L'hospitalité est un devoir... ?

Publié le par Michel Durand

Comme vous le savez, dans une animation collégiale de l’Eglise, le débat a son importance. C’est dans l’échange d’idées et de pratiques que nous sommes invités à discerner les traces de l’Esprit-Saint. Il nous devance. À nous de le reconnaître. Souffle-t-il ici plus qu’ailleurs ?

Suite à l’article publié dans Lyon-Capitale, F. M. m’adresse cette lettre. Je vous la communique, avec son accord, avant de vous donner à lire ma réponse.


12 octobre 2007
Michel,

J'ai sous les yeux l'article de Lyon Capitale et je souhaite te faire partager les réflexions qu'il m'inspire.
Mais je commencerai par te rappeler mes engagements précédents, qui légitiment mes commentaires.
Tout d'abord mon compagnonnage avec Lanza del Vasto m'a permis d'apprendre et de pratiquer la désobéissance civile que tu invoques. La grande différence c'est que j'ai toujours agi en harmonie avec mes compagnons et en accord avec mes responsables. C'est pourquoi ton initiative solitaire qui fait fi de ta hiérarchie me choque énormément.
Mon autre engagement concerne les populations dans la misère, que ce soit dans le Tiers Monde et ailleurs. En effet je suis le co-fondateur avec Bernard Kouchner, alors ministre de Michel Rocard, du Service National Humanitaire.
A sa demande j'ai créé et dirigé une ONG qui a envoyé des dizaines de jeunes gens, manuels qualifiés (charpentiers, mécaniciens, prothésistes etc), dans une vingtaine de pays, des Philippines au Salvador en passant par le Liban, l'Egypte, le Mali, Madagascar ou la Roumanie (pour les populations Roms).
Les missions se faisaient toujours à la demande d'ONG locales ou en liaison avec les Amis de Sœur Emmanuelle ou la Délégation Catholique à la Coopération. Avant la disparition du Service National, elle était devenue la 7ème ONG de France pour le nombre d'envoi de volontaires.
Venons-en maintenant au fond de cet article. Je te cite: « si tous les baptisés accueillaient des étrangers, le problème de l'accueil serait réglé» et de quoi vivraient-ils? il ne t'a tout de même pas échappé que nos emplois partent de plus en plus en Asie et que ceux qui restent ne sont guère recherchés (c'est un ancien compagnon menuisier qui te l'affirme d'expérience)
Autre citation: « l'hospitalité est d'autant plus un devoir que c'est notre système économique qui a provoqué cette misère », cette affirmation culpabilisante est récurrente ces temps-ci, mais elle est un raccourci facile qui ne fait pas progresser la résolution des problèmes locaux.Tu n'as pas dû visiter beaucoup de pays d'Afrique pour te contenter de cette analyse !
Je suis d'ailleurs effaré d'un tel manichéisme de la part d'un prêtre ! ne sais-tu pas que la ligne de partage entre le bien et le mal ne passe pas entre les continents, les peuples, les religions mais à l'intérieur de chaque homme ?
Je trouve aussi que ta posture ne rend pas service aux immigrés et enfants d'immigrés déjà présents sur notre sol et qui ont bien du mal à trouver leur place. Nous avons un vrai devoir envers ceux que nous avons fait venir pour travailler dans le bâtiment, les vignes, l'automobile sans oublier les Harkis et leurs familles. Et la pression d'une immigration sans limite ne fera qu'exacerber les tensions entre communautés dans notre pays.
Et pour terminer je considère que tu n'es pas qualifié pour nous donner des leçons sur
l'accueil d'étrangers, car après tout tu ne prends aucun risque :
- tu héberges des clandestins non pas chez toi mais dans un bâtiment public
- tu n'auras pas à supporter la pression fiscale supplémentaire que provoquerait ta « générosité» puisque tu n'es pas imposable
- tu n'es évidemment responsable d'aucune descendance
- tu ne prends non plus aucun risque physique car la France n'est pas la Birmanie et tes
provocations ne te vaudront ni bastonnade ni prison et encore moins la mort

Je ne sais pas si ton article t'a apporté beaucoup de courrier mais il faut que tu saches qu'autour de moi nombreux sont les baptisés qui approuvent les réflexions que je t'ai livrées.
Et étant donné que tu as mis le débat sur la place publique, je me réserve le droit d'adresser copie de cette lettre à qui je voudrai et je commencerai par Mgr Barbarin.

Bien sincèrement


Ma réponse

samedi 20 octobre 2007

F.

