de l’actuelle civilisation. La racine de la crise se trouve en ce lieu.
Certes, les deux hommes n’auront pas les mêmes conclusions. Pourtant, il me semble que l’analyse du croyant en Dieu et de l’athée se rejoigne dans leur regard sur l’homme.
Dany Robert Dufour invite à des observations communes notamment lorsqu’il cite Saint Augustin distinguant l’amor Dei de l’amor sui ou l’amor socialis de l’amor privatus.
L’un et l’autre parlent de l’anthropologie libérale avec de nets accents critiques. En effet, le libéralisme économique et libidinal ne peuvent construire l’homme. Platon déjà mettait en avant une prohibition de l’avoir plus, car l’avidité est destructrice de la citée.
Benoît XVI – Dany-Robert Dufour … deux courants de pensée dont le dialogue devrait être fructueux.
Dany-Robert Dufour, L'individu qui vient après le libéralisme, Denoël, octobre 2011
Après avoir surmonté en un siècle différents séismes dévastateurs – le nazisme et le stalinisme au premier rang –, la civilisation occidentale est aujourd'hui emportée par le néolibéralisme. Entraînant avec elle le reste du monde. Il en résulte une crise générale d'une nature inédite : politique, économique, écologique, morale, subjective, esthétique, intellectuelle...
Une nouvelle impasse ? Il n'y a là nulle fatalité. En philosophe, mais dans un langage accessible à tous, Dany-Robert Dufour s'interroge sur les moyens de résister au dernier totalitarisme en date. Une fois déjà, lors de la Renaissance, la civilisation occidentale a su se dépasser en mobilisant ses deux grands récits fondateurs : le monothéisme venu de Jérusalem et le Logos et la raison philosophique venus d'Athènes. Pour sortir de la crise, il convient aujourd'hui de reprendre cet élan humaniste. Ce qui implique de dépoussiérer, réactualiser et laïciser ces grands récits.
L'auteur propose donc de faire advenir un individu qui, rejetant les comportements grégaires sans pour autant adopter une attitude égoïste, deviendrait enfin «sympathique», c'est-à-dire libre et ouvert à l'autre. Une utopie de plus ? Plutôt une façon souhaitable mais aussi réalisable, face à la crise actuelle, de se diriger vers une nouvelle Renaissance, qui tiendrait les promesses oubliées de la première.
Voir aussi :
D-R Dufour dans "les chemins de la connaissance" / 04/11/11
C’est la bonne "Crise de la dette, crise de l'école, crise de la famille, crise du couple, crise de civilisation ? S’il est un mot qui se présente comme un épouvantail devant des corbeaux, c’est bien celui de "crise".Il est généralement accompagné d'une notion générique, laquelle est suivie d'un nombre plus ou moins grand de défauts et de tares réelles ou fantasmées. Il est même devenu assez commun depuis Paul Valéry de parler d'une crise de la civilisation européenne entendue comme crise de l'esprit ou de l'intelligence. On se souvient tous de cette phrase prononcée en 1919: " Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles." Ce qui veut dire à la fois que nous pouvons disparaitre ou bien changer de civilisation ou encore "sauver ce qui peut être sauvé" comme disait Péguy, ou bien tout à la fois. C'est ce qui explique que l'on ai pu parler, tout récemment de "politique de civilisation" et que des auteurs désireux de rompre avec le nihilisme ambiant et le consumérisme ont pu s'imposer. Parmi eux, le philosophe Dany-robert Dufour, occupe une place de choix . Il se présente volontiers d'ailleurs comme un néo-résistant et il s'est fixé comme programme d'établir les axiomes minimaux nécessaires à la survie des sociétés démocratiques et laïques. Il n'a pas l'outrecuidance de vouloir restaurer le père et les anciens commandements d'interdiction mais il n'a pas non plus celle d'instaurer le règne du jouir sans entrave en nous laissant croire que tout serait permis. Il ne tombe pas dans le p anneau du "divin marché" et il prétend même que l'individualisme et l'humanisme ne sont pas encore nés, qu 'il est encore temps de les faire advenir sous condition de ne pas laisser l'économie envahir les relations sociales et les religions empiéter sur la sphère publique. Avec Dany-Robert Dufour, il existe bel et bien une vie après le libéralisme." (Intro de Philippe Petit).