Jeunes catoliques adorateurs de l'eucharistie pour purifier le monde
J’entends de nombreuses voix dire qu’il est « important d’inviter les baptisés à la prière de réparation pour les blasphèmes contre Jésus ».
Il faut aussi « inviter à la prière pour l’unité des chrétiens ».
Quand ces deux intentions de prière se développent devant le Très Saint Sacrement exposé, dit-on, elles y gagnent en efficacité.
Donc, alors que j’entends, prononcé surtout par de jeunes catholiques, ce genre de théologie, je reçois, sur le sujet, une étude de Jean Comby, théologien conciliaire selon Vatican II ; je vous en propose la lecture.
ADORATION EUCHARISTIQUE
Depuis quelques décennies, beaucoup de groupes religieux voient dans l’adoration eucharistique le fondement du renouveau de l’Eglise dans un monde où sécularisation et déchristianisation vont s’accélérant. Sans doute cette adoration n’est pas complètement séparée de la célébration de l’Eucharistie, ne serait-ce que parce qu’il faut bien une messe pour avoir l’hostie consacrée nécessaire à l’adoration, mais l’adoration eucharistique est devenue souvent autonome puisqu’elle trouve sa place à toutes les heures de la journée. Elle peut précéder la messe ou la suivre. Selon certains, instituer dans toutes les paroisses une adoration perpétuelle de 24 heures sur 24 serait la réponse à tous nos problèmes et à nos crises. Certes, la prière silencieuse de la visite au Saint-Sacrement est une tradition qui remonte déjà dans le temps. Il n’y a aucune raison de refuser les héritages d’une histoire en perpétuelle évolution. Encore faut-il, en recueillant cet héritage, comprendre les cohérences et incohérences éventuelles de ces héritages. L’Eglise selon l’adage connu est semper reformanda, toujours à réformer. Cette réforme a été l’objet de nombreux conciles qui ont voulu purifier l’Eglise d’excroissances ou de dérives pour revenir à l’essentiel. Entre autres choses, ce fut le but du Concile de Trente (1545-1563) et plus encore du concile de Vatican II (1562-1563).
Pour nous en tenir à l’eucharistie, il faut revenir brièvement sur l’histoire du deuxième millénaire. Au cœur du Moyen Age, l’Eucharistie tant en Occident qu’en Orient est devenue une réalité en soi, isolée du reste des autres pratiques religieuses. Elle est la localisation de la présence du Christ, et de la présence de Dieu. La divinité est là, à la portée des hommes. Mais dans le contexte des archétypes religieux universels, l’Eucharistie appartient à la catégorie du sacré. Les réactions à son égard sont celles de toutes les cultures à l’égard du sacré : tremendum et fascinans, à la fois ce qui fait peur, dont on veut s’éloigner comme dangereux et ce qui fascine, ce qui attire et donc que l’on veut voir ou toucher. Pour les fidèles, l’Eucharistie est le lieu de la rencontre d’un Dieu qu’il faut craindre et qu’il est dangereux de recevoir dans de mauvaises conditions.
Dans ce contexte, la communion des fidèles devient de plus en plus rare. La communion annuelle en Occident (4e concile de Latran, 1215) suffit pour signifier l’appartenance à l’Eglise. Les conditions de la communion sont compliquées : jeûne eucharistique, célibat du prêtre, interdits sexuels pour les époux au temps de la communion, disparition de la communion dans la main et de la communion au calice…. Alors, à défaut de manger ou de toucher le corps du Christ, on est invité à le regarder. En Occident, l’élévation de l’hostie après la consécration, apparue au XIIIe siècle devient le moment le plus important de la messe. Il faut être là au moment précis pour voir. La magie n’est pas loin. La vue de l’hostie au moment de l’élévation préserve de la mort subite dans la journée. Le fidèle ne vieillit pas pendant le temps de la messe… On promène le Saint Sacrement dans toutes sortes d’occasion, par exemple dans les champs pour protéger les récoltes menacées par les insectes ou les intempéries. La fête du Corpus Christi (Fête-Dieu) naît au cours du XIIIe siècle : ce sont les processions à travers villes et campagnes. Le culte de la présence réelle devient autonome par rapport à la messe. L’Eucharistie est devenue un objet de culte plutôt qu’une action liturgique. La sainte réserve est vénérée dans un monument à part : armoire murale, colombe, tabernacle. Il faut dire, - c’est l’origine la plus ancienne -, que l’on conserve les hosties à l’usage des malades, particulièrement pour le viatique au moment du sacrement des malades (extrême onction). Fleurissent les miracles eucharistiques : hosties sanglantes pour répondre aux accusations de profanation des hérétiques ou des juifs, ciboires protégés miraculeusement du feu en s’élevant dans les airs….
