Dieu criminogène. Réponse de Pierre Régnier
Pierre Régnier me passe par courriel plusieurs citations pour alimenter le débat sur Dieu et la violence, la violence des religions, ou Dieu lui-même criminogène.
Je lui ai opposé le mot « criminophobe ». Dieu au lien d’engendrer le crime est plutôt celui qui a horreur du crime.
Je lui ai opposé le mot « criminophobe ». Dieu au lien d’engendrer le crime est plutôt celui qui a horreur du crime.
Si Régis Debray avait un style limpide je recommanderais volontiers la lecture de son petit livre : « Les communions humaines. Pour en finir avec les religions », bibliothèque de culture religieuse, Fayard, 2006. Régis Debray estime que le mot « religion » est un concept valise où l’on fourre tout et n’importe quoi. C'est un concept qui devrait céder la place à celui de « communion ». Effectivement, on parle de « religion » à propos de rassemblements humains tellement différents les uns des autres, que l’on ne voit plus ce que signifie être religieux. Avant de qualifier Dieu d’engendreur de crime, il serait bon de voir de quelles religions il est question lorsqu’elles affirment reprendre des « commandements » de Dieu. Mais, parler de cette façon, c’est redire ce que je disais dernièrement en invitant à distinguer Dieu, le Créateur, l’unique, l'indicible et les hommes qui s’organisent, dans leur histoire guerrière, en religion. Personnellement, à la suite de nombreux théologiens, surtout de la Réforme je pense, je crois que le christianisme (se mettre à la suite du Christ) est une sortie de la religion. C’est ce qui me fait dire que si des religions engendre le crime, Dieu jamais, malgré la forme historique dans laquelle on a façonné sa pensée. Voir le problème de la révélation.
Pierre Régnier insiste : Il m’envoie quelques citations que je vous transmets l’invitant à passer désormais par la zones de commentaires du blogue, si celles-ci acceptent de lui être techniquement dociles.
Il écrit : Je ne suis pas le seul à regretter, comme je le faisais le 15 septembre 2001 que "encore aujourd'hui les religions justifient, cultivent, enseignent la violence religieuse, créant ainsi de dangereux schizophrènes…".
Pierre Régnier insiste : Il m’envoie quelques citations que je vous transmets l’invitant à passer désormais par la zones de commentaires du blogue, si celles-ci acceptent de lui être techniquement dociles.
Il écrit : Je ne suis pas le seul à regretter, comme je le faisais le 15 septembre 2001 que "encore aujourd'hui les religions justifient, cultivent, enseignent la violence religieuse, créant ainsi de dangereux schizophrènes…".
Voici ce qu'écrit Daniel Farhi, rabbin du MJLF (Mouvement Juif Libéral de France) :
"La part de violence imputable aux religions ne diminuera que lorsque celles-ci renonceront à cette terrible schizophrénie qui leur fait enseigner un message si vertigineusement différent de l'exemple dissuasif qu'elles donnent en spectacle depuis toujours. Car enfin, comment expliquer qu'une civilisation enracinée sur les principes "judéo-chrétiens", comme on se plaît à le répéter, soit porteuse de tant de maux, d'injustices et de violence ? Une expression talmudique dit : Que ton oreille entende ce que ta bouche énonce." On ne saurait mieux attendre des religions aujourd'hui…" (page 49 de "La Violence, ce qu'en disent les religions", éditions de l'Atelier 2002, dans le texte "Le judaïsme devant la violence de la Bible").Daniel Farhi y rapporte de très nombreuses violences contenues -et souvent attribuées à Dieu- dans l'Ecriture biblique.
Dans "Dieu est-il violent ?", édité en 2005 par les Presses Universitaires de Strasbourg Manfred Oeming, professeur d’Ancien Testament à l’Université de Heidelberg écrit, pages 17 et 19 :
"La violence en Dieu et de Dieu est vraiment un thème biblique ; celui qui le repousse finira toujours par être rattrapé par lui, à ses risques et périls, comme c’est toujours le cas lorsque l’on nie la réalité".
Et encore : "Il est malhonnête et pharisaïque de laisser tomber le thème de la violence en Dieu sous prétexte qu’il s’agirait d’une propagande agitée par des personnes malintentionnées ou ignorantes".
