Théologie de la Beauté et Incarnation

Publié le par Michel Durand

La beauté de l'art en débat A l'approche de la 7ème biennale d'art sacré actuel, voici un article sur le beau. Une méditation que seuls les esprits baignés de transcendance dans le ligne de Platon risque de comprendre pleinement.
Mais aujourd'hui, feu le transcendant....



Macha Chmakoff. exposition de ses œuvres à Lyon.
Cathédrale : Du 25 février au 12 avril 2009
Saint- Polycarpe :  Les après-midi des 5,6,7,8 et 12,13,14,15 mars 2009

Le beau est réalité d'expérience et pas seulement concept. Le beau est cette qualité d'être que l'individu désirant peut quêter auprès de toute chose, qu'il s'agisse d'un objet, d'une personne ou d'une action. Le beau est un choix en ce sens qu'à son égard nous ne sommes pas contraints par la nécessité. Quoique assez rare, l'absence absolue de préoccupation du beau n'est pas à ranger au rayon de la pathologie.

Quelque part, entre conscient, inconscient et subconscient, le libre arbitre s'enfante. Là est le lieu où s'élabore le choix à partir de matériaux divers. Le choix du beau n'est jamais choix unique. Au plus, peut-il être choix majeur. La radicalité de ce choix dépend de l'activité des autres choix à lui disputer la place dans l'incertaine étendue de la psyché sensorielle et affective.

Pour l'esthète, le choix du beau est choix majeur, c'est-à-dire qu'il est le choix en qui la multiplicité des choix s'ordonne et prend son sens. Le beau est la qualité supérieure de «l'être-au-monde» qui canalise à son profit à la fois la tension physique et la tension intellectuelle. A ce stade, le beau peut fonctionner encore comme transcendantal de la connaissance. Il étend alors son empire sur les facultés spirituelles, envahissant le champ de la contemplation méditante jusqu'à s'étendre sur l'horizon de l'éthique théologienne et de la créativité mystique.

Le choix du beau n'est pas «distingomuré» dans la passivité. Une fois le conflit des choix surmonté, l'individu désirant ne cesse de rechercher le beau afin d'y faire sa demeure. Pressé comme tout homme par l'Histoire, l'ami du beau analyse et agit ou, faute de mieux, en se gardant, autant que faire se peut alors, à la frontière du beau, ne cédant à la conjecture contraire que pour un moindre mal social ou personnel, et cela, sous la violence non réductible de cette conjoncture. Le beau est «actif humain essentiel». Il est principe d'action. Que cherchons-nous sinon l'harmonie du moi et celle du moi au tout social et culturel ? Une vie heureuse n'est-elle pas une vie harmonieuse, là même où les contradictions s'articulent en une construction persistante se résolvant en claire architecture ?

Pourtant, un doute subsiste : ne cherchons-nous pas davantage le jouir que le beau ? Et le beau n'est-il pas pour nous chemin ou condition du jouir ? Il faudrait ici réfléchir sur le statut du jouir.

Peut-on et doit-on éviter la fameuse confrontation Dyonisos et Jésus-Christ ?

Nous pouvons maintenant découvrir une dimension nouvelle et plus profonde du beau. Le beau installe, porte en lui, un équivalent accessible aux sens, c'est-à-dire accessible dans l'ordre du sensible et de l'intelligible, un résumé de la Présence. Par Présence, il faut entendre ici existence et manifestation du Transcendant dans sa perfection. Cette perfection, comprise suivant les catégories de la foi chrétienne, n'est autre que l'absolue réalité vivante du Dieu Un et Trine de Jésus-Christ.

S'il est préférable de parler de résumé de la Présence plutôt que de la Présence elle-même, c'est que nous ne pouvons affirmer que le beau, en tout objet, de par la nature complexe sinon hétérogène des objets, et peut-être par sa nature même, puisse exprimer, montrer, l'ineffabilité divine autrement que sous certains éclairages authentiques, certes , mais partiels. Encore faut-il insister sur le terme d'équivalence. Equivalence n'est pas identité. Le beau n'apporte pas de lui-même la Présence vivante de Dieu. Il n'en apporte que l'image... Oserions-nous dire l'Ange, le messager ? Toutefois cette image, dont la lecture théologique n'est pas immédiate, évoque fidèlement quelque chose de Dieu. Le beau transfigure en quelque sorte l'objet, de matière mise en forme à forme transcendée par l'attribut divin du beau. Dieu est beau.

