Bouddhisme et amour du prochain

Déjà le 3 octobre, nous avions un échange. Avec grand plaisir, je lui donne la parole. Son texte souligne ma méconnaissance du bouddhisme alors que la question posée demeure.
Je reviens donc sur la phrase du bouddhiste que vous avez trouvé dans La Croix et que vous citez dans votre homélie. Je vais effectivement me tourner vers eux (les journalistes de la Croix ou les moines de la Pierre qui Vire) pour mieux comprendre celui qui a pu dire cette phrase qui me parait inconcevable dans la bouche d'un bouddhiste honnête, surtout d'un moine bouddhiste capable de passer plusieurs mois dans un monastère chrétien ! Comment puis-je concevoir qu''un bouddhiste ouvert au dialogue inter-religieux ait pu dire "Finalement il est préférable de ne pas aimer son prochain", qui est exactement l'inverse du message chrétien ?
Sincèrement, je soupçonne de la part du journaliste qui a rapporté cette phrase, un dérapage. C'est le mot, l'usage du mot "sérénité" qui me met la puce à l'oreille. Car, les bouddhistes n'emploient pas ce mot-là d'habitude. Je le sens davantage dans le vocabulaire d'un occidental qui regarde le bouddhisme de l'extérieur. Je ne mets pas en doute sa bonne volonté. Il était probablement honnête. Mais, emporté par le thème de son article, il a sûrement, involontairement, déformé une phrase d'un bouddhiste, pour démontrer ce qu'il croyait être une différence fondamentale entre les chrétiens et les bouddhistes.
Vous avez trouvé un passage d'Emile Besson. Lui aussi, ce devait être un chrétien honnête ; mais en 1925, l'Eglise catholique considérait le bouddhisme comme Hergé considérait les africains dans "Tintin au Congo". Je rends tout de même hommage à ces intellectuels comme Emile Besson, qui malgré un parti pris qui paraît à mes yeux aujourd'hui assez insupportable, ont tout de même contribué à la lente connaissance de l'occident des ressources bouddhistes. Ils ont malgré tout préparé le terrain pour qu'un jour, un certain Henri de Lubac ("grand ami" de notre pape !) ait pu écrire dans les années 50 une introduction au bouddhisme où j'ai trouvé cette phrase dans l'introduction : "Mis à part l'événement Jésus-Christ, le bouddhisme est la plus grande aventure spirituelle de l'humanité".
Lorsque vous dites avoir lu que l'amour du prochain faisait perdre la paix intérieure, j'ai toujours entendu l'inverse dans le bouddhisme. Pour découvrir ce que disent les maîtres bouddhistes sur l'amour, il suffit de lire des livres du Dalaï-lama. J'ai à la maison un petit livre de poche sur des extraits de ses enseignements. Grâce à vous, j'ai donc replongé dans ces extraits, et j'ai trouvé une phrase qui me touche de près:
"l'Amour véritable ne peut ni se transformer ni disparaître
puisqu'il est construit sur l'altruisme et non sur l'attachement et le désir"
C'est l'attachement et le désir qui crée de la perturbation, non pas l'amour du prochain. J'aimerai approfondir cette question que vous développez dans votre homélie : dans la réalité de ma vie, comment je dissocie l'attachement de l'amour véritable, le "j'aime mon prochain" du "je désire aimer mon prochain"...
Un autre livre vous permettrait de découvrir en profondeur le dialogue entre nos deux traditions : "le moine et le lama", un dialogue entre Dom Robert Le Gall (qui est donc évêque aujourd'hui) et le lama Jigmé Rimpoché (maître spirituel des bouddhistes que je fréquente). Il y a tout un chapitre sur l'amour chrétien et la compassion bouddhiste. Si vous avez l'occasion de le lire, je vous promets que vous y découvrirez avec moi que si c'est vraiment un bouddhiste qui a dit cette phrase, il a rien compris à l'enseignement du Bouddha.
L'enseignement que je comprends du bouddhisme m'amène à dire exactement l'inverse de votre conclusion : si j'observe en vérité et en profondeur ce qui se passe en moi avec la méditation, je découvre dans la réalité que lorsque toutes mes inquiétudes ne sont que pour mon bonheur personnel, j'ai moins de paix intérieure que lorsque j'essaie d'aimer mon prochain, d'avoir de l'attention pour lui. Ma "sérénité" est un leurre, si elle n'intègre pas la souffrance de tous les êtres. Voilà le message bouddhiste.
J'aurai d'autres choses à vous partager à propos du reste de votre homélie et de votre message, mais je m'aperçois que cela me fait faire un travail sur moi-même pour être sincère (je ne serai vraiment pas capable d'écrire une homélie par semaine !). Comme cela retarde trop l'envoi du message, je m'arrête là pour l'instant. Nous continuerons si vous êtes d'accord... et si vous en avez la possibilité !
Quoiqu'il en soit, je vous remercie beaucoup pour l'énergie que vous mettez à rendre vos homélies accessibles. Vous faites preuve de courage car vous acceptez ainsi la critique.
Je vous souhaite une bonne semaine.
En union de prière.
Bruno Givelet