LES CATHOLIQUES ONT-ILS ENCORE LE GOÛT DU MONDE ?..
Il ne s’agit pas d’intenter un procès à l’égard de quiconque : ni de réquisitoire de condamnation – et de quel droit le ferions-nous ? – Cf. Mt.7,1-5, ni de plaidoirie en faveur des accusés – et de quel droit serions-nous dispensés du devoir évangélique de correction fraternelle ? – Cf..Mt. 18,15-20. Il s’agit d’une analyse de (S) sagesse sur les présupposés de la question posée, la seule d’ailleurs susceptible de fournir une base solide aux engagements nécessaires pour recouvrer éventuellement le goût du monde.
-
1. QUESTION DEJA POSEE PAR D’AUTRES…
Editeur et écrivain, Jean-François BOUTHOURS a déjà participé à une ordination presbytérale, en la Cathédrale Notre-Dame de Paris, le 28 juin dernier… durant laquelle il a éprouvé un sentiment étrange dont il a rendu compte dans le journal La Croix, du jeudi 9 juillet courant. En voici un extrait :
On a eu le sentiment d’assister à un beau moment de religion. Et c’est, précisément, cela qui fait difficulté. Les formes étaient assurément celles de Vatican II. Ce n’est pas affaire de rituel mais plutôt de disposition. La disposition était celle d’une autocélébration d’une église qui semblait faire comme si elle s’absentait du monde…
Dans le reste de l’article : « les catholiques ont-ils encore le goût du monde ? » l’auteur énumère sans concession, les signes irrécusables de l’absence des catholiques dans la vie de la Cité et de la Terre des hommes. A question grave et ouverte, réponses sages : objections, nuancées et, nécessairement, plurielles dont une d’entre elles pourrait s’énoncer ainsi : des catholiques ont aujourd’hui encore le goût du monde.
-
2. QU’EST-CE QU’UNE EGLISE ?...
L’article de l’auteur commence dans une église, une cathédrale, théâtre d’une célébration exceptionnelle : l’ordination presbytérale.
Or, selon la volonté de l’Eglise exprimée dans les textes officiels , revêtus de l’autorité suprême, conciliaire et papale, de tels lieux sont « maison de Dieu », ouverte non seulement à l’assemblée célébrant, mais aussi à l’homme, tout homme, à n’importe quel homme… et ces derniers ne s’y trompent pas : ils y entrent librement pour les visiter, faire une pause silencieuse. Quelques uns écrivent sur le cahier d’accueil, le pourquoi ils sont là avec leur fatigue et leurs fardeaux.
Dans ces mêmes textes officiels, il a été rappelé que la célébration d’une seule eucharistie dans un bâtiment destiné à être maison de Dieu, le consacre – avant même toute dédicace officielle. Or, ce sacrement, source et sommet de tous les autres, exprime, l’amour de Dieu pour le monde, pour son Salut, réalisés par la mort, la Résurrection, la glorification du Fils Bien-aimé, l’Homme nouveau. Les participants sont invités à annoncer ces réalités invisibles non seulement durant la durée liturgique de la Messe mais encore, dans l’espace et le temps des hommes, cf. 1 Co.11,25. Nous sommes aux antipodes de « l’autocélébration d’une Eglise qui semblerait faire comme si elle s’absentait du monde. Si celle-là existait, elle aurait rompu avec son identité humano-divine.
-
3. UN BATIMENT ACCUEILLANT AU MONDE ACTUEL… FORMES ET SENS DES RITES
Selon l’avis de l’auteur, « les formes », lors de l’ordination presbytérale à laquelle il assistait, « étaient bien celle de Vatican II » d’une part, et, d’autre part, l’art de célébrer manifestait une absence de l’Eglise au monde. S’il en était bien ainsi, la dissociation entre le Rituel et l’oubli du monde serait déjà une infidélité aux textes officiels, issus de Vatican II. En effet, tous les Rituels, sans exception, réclament l’indissolubilité de lien, intrinsèque pour ainsi dire, entre la forme, la lettre et le sens. Tous manifestent clairement la volonté de l’Eglise à être présente au monde, le monde actuel, le monde existentiel tel qu’il est, et non pas tel que nous le désirons, volonté solennellement définie dans le cadre exceptionnel du Concile. Peut-être par manque de moyens ? de recul suffisant, de concertation ? ou d’autres raisons : de facilités, d’attachement aux formes du passé, sécures ? etc… Certains responsables omettent l’attention aux efforts de créations artistiques, aux mœurs régionales, aux mentalités du peuple…
En plus du message silencieux du cadre, des objets… la liturgie – jusques et y compris la plus modeste, celle qui concerne les « bénédictions » - inclue une prière universelle dont chacune d’entre elles comporte des supplications « pour les gouvernants, pour ceux qui sont accablés par diverses misères, pour tous les hommes et le Salut du monde entier ».PGMR, n°69.
