Les paroles et le chemin du Père Chevrier ont fait écho et nourri mes « traversées du Rhône » ; ils ont aussi fondé mon engagement durable
Père Antoine Chevrier, Domaine Saint-Joseph, Sainte Foy-les-Lyon, réalisation de Joseph Belloni en 1932
Dans quelques temps va être publié le numéro 254 de Quelqu’un parmi nous qui évoque la personne d’Antoine Chevrier, fondateur du Prado, famille missionnaire -donc spirituelle- soucieuse de rejoindre les personnes qui ignorent l’Évangile.
Alfred Ancel développa régulièrement l’urgence d’une présence chrétienne auprès de ceux qui sont loin du Christ.
L’orientation vers les pauvres et « ceux qui sont loin » fait partie de notre vocation pradosienne, explique Alfred Ancel. Il précise : « Faute d’un terme plus précis, nous employons l'expression, “ceux qui sont loin”, afin de désigner soit des non-baptisés, soit des baptisés qui sont devenus incroyants, soit des chrétiens qui ont gardé une certaine foi mais qui n'acceptent plus, en fait, au moins d'une façon régulière, de rester en contact avec l'Église. Ils parlent de l'Église comme s’ils n'en faisaient pas partie » (Au service des prêtres, le prado, page 81-82).
C’est à cela que je pense en donnant à lire la page rédigée par Nicole, une laïque chrétienne que je me permets de qualifier de « pradosienne ».
Quelques graines pradosiennes dans une vie d'aujourd'hui
Mon chemin de vie n'aurait jamais dû croiser celui du Père Chevrier. Mais voilà ! Avec le recul et la découverte de la vie et du charisme du Père Chevrier, je me demande si l'Esprit n'a pas mis son grain de sel là où il le fallait et quand il le fallait. La grâce reçue par le Père Chevrier a porté de nombreux fruits dans ma vie en la mettant en ordre, en reliant et donnant du sens aux différentes pièces de son puzzle. En voici quelques-uns parmi d'autres.
Au départ, deux événements ont été mes « traversées du Rhône » : deux séjours au Burkina Faso avec en pleine figure la claque de la grande pauvreté et une nomination professionnelle dans un collège en zone d'éducation prioritaire. Ils n'étaient pas spécialement programmés dans mon projet de vie, mais au final ils l'ont orientée.
Quand j'ai découvert et lu le « Sermon sur l'amour des pauvres » du Père Chevrier qui, à partir de ce qu'il voit autour de lui, évoque le « spectacle de plus en plus effrayant de la misère humaine qui croît. On dirait, à mesure que les grands de la terre s'enrichissent, à mesure que les richesses s'enferment dans quelques mains avides qui les recherchent, la pauvreté croît, le travail diminue, les salaires ne sont pas payés. », j’ai eu alors la certitude immédiate et inexplicable que ce charisme était donné pour le monde d'aujourd'hui et allait rentrer dans ma vie.
Les paroles et le chemin du Père Chevrier ont fait écho et nourri mes « traversées du Rhône » ; ils ont aussi fondé mon engagement durable et inconditionnel au CCFD.
L'ami qui nous avait invités à venir le voir au Burkina nous a annoncé à son retour qu'il rentrait au séminaire du Prado. C'est en le voyant changer au cours de sa formation pradosienne pétrie d'Évangile que j'ai eu envie d'apprendre à entrer dans l'Évangile à la manière pradosienne, sans imaginer une seconde que cela me mènerait là où j'en suis aujourd'hui.
« Sentez-vous monter en vous un attrait pour Jésus-Christ… Alors, cultivez-le », dit le Père Chevrier. Une fois commencé, ce chemin de dialogue permanent entre une vie et la Parole n'est jamais fini. Il y a un avant et un après. La sève évangélique devient vitale. C'est ainsi que ma vie s'est enracinée petit à petit dans l'Évangile, faisant passer la foi traditionnelle de mon enfance basée sur « connaître son catéchisme » à une foi personnelle fondée sur la rencontre de Jésus-Christ.