Pierre Régnier poursuit :
J'aimerais bien qu'un anglophone, à la traduction plus sure que la mienne puisse reproduire intégralement en France un texte récent qui m'est envoyé par un ami : "Une autre vérité dérangeante". Un Professeur en Etudes sur la Justice et la Paix à l'Université St. Thomas du Minnesota, Jack Nelson-Pallmeyer, y met lui aussi en garde contre le refus de voir ce qu'implique la réalité du problème. Il cite d'abord un autre auteur, Andrew Sullivan :
"On pourrait presque croire qu'il y a quelque chose de propre au monothéisme religieux qui se prête à cette sorte de tentation terroriste. Et notre douce tentative d'ignorer cela -pour parler de cette violence comme si elle n'avait pas de racines religieuses- est une sorte de déni. Nous ne voulons pas dénigrer la religion de cette manière et ainsi nous nions que la religion est au cœur de cela. Mais nous comprendrions peut-être mieux le conflit si nous reconnaissions d'abord que la religion est d'une certaine manière responsable. Alors nous verrions comment et pourquoi." (Andrew Sullivan, The Fourth R, janvier 2007)
"En paraphrasant et en modifiant légèrement les mots de Sullivan rapportés ci-dessus on pourrait dire que nous ne voulons pas dénigrer ainsi la religion ou les textes "sacrés", et de cette manière nous nions que les problèmes de religion et violence ont leurs racines dans le contenu violent des textes "sacrés" eux-mêmes." La "vérité dérangeante" c'est que les traditions de la violence-de-Dieu, incluant des images violentes de Dieu, dominent la Bible et le Coran. Une vérité corollaire est que, lorsque des Juifs, des Chrétiens ou des Musulmans utilisent la religion pour justifier la violence contre les autres ou présentent Dieu comme la source de la violence justifiée ils peuvent le faire en s'appuyant sur des lectures raisonnables de leurs textes "sacrés".
Le problème n'est pas d'abord que des gens extraient des passages du contexte pour justifier la violence. Le problème est la réelle violence au cœur de ces textes . […]
"La violence n'est pas le seul propos dans la Bible et dans le Coran, sinon les peuples ne se tourneraient pas vers eux pour y trouver une ligne de conduite. Les Ecritures Hébraïques expriment l'amour de Dieu et du prochain, défendent la veuve et l'orphelin, appellent à la justice, au pardon, encouragent de diverses manières le comportement moral. Le Nouveau Testament Chrétien confirme ces valeurs. Il encourage le service, donne voix aux pauvres, bénit les pacifistes et promeut la justice sociale. Jésus, même si c'est ignoré par bien des Chrétiens, enseigne l'amour des ennemis et la futilité de la violence. Le Coran, lui aussi, souligne avec force la nécessité de la justice sociale et du comportement moral. Il rejette l'infanticide et l'adultère, défend les orphelins, se fait l'avocat des pauvres, encourage la justice économique.
Le problème est que les méprisables portraits du Dieu violent, à la conduite d'apparence pathologique, semblable à celle des humains meurtriers mais justifiée par son caractère divin, écrase les passages pénétrants dispensateurs d'espérance. Les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans qui comptent fortement sur leurs textes "sacrés" pour guider leur vie ont à faire face à un sérieux problème : les images du Dieu punissant et violent et son pouvoir coercitif et abusif sont les thèmes dominants dans ces textes "sacrés". Les portraits méprisables de Dieu ne sont pas rares et marginaux, ils sont fréquents et centraux. Le comportement pathologique et les mots répugnants de Dieu sont si répandus qu'ils peuvent être considérés comme la normale." (Jack Nelson-Pallmeyer, The Fourth R, janvier 2007).
