Journal d’un demandeur d’asile (Extrait)
Antoine MANSON VIGOU
Tout au long de cette semaine, je vous communique quelques pages du journal d'Antoine. Ils sont nombreux dans ce cas. Il me semble important d'écouter leur voix alors qu'au Parlement, personne ne semble vouloir entendre.
Cette photo, symbolique,
est indépendante de l'histoire d'Antoine
Antoine MANSON VIGOU, originaire d’un pays d’Afrique centrale, s’en est enfui pour des raisons politiques. Une fois en Europe, il n’a pas obtenu le statut de réfugié politique, et a été incarcéré onze mois et sept jours dans un centre de Rétention Administrative, puis remis en liberté sans papiers…
Son journal relate avec précision ses démarches et interrogatoires, sa vie de prisonnier au contact de compagnons d’infortune, sa libération « sans filet ».
Souhaitant garder l’anonymat, pour des raisons bien compréhensibles, il ne donne ni l’année des faits ni le nom de la ville européenne où il s’est retrouvé.
A l’heure qu’il est, Antoine MANSON VIGOU mène l’existence précaire et vulnérable d’un « sans papiers ».
Son récit témoigne pour les « damnés de la terre », l’envers du décor de nos sociétés d’opulence.
Mardi 17 octobre
- Avancez, posez votre sac là, mettez les bras contre le mur et ouvrez les jambes sans vous retourner.
Cinq minutes plus tôt, je suis entré dans ce commissariat pour demander l’asile. Je m’étais adressé à l’accueil où se tenait une femme aussi jeune que les autres policiers assis tout près de la fenêtre en train de discuter. Elle s’était avancée jusqu’à ses collègues. Trois d’entre eux s’étaient levés tout en me regardant. Après un bref salut, ils m’invitaient à les suivre jusqu’au fond de la salle, dans une petite cellule dans laquelle il y a un banc en béton.
Mon sac, je l’ai déposé sur une table avant de me placer dans la position ordonnée. J’ai un policier à ma gauche, un autre à ma droite et un troisième me palpe du cou jusqu’aux chevilles, puis se relevant, il m’ordonne de me déshabiller : le pull, la chemise, le pantalon, le sous-vêtement, les chaussures, les chaussettes. A chaque fois que je les enlève, l’un d’eux prend le vêtement, le fouille, le scrute à chaque centimètre, tous les points de couture, le froisse et le passe à son collègue. Qui continue lui aussi, le même processus que son collègue précédent. N’ayant plus de vêtement sur le corps, ils me demandent d’ouvrir la bouche, de leur présenter mes dents, ma langue, le dessous, le dos, la poitrine, les bras, le ventre, les pieds et leurs plantes.
Je suis en train de subir une humiliation. C’est la deuxième fois de ma vie de la vivre ainsi. Aujourd’hui, c’est dans un froid glacial d’automne. Je me demande à quoi ça sert, me suis-je trompé d’adresse ? Suis-je une personne venant d’une autre planète ? Ai-je fait quelque chose de mal, d’effrayant, d’illicite, de grave ? Suis-je un brigand ? Croyant que tout était fini, l’un d’eux me dit quelque chose que je ne comprends pas. Je leur fais signe que je ne comprends pas. L’autre policier me fait signe de m’accroupir trois fois. Je souhaite m’habiller avant mais ils me disent non. Je m’accroupis et me relève donc trois fois comme ils ont voulu avant qu’ils me donnent l’autorisation de me rhabiller.
Asseyez-vous là ! En me montrant le banc en béton. Puis c’est le tour de mon sac d’être vidé de tout son contenu, fouillé, froissé et rempli. Une seule question à présent me tracasse : à quand la fin de ce cinéma ?
(…)
- Désolé monsieur, votre demande d’asile a été refusée.
- Et pourquoi, s’il vous plaît ?
- Vous n’avez pas de pièces d’identité, et de preuves parmi les raisons. Donc, pour l’instant, vous n’avez aucune raison d’être dans ce pays. Vous pourrez faire des petits travaux comme le nettoyage dans cette espace pour gagner de l’argent, mais une petite somme contrairement à celle que vous auriez eue, si vous aviez des pièces d’identité. À moins que demain mes supérieurs changent de décision ; alors vous aurez droit à une bonne éducation, une bonne santé et même à un bon travail. Si vous voulez, vous pouvez passer le reste de la nuit là au fond sur le banc en attendant d’être reçu demain à neuf heures très précises, d’accord ?
- D’accord.
- Voulez-vous du thé, du café… ?
- Du thé.
Il va chercher une tasse de thé et du sucre et me retrouve sur le banc.
- Vous avez besoin d’une couverture ? Autre chose ?
- Oui, y a-t-il quelque chose à manger, s’il vous plaît ?
- Non, il n’y a pas à manger ici. Essayez de dormir en attendant neuf heures du matin.
Il me quitte et va retrouver ses collègues. Certains me regardent en commentant quand l’autre éclate de rire. Les femmes, de leur côté, sont calmes et semblent compatir.
