Je suis convaincu que l’Église catholique a un rôle à jouer, mais elle a délaissé les milieux populaires. Il y a un manque de considération
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Je dis souvent que l’homélie se comporte de deux parties. La première est la connaissance, la compréhension de la Révélation divine. Le salut est annoncée. Il s’agit donc de comprendre ce que l’Évangile dit. La deuxième partie est le concrétisation de la Parole dans le monde d’aujourd’hui. Nous pouvons aussi parler d’historisation. Le mot n’est pas vraiment usuel. Le Larousse parle de transformation de rites ou de mythes en récits historiques. Je traduis avec cette question : disciples du Christ, que devons-nous vivre aujourd’hui pour appliquer, rendre concret dans notre existence, l’Évangile entendu ?
Cela dit, si je pense en cet instant à ces souvenirs d’étudiants, c’est parce que j’ai bien apprécié l’homélie de Bruno Millevoye, curé de paroisse, en ce 13e dimanche du temps ordinaire, 2 juillet 2023. En me rendant à l’eucharistie je me demandais si la prière de l’Église, une fois de plus, allait se vivre dans l’oublie le plus complet des drames qui se vivent à notre porte ou au loin. Tel ne fut pas le cas !
Bruno Millevoye :
« Nous lisons toujours le chapitre 10 de saint Matthieu, cet envoi en mission par Jésus de ses disciples.
Le ton ne change pas : « Celui qui aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi… »
Les personnes qui décident du découpage des textes nous ont épargné ce qui précède :
« Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » Radicalité, provocation. Un commentaire dans lequel je cherchais de l’aide, parle de maladresse… Je ressaisis la difficulté à faire nôtre l’enseignement de Jésus par le mot intransigeance. Que faire de cette intransigeance ? En quoi est-elle évangélique ?
Pendant que je me bagarrais avec l’évangile, plusieurs événements nous ont touchés.
La mort de Nahel suite à un contrôle policier et un refus d’obtempérer. Les réactions ont été terribles : manifestation solidaire mais aussi violences urbaines, pillages, un embrasement qui touche toute la France. Comme un cri : « Nous ne l’acceptons pas. » Intransigeance. Mais également, la mise en évidence que dans notre société deux mondes, pour faire simple celui de la banlieue, celui des centres villes, sont séparés, différents, irréconciliables.
Deux mondes séparés également quelques jours auparavant. Celui qui s’émeut devant la disparition de 5 personnes parties regarder l’épave du Titanique. Ce même monde qui déploie des moyens colossaux pour tenter de les sauver. De l’autre le monde des migrants qui viennent au même moment de disparaître par dizaines dans la mer au large de la Grèce alors qu’ils tentaient de rejoindre notre monde. Pour eux, une couverture médiatique quasi inexistante et, plus grave, aucun moyen dépêché pour leur venir en aide.
Ici, c’est l’intransigeance qui est absente, la radicalité pour ne plus accepter cette situation, cet égoïsme effarant de notre monde.
(Cet événement est comme le comble de l’égoïsme dont nous sommes capables. Egoïsme d’autant plus terrifiant qu’il n’est pas lié à l’attitude individuelle de tel ou tel mais à la structure même de notre société. Nous nous sommes organisés pour ne pas voir, pas entendre, pas agir.)
Comme un signe qui pourrait nous aider à sortir de notre surdité, le fait que la majorité des migrants disparus, venant de Libye étaient des Pakistanais. Le fait que deux des personnes qui ont péri de leur petit submersible étaient également des Pakistanais. Il n’y a qu’un monde.
Enfin, 3e événement, la décision du gouvernement de dissoudre le groupement « Le soulèvement de la terre » opposé à la construction de ces grandes bassines qui doivent venir en aide aux agriculteurs en raison des moyens jugés violents qu’ils emploient. Cela nous renvoie à la question de l’utilité ou non de ces aménagements mais également à la question de la façon dont nous changeons ou non nos modes de vie pour prendre en compte le changement climatique.
Ici encore deux mondes s’affrontent, irréconciliables, celui d’aujourd’hui et celui de demain tous les deux devant exister sur la même planète. De même se pose la question de l’intransigeance des militants qui conduit à détruire ce qui vient d’être construit. Mais question également de l’intransigeance du gouvernement. Enfin une question pour nous : Pouvons-nous espérer changer sans un minimum de d’intransigeance et de choix à faire sans retour.
Avec tout cela en tête, j’ai continué à me battre avec ce chapitre 10 de Matthieu.
En passant, j’ai relevé cette expression bien connue qui n’est pas proposé par la liturgie : « Soyez donc prudents comme les serpents, et candides comme les colombes. » Y-a-t-il en même temps que l’intransigeance la nécessité d’une voix/voie disons diplomatique ?
Quoi qu’il en soit, voici les deux pistes que j’ai trouvées.
Un, l’intransigeance à laquelle Jésus nous appelle, les choix qu’il nous demande de faire s’appliquent à celui qui les considère. S’il y a une radicalité, une violence même, elle n’est pas contre l’autre mais pour celui qui choisit Jésus-Christ. Ainsi : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. »
La 2e piste est un verre d’eau. C’est celui que nous devons être capable de donner aux plus petits. Il est la raison de l’intransigeance, il justifie la nécessité de faire des choix pour que ça change.
Un verre d’eau. Je ne vous cache pas qu’il m’a rafraichi l’esprit. Intransigeance donc mais pour devenir juste et pour pouvoir donner un verre d’eau aux plus petits.
