XI° siècle : On passe progressivement d’une logique ascendante du pouvoir à une logique descendante. Le synode renouvelle la primauté papale
Le pape François prononce un discours le 4 octobre, pour l’ouverture du Synode sur l’avenir de l’Église
Dans la ligne de la lecture du Chapitre XIII (Christoph Theobald) publié dimanche, je trouve pertinente cette page de La Croix :
Qu’est-ce que la primauté du pape ?
Pour le pape François, le Synode sur la synodalité est une contribution à l’exercice de son « autorité suprême ».
- La Croix, Gilles Donada, le 20/10/2023
D’où vient l’expression « primauté du pape » ?
On parle aussi de « primauté romaine », ou de « primauté pétrinienne ». Elle désigne la prééminence du successeur de l’Apôtre Pierre. En effet, dans les Évangiles et les Actes des Apôtres, Simon, dénommé Pierre par Jésus, occupe une place spéciale parmi les douze Apôtres. Quand il énumère leur nom, l’évangéliste Marc indique : « Le premier, Simon, nommé Pierre » (Mc 10, 2). C’est à lui seul que Jésus déclare : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle. » (Mt 16, 18). Réhabilité par le Christ après sa trahison, il reçoit de celui-ci la mission d’« affermir » ses frères.
C’est à Rome qu’il subit le martyre, tout comme un autre pilier de l’Église, Paul de Tarse. La capitale devient ainsi le seul siège apostolique d’Occident, aux côtés de Jérusalem, Antioche, Alexandrie et Constantinople. Dès les premiers siècles du christianisme, l’évêque de Rome assume un ministère spécifique au service de l’unité de la foi et de la communion entre tous les chrétiens. En période de crise (notamment durant les multiples controverses théologiques du IIIe et au cours du Ve siècle), on se tourne vers ce médiateur et gardien de la tradition.
Quelles ont été les évolutions les plus marquantes ?
Au XIe siècle, avec la réforme menée par le pape Grégoire VII (1073-1085), Rome devient non seulement le centre de l’union des Églises, mais aussi sa source. C’est à partir d’elle que s’uniformise la foi, mais aussi la liturgie et le droit ecclésiastique, explique le jésuite allemand Klaus Schatz, spécialiste de l’histoire de l’Église (1).
On passe ainsi progressivement d’une logique ascendante du pouvoir à une logique descendante, complète Thibault Joubert, maître de conférences à la faculté de théologie de l’université de Strasbourg. « Grégoire VII dit que le pape est ”l’autorité qui préside à toutes les autorités”, autrement dit il reconnaît l’existence des autres autorités et il en fait l’unité. Il se positionne comme le juge suprême : il peut entendre et juger toutes les causes qui remontent à lui. Deux siècles plus tard, son successeur, Innocent III, dira au contraire : “Je suis l’autorité de laquelle découlent toutes les autres autorités.” C’est lui qui établit la loi et celle-ci est adaptée en fonction des circonstances locales. Cette figure monarchique va prendre de plus en plus de place. »
Du haut de la chaire de saint Pierre, les papes Grégoire XVI (1831-1846) et Pie IX (1846-1878) condamnent les idées « subversives » : la liberté de conscience, de culte et d’opinion ; le rationalisme, le socialisme, les sociétés bibliques…
D’où vient « l’infaillibilité pontificale » ?
L’absolutisme romain va culminer avec le concile Vatican I (1869-1870), qui est convoqué au moment où l’assise politique et géographique de la papauté disparaît avec les territoires des États pontificaux. « Faute de pouvoir maintenir la monarchie absolue temporelle, celle-ci est transposée sur le plan du pouvoir spirituel», relève Hugues Portelli, doyen de la faculté de sciences sociales et économiques de l’Institut catholique de Paris. Le Concile affirme non seulement « la primauté du pape sur les autres évêques, mais son infaillibilité tant en matière spirituelle que temporelle ».
