Jean-Marie : "Avant d’être reconnu malade psychique, j’ai travaillé durant treize années au sein de l’entreprise Legrand. J’étais syndiqué"
Pour la revue du Prado, Quelqu’un parmi nous, nous commençons à rassembler les articles qui ont été rédigés suite à l’appel à écriture déposé ci-dessous, après, justement, une page rédigée dans la ligne de cet appel, à vous plumes.
J’aime bien souligner les liens que je cherche à établir d’un jour à l’autre entre les pages de ce blogue. Dans cette ligne, j’invite à reprendre la page intitulée : Comment, après de nombreuses années, pouvons-nous maîtriser les dérèglements psychiques, leurs traitements et leurs limites et je donne à lire ce que Jean-Marie Cruveilher, laïc consacré au Prado, vivant dans le diocèse de Limoges, nous a envoyé.
Changer le regard sur la maladie psychique
Laïc consacré au Prado, depuis une dizaine d’années, j’ai été diagnostiqué bipolaire en 1993.
Bien entendu, il n’existe pas de relation de cause à effet entre ces deux dimensions, excepté cette foi en Jésus Christ qui m’a aidé à accepter, puis à gérer ma maladie.
Avant d’être reconnu malade psychique, j’ai travaillé durant treize années au sein de l’entreprise Legrand à Limoges. J’étais syndiqué à la CGT parce que les conditions de travail étaient relativement pénibles.
Les conditions de travail, plus mon mal-être grandissant, ont fait que j’ai été interné douze mois en 1991 sans que soit posé un véritable diagnostique. Étant reconnu handicapé et ne pouvant plus travailler dans un milieu ordinaire, je suis entré quelques mois plus tard en ESAT (établissement et service d'accompagnement par le travail) jusqu’en 2019 année de mon AVC.
En 2003, suite aux décès successifs de mon grand-père et de mon père, j’ai complètement décompensé. Je ne pouvais plus rester seul chez moi. Le père Bernard de Monvallier, mon ami, m’a alors accueilli chez lui durant une très longue période. Il m’a consolidé, sur les traces du père Chevrier, dans ma foi mais aussi dans ma volonté de me soigner, même si parfois il ne comprenait pas les symptômes de la maladie.
Des comportements ambivalents
La maladie psychique, aussi terrible qu’elle puisse apparaître, m’a néanmoins permis de découvrir sous différents angles le monde médical, les communautés chrétiennes, mais aussi l’engagement.
En hôpital psychiatrique, j’ai rencontré toute sorte de personnels du plus dévoué au plus rétif. Les conditions de travail ne se voulaient pas faciles. Des infirmiers.es quittaient à 8 h leur service pour le reprendre à 14 h parce que des collègues se trouvaient absents. Malgré cela, elles (ou ils) restaient à l’écoute des patients. Je présume que cette « disponibilité » avait un impact sur leur vie privée, sur leur santé. La détérioration du soin mental ne se veut pas récente, mais reste scandaleuse.
J’ai vu aussi des soignants peu empathiques au point, la nuit, de dire à des patients d’attendre l’équipe de jour pour recevoir un traitement afin de palier à leurs angoisses... nocturnes. Il en allait de même pour quelques psychiatres. Cela tient de la maltraitance.
Ma chance, comme patient, se trouve dans la rencontre d’une psychiatre extraordinaire et d’un médecin traitant qui ne l’est pas moins.
Cette psychiatre, lorsque je me retrouvais en formation à Paris et à Limonest pour le Prado en vu de devenir laïc consacré, m’a dit : « Jean Marie, vous avez du mérite de suivre ce cursus au vu de votre pathologie et de vos traitements lourds. C’est bien ». Quant à mon médecin traitant, il m’a aussi aidé en me reconnaissant comme un être humain à part entière : « tu es plus grand que ta maladie ».
En Église, la maladie psychique fait peur. Elle vient déranger le train-train bien agencé. J’ai vu des regards hostiles, entendu des propos malheureux : « qu’est-ce encore cela ? ». Je suis très attaché à l’aumônerie d’Esquirol. Je participe tout les mercredi à l’équipe de jour des malades stabilisés. Je découvre, aujourd’hui encore, des difficultés pour les paroisses à accueillir des malades « psy ». Il existe néanmoins des évolutions positives malgré l’existence de paroles encore maladroites dues à la méconnaissance. L’Église doit éveiller et sensibiliser les paroissiens à ces enjeux. Le Prado ne fait pas exception à la règle. Être au service des plus petits, c’est aussi être capable d’accueillir ces personnes, enfants de Dieu comme les autres.
L’engagement : ESAT, ACO, pastorale téléphonique.
Juste un mot sur cette structure qui est l’ESAT. Elle est sensée permettre aux personnes en situation de handicap d'exercer une activité professionnelle tout en bénéficiant d'un soutien médico-social et éducatif dans un milieu protégé. J’y ai vécu des conditions de travail sans pouvoir me syndiquer ou revendiquer mes droits de travailleurs à part entière. Pendants des années, j’ai été placé par cette structure chez RVI (Renault Véhicule Industrie) où je travaillais comme les autres salariés, dans les mêmes conditions, mais pour un salaire très inférieur. C’est de l’exploitation sous couvert de protection.