Ce culte eucharistique va se développer encore au temps de la Réforme protestant accusée de ne pas croire en la présence réelle, au concept médiéval de la transsubstantiation. Se multiplient au XVIIe siècle les Compagnies et les Confréries du Saint-Sacrement, affirmation par excellence d’antiprotestantisme. Au XIXe siècle naissent l’adoration perpétuelle, les congrégations eucharistiques (Pierre-Julien Eymard) et les congrès Eucharistiques. Ces derniers avec leurs grandes manifestations publiques et processions, veulent proclamer la visibilité de l’Eglise dans un monde sécularisé, contre les manifestations hostiles des anticléricaux. On parle alors d’abord du mouvement eucharistique. Parallèlement se développe le mouvement ou renouveau liturgique.. C’est la volonté de retourner aux sources traditionnelles de la célébration eucharistique. Avec le renouveau biblique, on insiste sur la Parole. En relisant l’histoire de l’Eucharistie on redécouvre qu’elle est une action dynamique : convocation des chrétiens par le Christ en un rassemblement, écoute de la Parole, invitation au repas, partage du Christ nourriture, partage des offrandes au service de tous particulièrement les plus pauvres, invitation à prolonger cette action dans le temps : Faites ceci en mémoire de moi… Et puis c’est la dispersion pour annoncer le message reçu : Allez dans le monde entier…
Le mouvement liturgique commencée au début du XXe siècle trouve son plein accomplissement avec le Constitution sur la Liturgie, la première votée au Concile de Vatican II. Elle est la norme de nos célébrations d’aujourd’hui : les deux tables, celle de la Parole et celle du repas. L’autel n’est pas seulement le lieu du sacrifice mais la table du repas. L’Eucharistie a retrouvé son sens premier. L’Eucharistie n’est pas d’abord un objet de dévotion un objet d’adoration. Elle n’a jamais été définie comme telle. La dimension d’adoration, si elle conserve une valeur traditionnelle de la piété, perd de sa pertinence puisque les chrétiens oubliant les tabous médiévaux sont invités à communier à chaque messe.
Au cours des siècles, par contamination avec les archétypes religieux, le catholicisme a développé les objets de culte, reliques, lieux saints, pèlerinages, etc… Acceptons l’héritage à condition de ne pas le majorer. Mais gardons bien le vrai sens des sacrements qui ne sont pas des objets de culte à vénérer (eau du baptême, huiles du baptême et des malades, hosties consacrées) Ils sont des signes du don de la grâce à travers des réalités de la vie quotidienne. Nous nous nourrissons de l’Eucharistie et la conservons pour faire participer celui qui la reçoit (éventuellement le malade ou le mourant) à l’action dynamique de l’eucharistie : convocation, écoute de la parole, partage du repas, partage des dons et envoi au monde. L’eucharistie n’est pas orientée d’abord vers l’adoration mais vers la participation dynamique renouvelée au rassemblement autour du Christ pour se nourrir de lui (sa parole, et son corps) et pour partir annoncer sa bonne nouvelle au monde.
Jean COMBY
Pour tout savoir sur le sujet :
Maurice BROUSSARD (dir.) EUCHARISTIA, Encyclopédie de l’Eucharistie Cerf 2002 ;
Philippe MARTIN, Le Théâtre divin, une histoire de la messe XVIe-XXe s., CNRS éd.2010