Journal d’un demandeur d’asile (Extrait) - suite 3

Publié le par Michel Durand

cra4.jpgVendredi 14 septembre

(…)

 

Quelque chose de bizarre m’arrive. Des chants résonnent dans ma tête. Des chants dans la langue de mes ancêtres. Cette langue qui n’est pas la mienne, et quand je la parlais on se moquait de moi. Un chant dit : « Gloire, gloire, gloire à Marie, gloire, gloire, gloire à tous les enfants de Dieu. Quelle chose extraordinaire ! Quelle merveille !»  Je ne parviens pas à traduire l’autre chant et je ne peux pas demander à un frère s’il entend cette voix. Il dirait que j’ai perdu la tête. Au quoi sert un chef qui n’est plus normal ? (p. 322)

J’ai envie de crier au monde entier ma colère contre cette « procédure » ce « tribunal »par opposition à la justice. J’appelle une organisation des Droits de l’Homme. Au téléphone, ça sonne mais personne ne décroche. Un frère me dit que c’est toujours ainsi. Ça sonne mais personne ne décroche jamais, et que lorsqu’on appelle le même numéro de la ville, c’est à ce moment que quelqu’un décroche. J’appelle un journaliste d’une presse du Sud, cette merde de journal, dont on dit être la plus sérieuse. Au bout du fil, on me dit : « Qui êtes-vous ? Quel est votre nom ? Votre prénom, votre nationalité ? Que voulez-vous ? Etes-vous sérieux ? Je ferai une enquête et on verra, vous comprenez ? On ne peut pas parler des choses comme ça ». Je raccroche et je compose un autre numéro. Celui du journal que je lisais le plus souvent. Au bout du fil, on me donne le numéro d’un journaliste le plus proche de ma prison. Ayant composé le numéro privé du journaliste, il décroche et lorsque je me présente, il me dit : « Attendez, puis-je enregistrer ce que vous voulez me dire ? On peut se rencontrer tout de suite? ». Je lui dis : « Je n’ai pas assez de crédit pour discuter avec vous ». « Puis-je vous appeler » ? « Non, dans notre prison on ne reçoit pas les appels téléphoniques. Je préfère qu’on se voie. Voici comment on peut faire… ». Et on prend un rendez-vous pour lui dire si la rencontre est confirmée. À un moment, je me dis : à quoi ça sert  de prendre des risques ?

(…)

Lundi 1er octobre

 (…)

16 heures 34. J’appelle mon avocat.

-       Allo ! Bureau des avocats M. News et…

-       Bonjour madame.

-       Bonjour monsieur.

-       Puis-je, s’il vous plaît, parler avec monsieur News ? Je suis Antoine.

-       Gardez l’écoute, s’il vous plaît.

      Une nouvelle dame répond :

-       Allo ! bureau des avocats M. News et…

-       Je suis Antoine, je voudrais parl…

-       Ah ! Antoine, monsieur News se demande comment il doit faire pour vous joindre. Je vous le passe. Restez à l’écoute s’il vous plaît.

-       Bonjour, monsieur Antoine.

-       Bonjour, monsieur News.

-       J’ai des nouvelles pour vous.

-       Je vous écoute !

-       L’Immigration vous fait une proposition.

-       Laquelle ?

-       Elle déclare qu’elle a fait une erreur au dernier « jugement » : vous auriez dû être relâché. Alors, elle vous propose de compter le nombre de jours, à partir de ce dernier « jugement » jusqu’aujourd’hui, et vous toucherez une indemnité de soixante-dix euros par jour.                                

-       Quel conseil me donnez-vous ?

-       C’est mieux de l’accepter, à mon avis. Mais c’est à vous de décider.

-       Et si je refuse, qu’est-ce qui se passera ?

      -  Je ne sais pas, peut-être qu’on continuera de vous garder dans cette prison psychiatrique*.

      -     Et si je l’accepte ?

      -     L’Immigration vous libèrera et vous paiera la somme qu’elle vous doit.

      -     J’accepte sa proposition. Cela fait combien de jours ?

-       Trente-sept jours. Ce qui fait deux mille cinq cent quatre-vingt-dix euros.

-       Donc, elle a volé ma vie pendant presque une année pour cette somme-là ?

-       C’est un autre sujet que vous abordez là.

-       Quand pourrai-je être libéré ?

-       Certainement demain. Il est près de dix-sept heures. Je ne pense pas que ce soit possible aujourd’hui. Disons que c’est pour demain. Si vous avez besoin de certaines informations, il faudrait que vous appeliez votre ami. Mais il faut savoir que l’Immigration ne vous donne aucun papier rendant valable votre séjour sur ce territoire ; cela signifie que si elle vous reprend quelque part, vous rentrerez de nouveau en détention. J’ai fait appel contre votre rapatriement, contre votre transfert dans la prison psychiatrique. Si l’Immigration maintient le rapatriement, il faudra qu’elle vous arrête d’abord, puisque vous serez en « liberté ».

-       Merci.

-       Au revoir, monsieur Antoine, et n’oubliez pas la séance du quatre octobre au tribunal.

-       Je ne l’oublierai pas. Au revoir.

(…)

17 heures 32. La surveillante ouvre ma cellule. C’est l’heure de partir. Nous empruntons les couloirs que nous avions pris il y a cinq jours. Je récupère le reste de mes vêtements et toutes mes économies. A côté de moi, un surveillant me demande : « Maintenant que tu es libre, que feras-tu ? Es-tu content ? » « Je ne sais pas ». Le surveillant derrière le bureau nous ouvre la porte automatique.

Dehors, quelle surprise, je vois « mon ami » assis sur une bordure. On s’embrasse et dans ma tête, je dis « Ouf ! ». « Mon ami » dit au surveillant qui devait m’accompagner de ne pas se gêner.

On m’avait souvent dit qu’après la libération des frères, un chauffeur les accompagnait quelque part dans un coin perdu ou même dans un village. On le lâchait ainsi dans la nature, sans une pièce d’argent. Comme un animal qu’on libère sur un terrain de chasse.

(…)

Publié dans Témoignage

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