J’ai vu des copains partir le soir et ne plus revenir le lendemain matin ou le lundi suivant, ils s’étaient suicidés. Les pathologies y jouent certainement, mais les conditions de vie dans certains établissements y contribuent également par manque d’écoute, de considération et par la recherche, à tout prix ,de rentabilité.
Les révisions de vie en équipe ESAT ACO, m’ont aidé à relire nos conditions de vie, de travail, de malades. J’ai soutenu aussi une action afin que les « usagers » travailleurs en ESAT aient le droit de se syndiquer et de faire grève. Une première victoire, mais il reste beaucoup à faire en terme d’égalité salariale, de retraite et de changement de regard sur les malades.
Actuellement, au vu de mes difficultés à me déplacer et la fatigue que procurent les traitements, je me suis lancé dans une « pastorale téléphonique ». J’appelle ou l’on m’appelle pour échanger, écouter, partager et prier. Il demeure important de mettre des mots sur des maux. Je suis en lien avec des dizaines et des dizaines de personnes. Parfois, il faut le dire, je reste « absent » parce que je ne suis pas bien, mais ça passe rapidement. L’Esprit Saint veille.
Aujourd’hui, j’habite à la maison des pères aînés qui se situe au sein de la maison diocésaine de Limoges. J’y suis bien, même si, il faut le reconnaître, ce n’est pas toujours facile pour eux et pour moi de partager sur nos réalités de vie. Souvent, dans ce cas là, je médite une prière de Taizé que Bernard de Monvallier m’avait partagé : « Jésus, lumière intérieure, ne laisse pas mes ténèbres me parler ».
Jean-Marie Cruveilher, laïc consacré au Prado. Diocèse de Limoges
À vos plumes !
La santé, c’est l’Espérance au travail ...
Comme aumôniers.es, comme visiteurs.es de patients à l’hôpital, à l’EHPAD, à hôpital psychiatrique ou à domicile, les uns et les autres, nous découvrons toutes sortes de personnes, de pathologies mais aussi des réalités sociales et humaines complexes.
Nous allons à la rencontre d’abord de douleurs affichées ou voilées qui nous interpellent, nous dérangent. Que nous le voulions ou non, elles nous renvoient à nous-mêmes, à notre foi et à cette interrogation récurrente : « pourquoi une telle souffrance ? ». Puis, l’interrogation se réduit, suite à la découverte des personnes, au « pourquoi touche-t-elle une telle ou un tel » ?
Plus concrètement, des malades se questionnent et nous questionnent : « qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? » ou « si votre Dieu existait, croyez-vous sincèrement que je vivrais cela ? »
À côté de ceux qui expriment, à juste titre, le seul sentiment d’injustice, d’autres réagissent différemment. Ainsi, le premier souci d’un homme âgé, en oncologie, a été de dire, sous forme de confession, qu’il était baptisé et, la tête baissée, qu’il était homosexuel. Quoi dire ? Sinon qu’il demeure, quelle que soit son orientation sexuelle, un enfant de Dieu à part entière et aimé comme tel. Il émet alors un sourire apaisé, puis la discussion sera toute autre.
La souffrance ne se trouve pas du seul côté des malades. Ces dernières années, amplifiée depuis la triste expérience du Covid 19, elle touche aussi frontalement les soignants. Les moyens humains et matériels manquent. Les choix de gestion, de budgets sont contestés de l’agent de service au professeur de médecine. Les burn-out, les démissions s’enchaînent.
La frustration de ne pas pouvoir réaliser son travail correctement avec humanité, de prendre le temps avec les malades et aussi pour soi, deviennent les dénominateurs communs à bien des personnels. Ainsi, une jeune aide-soignante informe, après un long arrêt de travail, qu’elle a trouvé un poste au Québec où a priori elle pourrait faire dignement son travail.
Pourtant, des petits miracles existent. Des infirmières, des cadres de santé portent, malgré la fatigue, le ras-le-bol, ce souci du service public de soin. Au-delà du « Si nous partions, quel signal donnerions-nous ? », elles se battent pour trouver des solutions pérennes pour leur service. Elles dérangent, parfois agacent, remotivent les troupes. Que dire de ces médecins d’origine marocaine, congolaise ou autre, parfois moins bien payés que leurs homologues français, qui ne regardent pas leurs heures. Contre vents et marées, ils maintiennent un système de soins à la française.
Parce que nous le vivons, nous avons en tête cette Parole de Jésus « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » (Marc 2,17)
Comme chrétiens, comme citoyens, visiteurs de malades ou de personnes souffrants de handicaps, nous nous trouvons souvent à leur écoute et nous témoignons de la croisée des chemins entre souffrances et espérances. Quelle présence du Seigneur percevons-nous ? Quelles bonnes nouvelles recevons-nous à travers le témoignage des patients et des soignants ? Quels signes d’Espérance portons-nous et accueillons-nous ? Partagez vos témoignages. Quels engagements vivons-nous pour un service public de la santé ? À vos claviers et/ou à vos stylos.
Jean Philippe Tizon, diacre permanent Limoges
un des aumôniers de l’hôpital Esquirol
Rien ne vous empêche, certes si vous le souhaitez, à m'envoyer votre témoignage...