Le thé fini, je décide de me coucher, mon sac près de moi, mais il faut que je le fouille afin de savoir si tout y est. Je l’ouvre et je trouve tout en désordre, plissé, froissé. C’est comme si une meute de chiens avait joué avec ce sac. Depuis plus de deux heures que je suis couché, je n’ai pas fermé les yeux. Ces derniers sont tous secs à cause des jours sans sommeil ; mon ventre vide et calme. Est-il déjà habitué aux galettes et gâteaux secs ? Mais je sais que j’ai faim et là je ne peux rien faire pour satisfaire ce besoin. Je n’oublie pas ce mal de tête qui ne me quitte plus. Est-ce possible de cesser de penser, de réfléchir, de me demander ce qui va maintenant m’arriver ? À ce traitement digne d’un accueil inoubliable ? Mille et une questions défilent dans ma tête : ma demande est-elle vraiment rejetée ? Est-ce une manière de m’attirer sur une autre voie pour voir quelle attitude je dois prendre, si j’étais violent par exemple ? Si à neuf heures tout se passait de la même manière, devrais-je crier, pleurer, ou continuer à accepter tout calmement sans aucune résistance, sans aucun pourquoi ? Les hommes en tenue d’ici ont-ils les mêmes caractères que ceux qui sont là-bas de l’autre côté d’où je viens ? Et les demandes acceptées ne sont-elles que pour les forts, ceux qui sont en très bonne santé ou bien pour ceux qui sont faibles et traumatisés ?
Mercredi 18 octobre
7 heures 30 : Le policier qui m’avait donné un rendez-vous pour neuf heures avec ses chefs, vient me dire de sortir. Il serait préférable que ses chefs ne me trouvent pas là. En sortant, je vois assis près de la porte, côté extérieur, deux jeunes que j’avais d’ailleurs trouvés au même endroit à mon arrivée, tenant chacun en main un papier comme celui qui m’a été remis des heures plus tôt. Ils m’avaient certainement précédé pour le même objectif.
Dans ma tête, je ne sais plus qui je suis ou plutôt ce que je suis. Etre traité de cette manière. Mon esprit n’est plus en moi. Je marche, marche, marche sans regarder où je pose les pieds et où je vais. Je ne suis pas capable de dire ce qui s’est passé réellement entre l’instant de ma sortie du poste de police et le moment où je me rends compte qu’il est neuf heures.
9 heures 00 : Au poste de police, les policiers sont en pleine discussion. Je préfère attendre que la discussion prenne fin pour signaler ma présence. Un interlocuteur tout à coup s’aperçoit de ma présence à l’entrée, il vient vers moi.
- Bonjour !
- Bonjour.
- Que voulez-vous ?
- Je viens pour mon rendez-vous de neuf heures.
Et je lui tends le papier que m’avait donné son collègue hier soir.
- Ah, attendez un moment.
Il va vers ses collègues, parle quelques minutes, se rapproche du téléphone, décroche le combiné puis compose un numéro. Dit une ou deux phrases puis raccroche. Entre-temps, ses collègues me regardent. Il revient vers moi.
- Mon collègue sera à vous dans environ une demi-heure. Veuillez vous asseoir.
Il me désigne le banc à l’extérieur près de l’entrée.
(…)
Au bureau, celui qui m’a reçu ce matin leur parle et tend à l’un d’eux la feuille que je lui ai remise, il y a un instant. Il la prend, la lit attentivement puis secoue la tête négativement. Discute de nouveau avec l’homme puis le salue et sort suivi de l’homme avec qui il était rentré. A peine dehors il me dit de le suivre. Ils prennent la peine d’être l’un à ma gauche et l’autre à ma droite.
Maintenant, nous longeons le grand couloir, descendons des escaliers pour arriver dans un sous-sol. Là, un homme nous attend tout près d’un fourgon. Cet homme échange quelques mots avec mon escorte qui détient la feuille de papier. L’autre escorteur me fait signe de tendre les poignets. A cet instant, je me pose la question : Où veut-il en venir ? C’est alors qu’il enlève de sa ceinture des menottes et s’empresse de les régler afin de les fixer à mes poignets. Sur le coup, je baisse les bras et je fais quelques pas en arrière et crie.
- Ce n’est pas possible !
L’homme rétorque :
- C’est la procédure.
Déjà j’avais deux bras qui me retenaient au niveau des avant-bras. Des bras puissants des deux hommes qui m’ont conduit ici. L’un d’eux me dit quelque chose. Je reste sans réaction. Je ne me suis pas encore remis de la surprise et voilà que l’un d’eux me fait signe de grimper dans le fourgon en tirant la porte coulissante.
- Allez-là, encore au fond, dans l’autre cage, oui là ! Asseyez-vous les bras sur les genoux.
Puis il ferme la porte de la cage ou plutôt une cellule puis celle du fourgon. Je ferme les yeux, rumine quelques phrases sans savoir ce que je dis, je crois avoir crié : « Et pourquoi donc ? ». Il n’y a rien à faire. Je suis obligé de suivre ces hommes. Pour où ? Une plantation ?
(…)