Journal d’un demandeur d’asile (Extrait) - suite 1
Samedi 21 octobre
Le quatrième jour commence au pas de course. A peine entré dans la seconde salle d’attente, je suis appelé par un homme en civil. Il a lui-même ouvert la porte, une fiche en main sur laquelle est écrit mon nom. Derrière lui se tient une femme. Je me demande où je l’ai déjà vue. Sûrement, cela ne fait pas longtemps que je l’aie vue.
- Voilà, monsieur, c’est bien vous Antoine MANSON VIGOU ? demande l’homme.
- Oui, c’est bien moi.
- Je suis Jack, elle c’est Sara. Veuillez nous suivre. C’est pour votre seconde interview.
Comme à chaque sortie, je remets la feuille jaune au surveillant. On se retrouve à l’étage dans le bureau voisin de celui dans lequel ma première interview a eu lieu, une fois de plus après avoir pris l’ascenseur.
Monsieur Jack, ce fonctionnaire de l’Immigration, est un grand homme brun dans la cinquantaine, de taille d’environ deux mètres vingt. Il a l’allure d’un vrai soldat à la façon Goliath. Son pas lourd fait trembler les surfaces loin de lui, faisant penser que le plancher est en bois non stable. Il marche à la vitesse d’un missile dans le vent. Le fait qu’il nous désigne des sièges par la main, me fait penser qu’il n’a pas à gaspiller sa salive, que chacune de ses paroles ne peut être que des sentences. Pourtant, je me suis mis à côté d’un homme de qui j’attends de la compréhension. La compassion, c’est autre chose. Je ne suis certainement pas la seule personne qu’il a eue à interroger dans ce centre et dans ces conditions. Je souhaite qu’il n’agisse pas comme un dieu mais comme un homme. Et qu’il m’offre de bonnes conditions de m’exprimer malgré cette interprète pas à la hauteur de sa tâche. C’est elle finalement qui se présente comme mon réel problème.
Cette fois encore l’AAJDA n’a pas envoyé un de ses bénévoles pour vérifier le bon déroulement des interrogatoires. Là, c’est mon second point d’inquiétude. Dans mon for intérieur, il y a cette petite voix qui me dit : fonce, qui t’a aidé auparavant ? Et l’interprète alors, qu’est-ce que j’en fais ? Je demande à monsieur Jack s’il parle ma langue, il me répond que non. Et je propose cette langue dite internationale, il dit de nouveau non. Une réponse sèche, telle une sentence à laquelle je pensais. Il a sa main gauche en position de soutien du menton, et, en même temps de ses longs doigts, il le caresse comme s’il voulait découvrir quelle longueur réelle a ce menton. Ses yeux n’ont pas quitté son écran d’ordinateur depuis que nous sommes dans ce bureau. Et de sa main droite, il frappe au clavier.
Sara, quant à elle, est assise de manière à nous voir, nous de profil. Elle traduit quelques petites questions, rend les réponses sans me quitter des yeux sauf au moment où je la fixe tout droit aux pupilles. Souvent, elle me fait un sourire bref d’un coin de lèvre, que je perçois comme une moquerie.
- Nous allons commencer. Mais avant, voulez-vous une tasse de café ou quelque chose de ce genre, demande le fonctionnaire.
- Un verre d’eau m’ira.
Il sort chercher un verre d’eau et vient le déposer devant moi. Mais j’hésite à le boire comme précédemment en considérant tous les faits déroulés
- Bien, nous pouvons commencer, lance-t-il. Mais avant, il faut qu’on s’entende tous les trois. C’est moi qui pose les questions, la dame vous les transmet, vous répondez et de
Nouveau, la dame intervient. Comme ça, chaque question. Compris, monsieur ?
- Oui, monsieur. Il faut que j’ajoute ce dernier mot.
