Quand on ne sait plus ce qu'on fait, quand on ne sait plus à quoi ça sert, et quand on est disponible quand même, alors Dieu peut se servir de nous

Publié le par Michel Durand

Quand on ne sait plus ce qu'on fait, quand on ne sait plus à quoi ça sert, et quand on est disponible quand même, alors Dieu peut se servir de nous

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Bruno Millevoye, curé de la paroisse Saint-Maurice/Saint Alban (Lyon 8), pendant ses vacances a subi un Accident Vasculaire Cérébral (AVC).

Cela semble grave même s’il peut entrer en communication, par faibles signes, avec celles et ceux qui l’approchent.

Se promener à vélo sur des chemins d’une paisible campagne et se retrouver à terre !…

Quelle souffrance est ressentie ?

Si la souffrance physique ne provoque pas des cris de douleur - souffrance ressentie dans le corps, il y a la détresse morale : comment vais-je sortir de cet accident ?

Tous ces jours je travaille à la mise en place d’une exposition sur Mgr Alfred Ancel.

 

 

Je ne peux que songer à son entretien en fin de vie avec François Pécriaux. Alfred Ancel s'y s’exprime  sur la souffrance physique (et morale, j’imagine).

Je dépose en ce lieu ces pages.

Je m’interroge sur ma capacité à accepter les douleurs de l’existence, signe de notre attachement au Christ, à Dieu. Quelle est ma perception de l’attente du Royaume ?

Je ne dis pas que Bruno est dans cette situation, car j’ignore l’exact regard médical à son sujet. Je pense seulement, égoïstement assurément, à la finitude de chacun. Dans la paroisse, n’entend dire depuis peu. « Nous sommes peu de chose ». J’arrive à l’âge où, souvent, ce sont des plus jeunes que moi qui abordent l’éternité.

N’est-ce pas pour cela qu’il importe de rester centré sur Le Christ, Dieu - le Royaume ? N’est-ce pas trop tard.

La lecture des propos d’Alfred Ancel est une juste interrogation concernant la foi en Dieu. Confiance ? Espérance ?…

 

 

Décembre 1983

François Pécriaux demande au Père Ancel de dire quelques mots pour la lettre des anciens et des malades

 

P. Ancel : Quand Dieu forme ses disciples, à travers leur vie, la souffrance a son rôle, le reste aussi.

Je crois que nous n'arriverons jamais à comprendre à quel point le Christ Jésus, quand il a choisi quelqu'un comme disciple, va s'occuper de lui, pour le former à faire ce qu'il veut, Lui.

Quand nous parlons de formation, nous avons toujours plus ou moins derrière la tête, un certain plan. Nous voulons former quelqu'un pour qu'il fasse quelque chose. Quand il s'agit d'un disciple du Christ, bien sûr, il s'agit pour Jésus de former quelqu'un pour faire quelque chose, mais pas de la manière habituelle. Ce n'est pas d'abord une question de compétence, c'est une transmission. Jésus, c'est le Verbe de Dieu. Jésus, c'est la Vie de Dieu, et par conséquent, quand il prépare quelqu'un, c'est toujours en vue de cela, pour transmettre une vie.

Une vie, c'est toujours relatif à un être, c'est toujours relatif à la manière dont cet être agira. Alors, quand Jésus nous prend pour faire de nous des disciples, il faut d'abord qu'il nous sorte de nous-mêmes, que ce ne soit plus nous, mais Lui.

Il y a toujours dans la formation de Jésus, une part qui apparaît négative. Ce n'est pas avec ce que nous savons que Jésus va nous former. Et cela, je le vois surtout par rapport à la souffrance. Ce n'est pas avec une belle théorie sur la souffrance, que Jésus nous formera, pour apprendre aux autres à souffrir. Jésus commence par nous démolir, par nous enlever nos théories, pour que nous ne sachions plus rien, alors il intervient. Mais ne savoir plus rien, c'est très pénible, c'est un contraste entre ce que nous croyons savoir, et puis ce que nous ne savons pas. C'est un dépouillement. Je ne pense pas qu'il y ait une formation de disciple possible sans dépouillement.

Il nous dépouille de quoi ? Autant qu'il le peut, de tout. Il ne veut plus que ce soit nous, il veut que ce soit lui. Alors il y a une période de vide. On ne sait pas, on ne sait pas ce qu'on fait, on ne sait pas à quoi on est appelé.