Le débat est effectivement ce qui importe le plus dans une société qui est formée, et doit l’être encore, à l’échange des convictions. Mais, il est certain que le dialogue devient stérile quand chacun campe sur ses positions au point de ne pas écouter d’autres avis. Il garde quand même l’avantage d’une meilleure connaissance.
De la hiérarchie, j’ai une conception collégiale, prophétique plus que soumission à un prince. L’Église est la réunion de deux ou trois (et plus) au nom de Christ. Elle n’est pas pyramidale. La liturgie selon Vatican II, du reste, exprime bien cette assemblée autour du Christ.
Il n’est pas prioritairement question de désobéissance, mais d’adhésion à un absolu qui donne le sens de l’existence. Dans cet absolu, je place la réalité du frère qui regarde ses compagnons comme des frères parce que le Créateur est Père. Père universel. Dieu fait lever son soleil sur tous.
Pour que les habitants des pays issus de l’industrialisation vivent de cette fraternité, il convient de se donner au partage. Deux dimensions sont indispensables.
L’une, interne, consiste à entretenir des relations de voisinage pleines d’humanité. C’est tout simplement la vie de quartier, la vie professionnelle et de loisir. Force de l’action associative. En ce domaine, j’avoue avoir une grande admiration pour le travail de Cabiria, du Nid, de Resf que j’ai découverts en prenant en charge la paroisse (mot qui parle du quartier) de l’Église Saint-Polycarpe des pentes de la Croix-Rousse.
L’autre est externe. Je veux parler des relations économiques internationales. Tant que nous entretiendrons et accepterons de profiter d’un commerce mondial inéquitable, les ressortissants des pays les plus pauvres auront toujours le désir de venir vivre dans les pays qui sont, à tort, considérés comme des paradis.
Travail de proximité et travail macro-économique sont à mener de front. Je le constate chaque année pendant mes séjours africains, continent que je connais bien pour le fréquenter régulièrement et avec plaisir depuis plus de 20 ans.
Prophétique, l’Église se doit d’être signe d’amour dans la vérité. Je vois en cette exigence du baptême une réponse à de nombreuses questions. En fait, avec cette lettre, je souhaite ajouter un point qui n’a pas été indiqué dans l’article de Lyon-Capitale. À son sujet, il est juste de noter que le journaliste n’a pas déformé mes propos. Je regrette seulement le travail journalistique qui fait choc en mettant en première page. D’autres prises de position sont bien plus importantes et méritent d’être largement connues par tous, en fait les habitants de Lyon.
Je n’ai pas eu l’occasion dans l’entretien de dire ce qui me semble essentiel pour l’Occident. Je veux parler de l’appel à la pauvreté. Si la misère est à combattre, la pauvreté, la vie simple, sobre sont à promouvoir. Qualité évangélique qui de génération en génération doit inventer son chemin. Ma réflexion n’est pas stratégique. Elle est fondamentale. C’est cet art de vivre, cette philosophie qui devrait présider aux décisions concrètes concernant, par exemple, le partage du travail. On ne réglera jamais la fuite des emplois en Asie, en crispant ses recherches d’intérêt sur son seul territoire. Un niveau financier de vie ne peut être assuré au dépend d’un voisin. En ce sens, je pense que les chrétiens conscients de leur baptême devraient davantage donner l’exemple prophétique du partage. Ce serait, c’est déjà, le ferment d’un commerce mondial juste.
Voilà les commentaires que ton texte m’a inspirés. Ils ne répondent pas à tes attentes, mais j’espère avoir apporté quelques explications sur mes motivations profondes.
Je me sens bien petit pour que le débat puisse vraiment être mis sur la place publique, mais tout échange participe de ce débat. Puisque tu te réserves le droit d’adresser copie de la lettre à tes connaissances, je m’engage également à la déposer dans mon blogue comme source de dialogue. Sauf si tu t’y opposes ; dans ce cas, je choisirais un pseudonyme.

Avec mes salutations amicales

Michel Durand

Publié dans Politique

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D
Michel et F.M.Je suis prêtre de la Mission de France et Délégué Diocésain d'Evreux de la Pastorale des Migrants. J'atteste que l'accueil des étrangers est un défi pour notre foi et pour notre Eglise. Je suis témoin du fait que bien des familles sont éprouvées par les restrictions récentes et importantes du droit au séjour et du droit d'asile pour les étrangers sur notre territoire.Nos évêques ainsi que le pape se sont opposés à ces dernières évolutions de la loi.J'approuve la générosité de Michel. Il indique une direction. C'est sa responsabilité apostolique "d'élargir l'espace de notre tente" même si ça ne donne pas une solution transposable partout.MERCI.Dieu bénisse !Denis Chautardhttp://chautard.over-blog.net
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M
Hier, à un rassemblement de soutien à Florimond Guimard, enseignant à Marseille, qui est poursuivi en justice pour s'être opposé, avec 200 autres personnes, à l'expulsion d'un père d'élève, j'ai rencontré plusieurs personnes ne cachant pas leur engagement dans l'Eglise du Christ. Que le groupe que nous formons sorte de l'ombre et en plus de s'opposer aux dernières évolutions de la loi, nous travaillerons à la création de nouvelles lois, favorables, celles-ci, à tous citoyens de la terre. Merci, Denis, de ton commentaire. Je recommande la lecture de cette page de ton site : Angélisme ?... et alors les anges mènent le monde : http://chautard.over-blog.net/article-13018142.html