Conclusion :
La distorsion entre le Rituel et la présence au monde, dénoncée par Jean-François BOUTHOURS, à partir de ce qu’il a éprouvé durant la célébration des ordinations, est, de fait, une infidélité à l’art de célébrer en vérité, c’est-à-dire : non pas selon la sincérité subjective mais selon la volonté de l’Eglise. Particulièrement intolérable au moment où la communauté célèbre l’Eucharistie… le sang versé pour la multitude. Cf. Mt.26, 28 ; Mc.14,24.
-
4. EN DEHORS DE L’ESPACE LITURGIQUE…
J.F. Bouthours élargit le champ de son enquête à l’ensemble de la vie des hommes où les catholiques n’y brillent pas par le goût du monde. Or, les catholiques sont aussi de « leur » temps : comme tous leurs concitoyens, les catholiques subissent l’ensemble des pressions culturelles ambiantes, à un taux élevé de médiatisation jamais atteint jusqu’ici dans l’Histoire universelle, qui s’exercent partout, et autant dans la maison privée que sur la place publique, à tel point qu’il est impossible – ou presque – d’y échapper. Parmi les pressions : consumérisme, hyper-érotisation, jeunisme, sécularisation… Il en est une, le communitarisme, qui est particulièrement nocive à l’endroit du goût du monde, d’une part, et, d’autre part, particulièrement féconde pour inventer et montrer à l’extérieur des signes identitaires, par exemple : vestimentaires les plus rapidement visibles, mais aussi primaires qui tel un arbre risque de cacher la forêt.
Une forêt faite d’essences diverses : rejet du monde présent ; fondamentalisme religieux ; rigorisme moral, au moins déclaré ; cléricalisme strict ; absence de perspective historique afin de situer la présence dans la dynamique de la filiation au passé et de l’engendrement du monde de demain ; etc…
Le communautarisme catholique, là où il existe, est particulièrement sévère à l’endroit du monde, pris en mauvaise part, plus ou moins diabolisé, qu’il est normal de fuir. Par exemple : tel responsable quitte sa ville durant un festival « pour ne pas y perdre son âme »
Bien plus, le communautarisme tend au rigorisme moral, alors que plusieurs solutions sont objectivement envisageables selon la sagesse traditionnelle, à imposer une seule solution, exclusive de toutes les autres et, en particulier, celles qui dépendent de la conscience de la personne, de son histoire unique. Il s’agit d’un refus grave de la pratique traditionnelle de la casuistique, c’est-à-dire du lien entre la loi morale et la situation concrète de l’individu, immergé dans ce monde.
Et encore, le communautarisme engendre inévitablement le cléricalisme dont les ministres sont qualifiés de pieds de la marche de l’Eglise vers le Royaume, pieds solides, infaillibles, efficaces… bien ! cependant, le cléricalisme étouffe la reconnaissance effective de la place des laïcs « dans la marche de l’Eglise aujourd’hui» au sein du monde, de la pâte humaine. Et encore, et encore le communautarisme tend à privilégier les formes du passé, proches des origines, les plus pures, les plus sûres, les plus identitaires, au détriment de la recherche de formes nouvelles. Fidèles à l’Amour de Dieu, tous les jours nouveau, nécessaires à la présence de l’Eglise à l’aujourd’hui, venu et assumé d’EN HAUT, qui la dépasse.
Dans les situations actuelles, il est particulièrement tonique de se rappeler la réflexion de Saint Augustin, plus psychologique, à savoir « les temps passés sont censés avoir été meilleurs que les temps présents pour la seule raison qu’ils n’étaient pas les nôtres ; et le critère de discernement plus théologique d’un verset biblique : « Celui qui prétendrait que le passé était plus favorable que le présent montrerait qu’il n’est pas inspiré par l’Esprit de Dieu… » Qo. 7, 9-10.
Conclusion :
Merci à J.F. Bouthours d’avoir livré à la presse sa question : les catholiques ont-ils encore le goût du monde. Certes, une autre question, tout autant exigée par la Sagesse, devrait s’intituler : Les catholiques ont encore aujourd’hui le goût du monde ! Cependant, l’objectivité de l’étude de J.F.Bouthours mérite une attention sur les déficits, nombreux, de catholiques quant à l’art de célébrer ; quant à l’indissolubilité entre la forme et le sens ; quant à la distance à prendre vis-à-vis des courants culturels qui ne servent pas le sens de l’histoire dont l’ultime dynamisme procède du dessein salvifique de Dieu au bénéfice du monde.
R. Beauvery