Montrer qu’il est important pour moi qu’il ne me prenne pas pour un arrogant. Lui aussi m’appelle « monsieur ». Il reprend :
« Pourquoi demandez-vous l’asile ? Quel problème avez-vous dans votre pays ? Comment est-ce que cela a commencé ? La suite ? La fin ? Comment avez-vous réagi ? Pourquoi avez-vous été choisi ? Où est-ce que les choses se déroulaient ? A quel endroit ? Les différentes dates, s’il vous plaît ? Qui a créé le groupe ? En quelle année ? Quelle fonction occupiez-vous ? Le groupe était-il reconnu par la loi ? Comment procédiez-vous pour sensibiliser les gens ? Avec quels moyens ? Etiez-vous dans le groupe depuis longtemps ? Quel est le but du groupe ? Faisiez-vous des choses interdites par la loi de votre pays
(…)
L’interrogatoire prend fin en fin d’après-midi.
À midi, il y a eu une pause de trente minutes pour que je puisse respirer. Ce temps, je l’ai passé dans la deuxième salle d’attente. Je n’ai pas pensé à manger car j’étais très occupé à penser à ce qui pourrait arriver. Je craignais qu’une nouvelle décision négative soit dressée sur mon front. Surtout, l’interrogatoire s’était déroulé de la même manière que le premier. Donc, une certaine défaite était dans mon esprit. Je m’efforçais de ne rien laisser paraître, pourtant cela se voyait.
(…)
Mardi 24 octobre
(…)
Je sors pour voir comment se présente la cour arrière. Elle n’est pas du tout différente de celle du centre d’inscription. Je jette un regard attentif à la grille fixée à des mètres au-dessus de ma tête. J’entends une interpellation : « Hé ! ». Je sais que cela m’est destiné mais je fais semblant de ne pas entendre. De nouveau, j’entends « Hé ! » puis je me retourne. C’est Shekina qui s’adresse à moi : « Tu veux t’envoler ? sache que personne ne peut s’échapper d’ici. Ha, ha, ha ! ». Et il s’en va. On dirait qu’il était sorti juste pour moi. Sur ce, je préfère rentrer dans ma cellule. Juste à côté de la porte à l’entrée, une fiche attire mon attention. C’est la fiche dressée au moment où j’entrais dans le bâtiment. Sur cette fiche, mon numéro de cellule y figure, suivi de la lettre B. Au dessus de ma fiche est fixée celle de celui avec qui je dois vivre dans la cellule. Son numéro est suivi de la lettre A. C’est désormais notre adresse dans cette prison. J’entre, je dresse mon lit et je me couche.
Au plafond sont écrits des noms suivis de deux dates : probablement, date d’entrée et de sortie de certains persécutés du centre. Certains prenaient la peine d’écrire leurs souffrances, leurs peines, leurs détresses. Ces cris disent ce que je ressens aussi. « Toi, dans cette cellule, n’oublie pas que je suis passé par ici comme toi. J’ai souffert ; mes peines augmentaient considérablement tous les jours. J’ai crié à l’Eternel jour et nuit, mais il ne m’a pas entendu. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps jusqu’à me dessécher. La souffrance sera ton pain quotidien. Sache prendre les décisions à temps, les bonnes. J’ai déjà prié pour toi. Souvent, la fatalité est bonne ». C’est le message qui se trouve juste devant moi, collé contre le plafond. D’autres messages sont écrits ; certains, je n’arrive pas à les lire mais ce qui est sûr, c’est qu’ils ne sont pas différents de celui qui est juste en face de moi. Comme si cela ne suffisait pas, des dessins de prisonniers enchaînés, menottés, aux visages défigurés, sont affichés un peu partout. Mais ce n’est pas tout : environ trois de ces dessins parlent de paix avec des figures de certaines hommes qui ont marqué le monde. Des hommes qui ont prêché la paix et les droits de l’Homme. A l’exemple de Mandela, Gandhi, Luther King et quelques chanteurs de Raggae. Certains noms d’hommes ayant reçu le prix Nobel de la paix sont barrés de rouge. Je peux aussi lire ce qui est écrit sur les visages de ces derniers « corruption ». Mais ceux-là, je n’arrive pas à lire leurs noms et aussi à les reconnaître.