Le beau, de soi, n'enlève pas le péché et il ne réintroduit pas dans l'état de grâce : Dieu seul a ce pouvoir. Si le beau médiatise, intercède à sa façon, le fruit de cette intercession est don de Dieu et non du beau lui-même. Dire que le beau intercède, c'est dire qu'il est doué de vertu transformante. La vertu transformante du beau réside dans l'affinement de la sensibilité et dans l'élévation morale que le beau suscite en nous. Le beau véritable (le beau a aussi ses contrefaçons) nous attire loin des ornières où la vulgarité de la possession immédiate en vue de jouir nous maintient. L'état de grâce est cette entrée pour nous dans un regard autre où la contemplation sensible s'achève sans le moins du monde se renier, en contemplation spirituelle. La contemplation sensible demeure mais nous discernons en elle (et nous expérimentons réellement) la vie de l'Esprit. Ce que voient nos yeux correspond à la fois à la nature et à l'Esprit, lesquels s'interpénètrent ou conversent en un univers unique qui s'origine perpétuellement en Dieu.

Le beau est un dialogue. Il n'est pas mutisme en fixité. Il est vie, donc dynamique et verbe. Beauté de la forme et beauté spirituelle il est. Non pas deux êtres mais deux mises en oeuvre d'un même être. Hésiterons-nous à les appeler plastique et éthique ? N'allons-nous pas alors vers une esthétique du comportement ? La beauté spirituelle apparaît comme une définit dans l'aimer. Ce qui n'était que plastique suscitant l'émotion devient verbe. L'amour et le verbe s'ordonnent l'un à l'autre...

L'expérience spirituelle ne peut se dire hors des formes plastiques, qu'elles soient verbales, scripturaires ou graphiques. Ces formes sont celles du verbe, seul support de la communication spirituelle. Le verbe par nature est messager, porteur de message. Il annonce. Faisant sien ce qu'il annonce, il devient peu à peu ce qu'il annonce, habité jusqu'aux racines mêmes par le message.

La création est don. Elle est don de Dieu. La contemplation qui est l'acte humain de regarder le beau autant que de regarder selon le beau est réception. Regarder «pour le beau» suppose l'accueil du beau face à soi. Le beau est offre du Créateur. Parce qu'il est du Créateur nous l'aimons davantage et nous le vénérons. Le beau nous relie à l'absolu de notre être ainsi qu'à l'Etre absolu. C'est donc par excellence en attitude de présence, d'attente et d'écoute de l'absoluité divine que nous pouvons le mieux considérer le beau. Contempler c'est prier à l'intérieur du verbe. Nos yeux seuls véhiculent la motion du verbe qu'habite l'Esprit. La forme-matière demeure lieu de communication. Non achevé dans la Gloire, laquelle est promise et déjà commencée en Jésus-Christ, notre esprit qui veut vivre a besoin de forme pour être : corps, verbe, plastique.

Les moyens de la rédemption sont à travers le sentiment du beau. Cela ne signifie pas qu'ils ne soient pas ailleurs.  Si les moyens de rédemption sont au coeur même de ce remuement de tout l'être que provoque la confrontation du beau et de notre conscience, c'est que cette confrontation peut réellement, la Grâce aidant, nous témoigner le Nom de Dieu. Ce Nom de Dieu ne nous dit pas seulement l'existence de Dieu. Il nous invite à reconnaître l'orientation miséricordieusement rédemptrice de Dieu dans le beau afin de laver nos coeurs à la limpidité retrouvée du regard, reconduire nos pas sur le chemin de la prière vivifiée par la contemplation de l'Esprit, tout cela doit nous porter à une attention nouvelle à chacun de nos comportements. Le souci d'harmonie informe notre rapport social dans le sens d'un rapport fraternel. Notre vie découvre invitation à marcher dans le Royaume évangélique. La rédemption de notre être s'imprime au lieu même où nous identifions le Coeur du Christ comme alpha et omega du beau.  Le Verbe Incarné est l'incarnation de la beauté.


Père J.J. Launay

Paru dans le bulletin de la Société Saint-Jean,

N° 152 et 154 ; septembre novembre 2006.

(Extrait d'un texte du Père J.J. LAUNAY paru dans

Cath's Arts N° 48, 2e trimestre 1980)


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