Les évêques sont tenus à « un devoir de subordination hiérarchique et de vraie obéissance », précise encore le Concile, non seulement dans le domaine de la foi et des mœurs, mais aussi en matière de discipline et de gouvernement de l’Église. Le centralisme romain atteint une dimension « jusque-là inconnue dans l’Église », souligne-t-il. Pour proclamer des dogmes et corriger les mœurs, le pape n’a plus l’obligation de convoquer un concile, il a désormais à lui seul l’autorité nécessaire.
Qu’en est-il de la primauté du pape aujourd’hui ?
Au début du XXe siècle, grâce à la réflexion œcuménique, la vision des relations entre le pape et les autres patriarches se renouvelle. L’évêque de Rome, qui occupe par tradition la fonction de pape, est reconnu comme primus inter pares, le premier parmi ses pairs. Les Églises orthodoxes reconnaissent au patriarcat de Rome une priorité d’honneur et de dignité mais pas un pouvoir de juridiction sur les autres patriarcats, comme l’indique le « document de Ravenne » signé, en 2007, par les catholiques et les orthodoxes. « L’Église catholique ne peut pas renoncer aux définitions de Vatican I, mais elle peut montrer que ces droits sont compatibles avec un pluralisme des Églises et n’exigent pas une unification totale », analyse Klaus Schatz.
Les Églises protestantes, poursuit-il, ne sont pas toutes des adversaires d’un « centre ou symbole de l’unité des Églises », mais « elles contestent la papauté comme une institution nécessaire voulue par l’Évangile ». Pour elles, le rôle que Jésus attribue à Pierre ne s’applique qu’à lui-même, personnellement, et pas au-delà.
À l’intérieur de l’Église catholique, depuis le concile Vatican II (1962-1965), le pape se met davantage à l’écoute des évêques, au moment de leurs traditionnelles visites à Rome (visite ad limina) et à travers leur participation à des synodes sur des thématiques précises : l’avenir de l’Église, l’Amazonie, les jeunes, la famille… « À la vision de Vatican I où le pape a seul en charge l’Église universelle se substitue une conception collégiale du pouvoir dans et de l’Église », résume Hugues Portelli.
Comment le pape François se positionne-t-il ?
Dans sa façon de gouverner, le pape argentin privilégie, comme ses prédécesseurs, la collégialité avec les évêques, mais avec le souci accru de contrebalancer le pouvoir de la Curie, le gouvernement de l’Église, plus rétive à sa volonté de réforme des institutions. Celle-ci est souvent la cible des critiques de François ; il dénonce, en 2014, ses « 15 maladies » : refus de l’autocritique, « pétrification » spirituelle, bureaucratisme, rivalité, vanité, médisance…
Sa lutte contre le cléricalisme se manifeste en filigrane dans sa façon d’ouvrir les synodes à des participants qui ne sont pas évêques : religieux et laïcs, y compris des femmes. « Déjà dans les conciles médiévaux, spécialement depuis Latran IV (1215), les papes ont convoqué ceux qui étaient importants pour la réalisation des réformes et sans lesquels des décisions seraient lettre morte : prêtres, diacres mais aussi représentants des universités et princes séculiers », rappelle Klaus Schatz.
Depuis Jean-Paul II, la primauté du pape s’exprime aussi directement, hors de l’Église, auprès de l’opinion publique. Sa présence, en tant que chef spirituel, s’est démultipliée grâce à ses voyages, ses discours, sa présence sur les réseaux sociaux. Dans son document préparatoire, l’actuel Synode sur l’avenir de l’Église invite à réfléchir à un exercice renouvelé de la primauté papale qui s’appuierait sur de nouvelles « synergies » entre « le Peuple de Dieu, le collège des évêques et l’Évêque de Rome – tout en respectant leurs fonctions spécifiques » (n. 62).
(1) « Le pouvoir du pape et ses limites », revue Pouvoirs, n° 162, 2017