Alors, étant donné ce que je viens de dire, il n'y a qu'une manière de se préparer à former les autres à la souffrance, c'est accepter de se laisser dépouiller complètement, alors c'est lui qui fera.

Et comment il fera ? Il nous fera voir d'abord, je crois, le vide de la souffrance. Ça ne rapporte rien, ce n'est intéressant en rien, c'est vide. Souffrir, c'est sentir qu'on est détruit, c'est sentir qu'on ne peut plus rien. C'est sentir qu'on est un pauvre.

 

Au fond, former à la souffrance, c'est former à la pauvreté et pour cela il faut avoir au moins une petite intuition de la richesse de la pauvreté. À quoi ça sert de souffrir ? Ça sert à rien. À quoi ça sert la pauvreté, Ça sert à rien. Et à travers ce rien, il y a quelque chose qui passe. Non pas quelque chose, il y a quelqu'un qui passe, c'est Dieu.

Nous avons trop d'idées sur Dieu. Saint-Paul ne croyait qu'en Jésus-Christ et en Jésus-Christ crucifié. Il n'y avait rien, et c'était ça, sa richesse.

J'ai bien l'impression que je bafouille, et cependant, c'est ça souffrir. Être vide. Ne pas savoir ce qu'on fait, ne pas savoir où on va, mais être disponible, être disponible à celui qui inaugure le Royaume des Cieux. Alors ça aussi, c'est absurde, ça n'a pas de sens, et cependant c'est vrai, c'est vrai.

Quand on ne sait plus ce qu'on fait, quand on ne sait plus à quoi ça sert, et quand on est disponible quand même, alors Dieu peut se servir de nous, il peut se servir de nous à sa façon à lui. Je ne sais pas comment il faut expliquer la souffrance. Saint-Paul parlait de la folie de la Croix et cependant, c'est la sagesse de Dieu. Alors, ça nous demande d'accepter d'être vide, ça nous demande d'accepter de ne rien pouvoir faire. Ça nous demande de se laisser faire totalement, en sachant que Dieu fait avec rien.

Et qu'est-ce qu'il fait ? Nous ne savons pas expliquer, et cependant il fait.

Et quand il forme les gens à la souffrance, il les forme pour de vrai. Comment ? Je ne sais pas. À quoi ? Je ne sais pas. Mais il les forme pour de vrai.

Et c’est pour cela que la souffrance se rapproche tant de la pauvreté. L'incapacité, le néant : on s'approche de l'adoration. Dieu : tout ; nous : rien, et c'est lui qui fait tout.

Ça peut être absurde, tout ce que je dis ; je ne sais même pas bien l'expliquer. Si on me demandait de répéter ce que je dis, j'en serais incapable, mais pour moi, souffrance, adoration, Dieu, pauvreté, ça se tient tout. Et puis efficacité, mais efficacité, pas du tout dans le sens habituel du mot : efficacité, dans le sens, que Dieu fait avec quelqu'un, et en quelqu'un ce qu'il veut faire, lui, et souvent, nous n'en savons rien.

François : L'expérience très forte que vous vivez maintenant, si vous pouviez revenir à 40 ou 50 ans, qu'est-ce que vous en retiendriez ?

Père Ancel : rien. Je ne pourrais ni comprendre ce que j'explique maintenant, ni le faire, parce que la souffrance, c'est l'œuvre de Dieu. Alors on peut parler, mais on ne sait pas bien ce qu'on dit. On peut parler. Quelques-uns peuvent y trouver quelque chose, d'autre rien. Je ne sais pas. Je ne sais pas.

Francois : Ce que vous venez de dire, c'est un peu une réponse :Pour moi, souffrance, pauvreté, dépouillement, Dieu, adoration, il y a une correspondance. Je crois que c'est valable aussi dans des périodes de la vie où l'on est moins tarauder par la souffrance.

Père Ancel : Oui je crois que c'est vrai, mais à la condition qu'on se laisse faire, parce qu'au fond tout ce qu'on peut dire sur la souffrance, ce n'est rien. Ce qui est important, c'est de se laisser faire par elle et c'est ce qui est terrible : c'est qu'on n’y comprend rien, on n'y comprend rien. Il y a une sorte d'absurdité de la souffrance, de la folie de la croix. Alors, on n'ose même pas en parler, ça a l'air absurde. Cependant on sent qu'il y a la une richesse qui est même une lumière.