Pour illustrer cette intransigeance nécessaire, j’ai pensé au mouvement de l’ACAT. Action des chrétiens pour l’abolition de la torture. Il a organisé un temps de prière dans notre paroisse vendredi. L’intransigeance de l’ACAT consiste à écrire des lettres aux gouvernants pour dénoncer les tortures qu’ils infligent à leurs ressortissants. Qui est contre ? Personne. Qui écrit une lettre. Pas moi…
Autre exemple pour terminer. Je n’avais rien prémédité mais je suis obligé de vous parler au terme de cette année de François d’Assise. Il fait partie des gens qui ont pris au sérieux cet évangile et qui ont conformé leur vie à son intransigeance.
Son témoignage a conduit des auteurs 800 ans plus tard donc au 20e siècle à rédiger une prière pour la paix. Elle lui a été attribuée de telle sorte que nous la connaissons sous le nom de prière de saint François d’Assise. Si François n’en est pas l’auteur, cette prière porte tout son esprit, l’esprit de l’intransigeance selon l’évangile.
Seigneur, faites de moi un instrument de votre paix.
Là où il y a de la haine, que je mette l’amour.
Là où il y a l’offense, que je mette le pardon.
Là où il y a la discorde, que je mette l’union.
Là où il y a l’erreur, que je mette la vérité.
Là où il y a le doute, que je mette la foi.
Là où il y a le désespoir, que je mette l’espérance.
Là où il y a les ténèbres, que je mette votre lumière.
Là où il y a la tristesse, que je mette la joie. >>
À cette homélie que je suis heureux de vous donner à lire, j’ajoute l‘article de La Croix publié ce jour : Janvier Hongla : « Si l’Église ne porte pas un regard d’amour sur la banlieue, qui va le faire ? »
Entretien Janvier Hongla, président de Fide, une association de jeunes « désireux de partager la foi chrétienne », réunissant plus particulièrement des catholiques des banlieues d’Île-de-France, revient sur les émeutes qui se sont produites après la mort du jeune Nahel, tué par un tir de policier à Nanterre mardi 27 juin.
La Croix : Quel regard portez-vous sur cette actualité marquée par des violences urbaines après le décès de Nahel tué par le tir d’un policier ?
Janvier Hongla : Il y a de la désolation. Une mère a perdu un enfant, son fils unique. Il n’y a pas de mot. Moi qui ai grandi en banlieue parisienne, je ne vais pas prendre parti pour la banlieue ou la police : je prends le parti de la justice. L’accumulation de mensonges, alors qu’une vidéo montre les faits, participe à engendrer le principe d’injustice. Quand des personnes scandent « Pas de justice, pas de paix », il faut comprendre. Tout en essayant de calmer, de tempérer et de ne pas justifier les émeutes en cours. Je trouve très dommage de voir que l’on puisse instrumentaliser la mort d’un enfant à des fins politiques.
Comme catholique de banlieue qui connaît bien les quartiers populaires, comment comprenez-vous cette situation ?
J. H. : Dans les quartiers prédomine un fort sentiment d’injustice. Les gens en ont assez de ne pas être écoutés. Dans ce type de situation, on a l’impression que c’est forcément le jeune qui est en tort et la police dans la vérité, que nous avons la couleur de peau ou l’étiquette du coupable d’office. Cela pose un problème. Comme chrétien, j’appelle et je prie pour la paix. On ne peut pas participer aux émeutes, qu’on ne peut en aucun cas cautionner.
Je suis convaincu que l’Église catholique a un rôle à jouer, mais elle a délaissé les milieux populaires. Je connais de nombreux catholiques frustrés par un manque de considération, parfois un mépris pour les milieux populaires. Certains qui se revendiquent chrétiens ne cessent de montrer du doigt la banlieue. À quel moment portent-ils un regard chrétien sur la banlieue ? Cela attise la haine. Il est facile d’avoir un regard extérieur sur la banlieue. Le dialogue est nécessaire pour que les gens puissent comprendre qui sont les habitants qui vivent dans ces quartiers.
Quel peut être le rôle des catholiques ?
J. H. : Nous devons être des artisans de paix. Mais l’Église a délaissé les sujets sociétaux. Il nous faut parler du Christ dans le quotidien des gens. Si nous n’actualisons pas le Seigneur, nous restons dans une bulle. À Fide, nous cherchons à créer des ponts, des connexions, pour faire tomber les a priori. L’Église doit présenter au monde un visage universel. Si l’Église elle-même ne fait pas ce travail d’unité, ce n’est pas la société qui va le faire.
Mais j’ai le sentiment que l’Église ne regarde pas la banlieue, elle s’adresse plus volontiers aux milieux aisés. Elle doit regarder ce qui se passe dans les milieux populaires pour comprendre. Je discutais avec un prêtre d’un quartier populaire qui me disait que l’Église des banlieues n’était même pas dans les radars. Il y a une forme d’indifférence. Mais, si l’Église ne porte pas un regard d’amour, le regard du Christ, sur la banlieue, qui va le faire ? Beaucoup de jeunes ressentent cette distance et désertent l’Église catholique pour rejoindre les musulmans ou les évangéliques qui ont un discours plus populaire.
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Comment sortir de cette crise ?
J. H. : Cela va être très difficile. La vraie différence par rapport à 2005, ce sont les réseaux sociaux qui engendrent un risque de surenchère entre quartiers. Je crois qu’il faut avant tout lutter pour la justice. Car le ressenti d’un deux poids deux mesures en banlieue est extrêmement fort.
Recueilli par Arnaud Bevilacqua, le 30/06/20231