Dans son numéro du 7 février, le journal Charlie Hebdo, poursuivi en Justice pour avoir reproduit les caricatures danoises publiait, entre autres, un message de soutien de Mohamed Pascal Hilout, initiateur en France du "Nouvel islam". Extrait :
"Ceux qui critiquent ouvertement l'islam nous prennent –enfin !- pour des français et européens à part entière. J'estime que les Français de culture musulmane, épris de liberté, sont suffisamment mûrs pour accepter la critique, même caricaturale. En privé, ils sont plus qu'autocritiques. Si la dignité humaine est sacrée, la religion ne l'est pas. Voilà l'acquis principal du siècle des Lumières. Nous devons en être les dignes héritiers, nous, musulmans d'Europe. L'Histoire nous a suffisamment démontré qu'il est difficile, si ce n'est impossible, de moderniser l'islam classique, d'y faire entrer la liberté, la justice, la démocratie et la paix avec les autres, sans toucher à sa plus haute autorité : Mahomet. […] Hélas, les caricatures danoises n'en sont pas ! Avec sa vision des autres croyances et convictions, l'islam classique est plutôt facteur de guerre. J'aimerais bien qu'on me démontre le contraire."
En août 2006, sur le site du Nouvel Islam, un internaute, Brahim, questionne Pascal Hilout :
"Vous dites qu'il y a dans le Coran "des feuillets persistants et des feuillets caducs". Je suis d'accord avec vous ; moi je dirais qu'il y a dans le Coran des versets universels (donc à conserver) et des versets contextuels (donc modifiables en fonction des circonstances)." […] Quelle serait selon vous "la grille de lecture" pour déterminer quels seraient les "feuillets persistants" et les "feuillets caducs?". Pascal Hilout précise qu'il y a de tels feuillets "dans le Coran comme dans les autres livres saints" et il répond:
"Mon critère simple pour discerner ce qui est caduc et ce qui ne l'est pas dans les livres sacrés c'est la dignité de l'humain. Elle est la mesure de toute chose, y compris du sacré. La dignité humaine est sacrée, pas les religions".
Finalement, Pierre Régnier, reprend mon texte. Son commentaire montre bien que le nœud du problème est une question d’exégèse du texte. Commente le croyant se situe-t-il face à une Parole révélée, dictée ou inspirée ? Est-ce que le catéchisme de l’Eglise catholique pérennise l’idée d’un Dieu criminogène ? Voilà une question à poser à un scientifique théologien. Celui-ci ne pourra pas répondre sans une lecture historique et critique du texte fondateur, ni une relecture du développement théologique de ce texte. Il n'est pas certain que les tenants de la conception d'un Dieu criminogène, (tel est leur acte de foi) acceptent d'assumer les exigences de ces prises de distances.
Pierre Régnier : « Je pense, et l'ai écrit bien souvent, que pour diverses raisons l'islam est aujourd'hui, avec les prétendus "évangélistes" américains entourant Georges Bush, la religion la plus dangereuse. Mais, je ne vois pas comme vous, Michel Durand, que "désormais, à chaque fois qu'un fanatique tue au nom de l'islam (et cela arrive tous les jours) on attaque indistinctement tout enseignement religieux". Je trouve même que, en France, dans les raisonnements des non-croyants et des croyants non musulmans d'aujourd'hui l'islam, d'une certaine manière "a bon dos". Comme dans le judaïsme, il est très difficile d'y faire disparaître les bases théologiques de la violence, beaucoup plus difficile que dans le christianisme. Il faut pourtant exiger qu'on le fasse, mais je ne crois pas qu'on puisse le faire en modifiant ou supprimant -surtout pas- les "feuillets caducs". C'est l'interprétation institutionnelle de ces feuillets qu'il faut modifier : dire clairement qu'ils ne sont pas la parole de Dieu. Mais je ne saurais trop rappeler à mes amis chrétiens pacifiques que l'institution catholique, elle, a déjà un Magistère et qu'il lui est donc dès maintenant très facile de rejeter fermement le volet qui exprime, dans l'enseignement catholique, à côté du volet pacifiant, la conception criminogène de Dieu. Conception que la dernière édition du Catéchisme de l'église catholique (qui contient les "paroles" les plus "actuelles" au plus haut niveau) tend au contraire à pérenniser. »
Voilà désormais la question posée par Pierre Régnier. Est-elle bien posée ? Quel scientifique, à la parole crédible, va répondre ?
Mon sentiment premier demeure. Une approche rationnelle de la Révélation ne peut se couper d’une vision mystique de Dieu qui nous rend proche de lui en affirmant humblement ne pas comprendre totalement la vérité qu’on dit lui attribuer.