C’est absurde, ce que je dis… Quand j'ai commencé à parler, je ne savais pas du tout ce que je dirais. C'est venu comme cela, j'allais dire : bêtement. Mais cela n'a pas d'importance. Je ne me fais pas d'illusion : dans ce que je dis, il y a des bêtises, il y a de la vanité, il y a de tout et même de Dieu, il faut accueillir. Et finalement, le grand mot par rapport à la souffrance, c'est le « oui » : accepter.

C'est tellement riche, la souffrance. Ça ne peut pas être accepté en détail. Il faut se livrer. Et on ne se livre jamais complètement, parce qu'on ne veut pas. On a peur. C'est terrible, la souffrance. C'est terrible, La croix et, cependant on sent que c'est nécessaire.

Il y a une chose que je voudrais dire encore. Il y a une chose qu'on voudrait recevoir dans la souffrance, que je n'ai pas reçu. Cependant je le désire de tout cœur. C'est la joie pascale, cette joie que personne ne pourrait nous enlever.

Père Ancel : Je ne peux pas expliquer et, cependant, je sens que cela existe.

Francois : C'est la joie parfaite.

Père Ancel : Alors, je crois qu'il n'y a qu'une chose à faire, c'est la demander. C'est la demander. Je ne sais pas si on la recevra, mais la demande. Demander la joie pascale.

Francois : C'est un peu la joie parfaite de Saint-François.

Père Ancel : Je pense qu'il y a de ça. Je ne sais pas s’il a pu l'exprimer comme il le sentait. Mais c'est ça, c'est dans cette ligne, dans une ligne d'absurdité, dans une ligne de richesse, dans une ligne de pauvreté. Je ne sais pas. Et à mesure qu'on dit : je ne sais pas, on s'approche de l'adoration, et l'adoration, c'est la joie des adorateurs en esprit et en vérité. C'est tellement riche la souffrance ! Mais je m'arrête, parce que, de fait, je n'en peux plus. Je voudrais que tu me lises les Béatitudes..

François : Mathieu 5 : Voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s'assit et ses disciples vinrent auprès de lui. Et, prenant la parole, il les enseignait en disant :

Heureux, les pauvres en esprit,

car le royaume des cieux est à eux…

Père Ancel : il le disait à tous…

Francois :

Heureux les doux,
Car ils recevrons la Terre en héritage.
Heureux les affligés,
car ils seront consolés.
Heureux les affamés et les assoiffés de justice.
car ils seront rassasiés
Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs,
car ils verront Dieu.

Père Ancel : Voir Dieu. Voir Dieu. ! Montre-nous ta face, et nous serons sauvés…

Voir, Dieu, ne voir que Dieu, en lui-même, comme Jésus, le voyait sur la montagne. Dans les œuvres de Dieu, regarder les fleurs des champs… Dans tous les hommes, puisque chacun a été fait à l'image de Dieu. Voir Dieu… ne voir que Dieu. Pour cela, nous avons besoin d'être purs, et c'est un don de Dieu. Ne pas s'inquiéter. Les dons de Dieu sont des dons : ce n'est pas mérité. C'est lui… Merci d’avance… Je ne sais pas ce que tu nous donneras. Je sais que tu es bon. Bienheureux les pur car ils verront Dieu…

Francois :

Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux les persécutés pour la justice,
car le Royaume des Cieux est à eux.
Heureux êtes vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute, l'on vous calomnie de toute manière à cause de moi : soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les Cieux. C'est bien ainsi qu'on a persécuter les prophètes devancier.

Père Ancel : C'est beau ! On n'y comprend rien, mais on sent qu'il y a une richesse inouïe… Quand on parle, on a toujours peur de jouer la comédie… C'est vrai, puisque c'est lui qui l'a dit…

Oui, tu es formidable, notre Dieu, tu es beau, le plus beau des enfants des hommes, tu es la beauté de la sainteté, tu es la splendeur, la joie de Dieu.

Pardon, je bafouille. Et cependant je voudrais t'aimer, même si je n'ai jamais su faire. Qui sait s’il y a un mois ce désir ? Je voudrais t'aimer, je voudrais que tu ne sois jamais offensé. Je voudrais qu'on ne s'occupe que de toi, de ta beauté, de ta grandeur, de Toi.

 

 

Lettres des Anciens et des Malades, N° 26, Noël 1983

 

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