Depuis que je suis à la retraite, je lis et médite l’Évangile chaque jour ; ma vie en est façonnée, convertie, nourrie. L'Évangile me donne une ossature pour devenir témoin et, dans le contexte ecclésial actuel, cela m'amène à prendre des positions inconfortables, mais fermes car pleines d'espérance.
« Je te remercie d'avoir caché cela aux sages et aux savants et de l'avoir révélé aux tout petits » ; je reçois comme un don de Dieu, cette grâce de goûter à l'étude d’Évangile à la manière simple et pauvre du Prado, alors que rien dans ma formation de professeur ne m'y prédisposait. Les dons sont faits pour être partagés, d'où la mise en route dans mon diocèse de deux équipes de laïcs qui lisent ensemble l'Évangile.
J'ai enseigné le français dans deux collèges publics en ZEP ( zone d'éducation prioritaire ), tous les deux réputés dans leurs académies pour être des établissements où il ne faisait pas bon venir y travailler.
J'avais des élèves en grandes difficultés sociales, affectives, scolaires : sans enfance - sans papiers – sans argent – sans papa – sans affection – sans repères... Le collège était leur refuge : un lieu de stabilité avec des adultes pour s'occuper d'eux.
Tout ce que le Père Chevrier a écrit à propos des enfants et de l’œuvre de la Première communion m'a donné des repères dans ma vie professionnelle et je les ai mis en pratique pour suivre Jésus-Christ sur les bancs de l'école : aimer les enfants. « Nous leur servirons de père et de mère » - les prendre tels qu'ils sont et partir de là où ils en sont - avoir sur eux un regard positif et bienveillant en les croyant capables de progresser et de changer - éduquer autant qu'apprendre - les responsabiliser et leur faire confiance - toucher les cœurs, instruire, reprendre, mettre en action.
Pendant une dizaine d'années, avec quelques éducateurs de la région Sud-Est, nous avons formé une équipe pradosienne accompagnée par le père Y. Musset ; au programme de nos rencontres : partage d'évangile et relecture de situations scolaires que nous vivions à la lumière des écrits du Père Chevrier.
Comme on n'est pas disciple et apôtre tout seul, je me suis mise petit à petit à marcher en famille spirituelle avec d'autres. Et insensiblement, je me suis laissée « pêcher » pour oser une aventure fraternelle et évangélique parce que le monde d'aujourd'hui en a besoin.
Discerner et construire une place juste de laïcs dans une famille spirituelle qui ne l'avait pas prévu, c'est reprendre le flambeau des laïcs de la première heure en s'embarquant comme des compagnons d'Emmaüs sur un chemin long, difficile, voire douloureux ; c'est regarder comment le Père Chevrier s'y est pris pour fonder sa famille spirituelle et se laisser inspirer comme lui par l'Esprit ; c'est semer et planter des graines pour que ça avance : se repérer – organiser une rencontre nationale - mettre en route une coordination – apprendre à marcher ensemble autour d'un même thème - faire route commune avec les sœurs qui nous ouvrent leur formation interne « Équipes Chevrier » - clarifier notre « carte d'identité », nos « vocation » et mission pradosiennes de laïcs .
Et, comme une confirmation de ce chemin entamé, c'est la joie de découvrir l'écrit « prophétique » du Père Ancel intitulé « Les laïcs eux aussi sont appelés à la perfection évangélique ».
Bien d'autres graines pradosiennes semées dans ma vie ont germé comme autant de repères lumineux et solides : avoir soin des racines - mettre l'intérieur d'abord – avoir l'Esprit de Dieu – faire confiance à la providence – laisser faire Dieu – passer par les étapes incontournables à la Crèche, au pied de la Croix, devant le Tabernacle, etc...
Ce que Dieu a fait dans ma vie parce qu'Antoine Chevrier a répondu « Me voici ! » … je n'en reviens toujours pas !
Nicole