La crèche 2011 de Saint Bonaventure
Quand ils arrivèrent à Bethléem, les bergers découvrirent Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans une mangeoire. (Luc 2, 16)
Comme la magnifique mais surprenante crèche de Noël à Saint-Bonaventure, l’Évangile de l’enfance de saint Luc ne nous permet pas de nous réfugier dans la nostalgie merveilleuse de nos crèches enfantines. La lumière doit traverser la misère de nos ténèbres humaines pour nous révéler la tendresse de Dieu. Mais s’il est rude, dans sa réalité historique, le message de Noël de saint Luc n’en est que davantage porteur d’une révélation inouïe.
Voir ci-dessous, la vidéo.
Quand la crèche nous pose question
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu... Tout a été fait par lui, et sans Lui, rien n'a été fait. En Lui était la Vie, et la Vie était la Lumière des hommes. Il vint en témoignage afin que tous crussent par lui, mais les hommes ne l'ont pas reçu... Mais à tous ceux qui l'ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu...
ET LE VERBE S'EST FAIT CHAIR...
et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire.... »
Mais les hommes ne l'ont pas reçu...
Voilà ce que j'ai pensé ce matin lorsque je suis allée voir cette crèche, objet de tous les anathèmes des cathos affirmés de la bonne ville de Lyon.
Personnellement, j'ai trouvé la chose admirable puisque pour moi, la lumière de Dieu transfigurait le chaos poubelle des humains pour amener à l'espérance de Noël : l'avènement du Messie.
Mais je crois que le travail intérieur doit se faire dans l'humilité et l'écoute des autres. « Or les autres ne l'ont point reçu » comme il aurait fallu après une longue macération dans le traditionalisme. Le cheminement intérieur est une question d'acceptation personnelle d'une vérité que l'on a voulu soi-même découvrir avant de pouvoir y adhérer ; et souvent, dans les familles comme il faut, on a imposé ses convictions à coup de trique...
Cette crèche invite à un chemin intérieur.
Il arrive souvent que nous nous habituions aux images et représentations de l’Évangile au point que nous ne discernions plus la contradiction que celui-ci révèle au monde.
Depuis le 7 décembre dernier, la crèche de Saint-Bonaventure nous offre un nouveau regard sur la représentation de la Nativité. Deux jeunes femmes scénographes, diplômées de l’ENSATT (École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre), Chloé Dumas et Marion Gervais, nous ont réinterprétés cette figure de Noël qui trouve place dans nos églises ou dans nos maisons. Elles ont été frappées par les deux récits de saint Luc et de saint Jean, qui mettent l’accent sur le drame de l’Évangile présent dès la naissance de l’enfant. Il n’a pas été accueilli, il n’a pas trouvé de place dans la ville des hommes !
Derrière le tableau figuré en ombres chinoises, de Joseph, Marie et l’enfant, un amas d’objets hétéroclites, pauvres, comme on peut les trouver justement en bordure de nos villes, dans des masures misérables faites de bric et de broc. Pourtant, c’est en traversant cet espace de fragilité, de précarité que la lumière donne forme à cette douce représentation de Noël. Cette crèche est une parabole sur nos lieux de pauvreté et de précarité qui nous effraient et que nous ne voulons pas toujours voir.
Beaucoup de personnes sont passées dans notre église à l’occasion du 8 décembre et des quatre jours de la fête des lumières. Beaucoup ont été touchés, mais aussi d’autres, en moins grand nombre, ont regretté les représentations traditionnelles de la crèche, celle-ci ne répondant pas à leur attente. Nous rêvons d’un Noël de paix, en ignorant parfois que certains n’ont pas le minimum pour le vivre. Il ne s’agit pas pour nous de culpabiliser quiconque par cette représentation qui met en lumière le scandale bien réel de la pauvreté et de l’exclusion. Situations que le Christ a vécues. Il s’agit plutôt de ne pas nous voiler la face au moment où la crise que traverse notre monde fragilise, et va encore davantage fragiliser, plusieurs de nos contemporains.
Face à ces défis, que peuvent faire les chrétiens ? Des personnes en situation de
pauvreté et de précarité, nous en croisons tous les jours dans nos villes. Je suis comme vous, s’il m’arrive de donner à quelqu’un qui tend la main, je m’épuise vite devant l’abondance des demandes. Et seul, je ne peux pas grand-chose. Bien sûr, il existe des organismes officiels comme le Secours catholique ou Notre Dame des sans abris... Je constate que ce qui nous menace, face à tant de détresses, c’est le repli sur soi, la peur du lendemain et de l’autre qui me renvoie à mes propres fragilités. C’est avec d’autres que nous pouvons agir, pas isolément.
Face à ces défis, où est la force de l’Évangile ? Le corps brisé et rompu du Christ donné en nourriture à chaque eucharistie n’est-il pas un corps partagé ? Je crois que nous ne savons pas bien encore partager, nos intelligences, nos intuitions, notre temps, notre disponibilité, notre possible créativité. Nous avons progressé dans notre vie sociale et en Église en liberté individuelle, mais pas suffisamment en intelligence partagée. Et si la nuit de Noël, devant la fragilité de l’enfant donné à notre monde, nous invitait à cela ? Les bergers qui vont voir l’enfant, ne font-ils pas route ensemble ? Et si nous apprenions à mieux réunir nos forces, nos talents pour le service des autres ? Et si la joie de Noël passait
aussi par cela ?
Antoine Adam, prêtre de l’Oratoire, vice-recteur de Saint-Bonaventure