LES CATHOLIQUES
Je vous ai déjà parlé du livre d'Henri Tincq, « Les catholiques », Grasset, mars 2008.
Voici une page. Je la transcris dans ce blogue en pensant, normal pour un curé, au petit groupe de paroissiens que je rencontre régulièrement.
Henri Tincq trace le tableau des 7 familles, ou tribus, catholiques. Il parle des observants après avoir brossé les traditionalistes, les fantassins, les inspirés, les silencieux, les engagés. En fait, il parle des observants-zappeurs.Viennent ensuite les rebelles.
Les observants
Aurions-nous le sentiment d'avoir fait le tour de la diversité des «tribus» catholiques, qu'il nous faudrait aller voir du côté de celle qui, de loin la plus
nombreuse, apparemment sans histoire, ne manifeste guère d'excès de dévotion, ni de contestation. Celle qui ne fait guère parler d'elle, qu'on risquerait d'oublier tant elle appartient au
paysage, se montre fidèle à la foi catholique définie par le pape et les évêques, remplit les églises les dimanches et jours de fête, pratique sa religion par tradition, routine ou conviction.
C'est la force tranquille du catholicisme, à la fois troupeau docile et vivier dans lequel puisent à l'occasion les paroisses, les mouvements militants, les services d'Église (catéchèse) pour
leur fonctionnement.
Dans le passé, on a pu qualifier de «consommateurs» ces fidèles qui pratiquent sous la pression sociale ou familiale. Convenons que ce terme péjoratif est de moins en moins pertinent et justifié. Car le conformisme social joue désormais à l'envers. Dans les sociétés appelées autrefois chrétiennes, il était de bon ton de se rendre à l'église, de fréquenter ses rites, par convention ou convenance. Mais, dans les sociétés sécularisées où dominent l'indifférence et le scepticisme, où la pratique religieuse devient étrange, voire étrangère, l'observance obéit à un effort personnel, exige un acte de foi et de courage volontaire.
Appelons donc « observants» ces fidèles, pratiquants « réguliers» du dimanche, ou ceux qui, moins assidus, pratiquants « occasionnels» répondent présent aux rendez-vous du calendrier, les fêtes de Noël, de Pâques, de l'Assomption, de la Toussaint, etc.
Ceux pour qui la messe donne un sens à la vie et la prennent au sérieux.
Ceux qui fréquentent les sacrements de base de la vie chrétienne, comme la communion (eucharistie), sans ignorer les autres dont la pratique est plus exceptionnelle.
Ceux pour qui le catholicisme est un ensemble de repères, de références, d'habitudes, un lieu de mémoire, une somme de rites, de croyances, d'obligations, de pratiques.
Ceux pour qui l'Eglise est une famille et l'église un lieu d'appartenance, de convivialité, où l'on se reconnaît, où le vocabulaire est le même, où les valeurs partagées sont fortes et communes.
« Observants » ceux qui ne se posent pas tous les jours des questions sur leur foi, mais s'informent de la vie de leur Église, ressentent le besoin d'approfondir tel point de doctrine, participent éventuellement à des sessions, des cours, des conférences, des cercles bibliques.
Ceux pour qui les questions adressées de l'extérieur aux catholiques, dans un monde de mixité plus grande entre croyants et non-croyants, entre catholiques et fidèles d'autres religions, sont provocantes, déstabilisantes et les obligent à s'interroger, à aller plus loin.
Ceux qui connaissent les principes de la morale catholique, mais vivent avec elle, plus ou moins librement, sans se sentir des obligations excessives.
Ceux qui ont renoncé à une pratique régulière, mais ont gardé des réflexes, des souvenirs, des attitudes, des gestes généreux et charitables et se présentent à un prêtre ou un laïc responsable pour une démarche occasionnelle : le baptême d'un enfant, une maladie grave, un deuil.
Ceux qui ont le souci de transmettre à leurs enfants une bonne éducation catholique et se désespèrent parfois quand les relais ne passent pas, que les transmissions ne se font plus.
Ceux qui ne supportent pas que leur foi soit suspectée ou fasse l'objet de dérision dans des émissions de radio ou de télévision à succès.
Elle est là la grande masse des catholiques de tradition, mais non traditionalistes, ouverts, capables d'admettre que la foi, la pratique doivent évoluer avec le temps. Ceux qui ont accepté et toléré les mutations de leur Église au tournant des années 1960. Ceux qui s'inquiètent de la diminution du nombre de prêtres, de la fragilité de l'institution, mais qui suivent, plus ou moins de bon gré, les changements d'habitude qui leur sont proposés. Des hommes et des femmes catholiques qui sont convaincus, le disent, l'expriment ou le cachent, ou sont en attente, en recherche, comme cette grande partie de la jeunesse coupée de l'héritage chrétien et façonnée par la culture médiatique et marchande.
Ils sont impossibles à chiffrer - en progression ou en diminution selon les pays et les continents. Nous y viendrons dans le chapitre suivant. Mais de cette
population, les enquêtes d'opinion vont prendre régulièrement le pouls pour mesurer le niveau de pratique, d'implication et d'audience. Les instituts de sondage l'auscultent régulièrement pour
connaître le sentiment de la majorité de ceux qui se déclarent « catholiques », mesurer leur place dans la société et l'évolution de leur influence.
Depuis le concile de Trente, la pratique religieuse - messe dominicale, confessions, baptêmes, mariages, enterrements, enfants catéchisés - est l'unique repère quantifiable de la vitalité catholique. Depuis un demi-siècle, les sociologues se sont emparés de ces indicateurs pour mesurer l'état de la foi d'un pays, l'évolution de ses « valeurs ». Ils ont identifié et, d'une certaine manière, réduit la réalité de la vie religieuse à son encadrement par l'Eglise. D'où les diagnostics de la plupart d'entre eux, concluant au recul de l'influence catholique, en termes de pratique ou d'emprise du catholicisme sur les habitudes et les mœurs.
Cette recherche d'indices « quantitatifs» méconnaît la réalité sociale de l'expérience religieuse. La pratique de la messe et des sacrements qui, on l'a dit, ne sont plus vécus comme des obligations formelles, est le seul moyen de quantifier la foi, mais la foi ne se limite pas à des pratiques rituelles, plus ou moins régulières. Elle est aussi mémoire et appartenance, mode de vie, tradition familiale, identité culturelle, insertion dans une communauté.
Pour prendre la mesure de ce déplacement, citons le cas de la France qui se déclarait, il y a un siècle, massivement catholique et allait à la messe, « faisait » ses Pâques, baptisait ses enfants, se mariait à l'église, fréquentait le confessionnal, réclamait les derniers sacrements. Les laïcs instruits de leur foi, les militants, membres d'organisations charitables, spirituelles ou apostoliques, formaient un « noyau dur » de catholiques fervents et conscients, mais qui ne dépassait guère, en moyenne nationale, selon les enquêtes de l'époque, 5 à 10 % de la population.
Ce pourcentage n'est plus aujourd'hui que celui des... pratiquants très réguliers. Ce qui souligne assez l'effondrement de la pratique. Mais beaucoup s'en consolent ou s'en accommodent, en pensant que la participation massive d'autrefois à la messe et aux sacrements n'était pas le meilleur indicateur de la santé spirituelle du pays et que la pratique régulière, devenue résiduelle, témoigne probablement d'une authenticité plus grande.