Les dialogues du Christ
Après l’étude des rencontres de Jésus avec Nicodème et l’intendant royal, voici la troisième :
Jésus rencontre un paralysé, cf. Jn.5, 1ss.
REMARQUES PRELIMINAIRES :
1) Le récit de la rencontre s’arrête au v.14, après quoi le paralysé guéri disparait de la scène :
Cependant, il est à l’origine d’une nouvelle manifestation de l’opposition des « juifs » à l’endroit des activités de Jésus dont celui-ci rend compte longuement, cf. v. 15 à 47. Dans la pensée de l’auteur, les versets consacrés à la rencontre, à la guérison immédiate du paralysé et au port de son grabat, v. 1 à 14 constituent le cadre de l’extraordinaire développement théologique sur l’identité de Jésus, v.15 à 47. Les deux parties sont inséparables l’une de l’autre ; leur confrontation est jaillissement de sens.
2) Le terme « juifs », dans le IV° Evangile, ne renvoie pas tant à une réalité ethnographique qu’à une expression symbolique pour désigner le monde dirigeant du Peuple de Dieu en tant qu’il refuse l’origine divine de Jésus et son rôle éminent dans l’accomplissement de l’histoire du Salut.
3) Le récit illustre, à sa manière discrète, le thème de la relation entre les brebis et le vrai Pasteur. Ici, v.2, il est question de la porte des brebis ; identifiée à Jésus lui-même dans la parabole du berger, 10, 1-21..
Le même berger confiera, au-delà de Pâques, ressuscité, toutes ses brebis à Simon-Pierre, cf. Jn.21, 15-17. Ce thème est précieux pour comprendre la rencontre de
Jésus et du paralysé près de la porte des Brebis, cf. Jn. 5,1.ss.
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1. UN PARALYSE…
Il vit – ou plutôt : il survit ! – à Jérusalem, la capitale mondiale du Peuple d’Israël, actuellement en célébration d’une fête importante… Ce n’est pas par le nom que son identité ait déclinée mais par son état, le handicap physique persistant – quelques 38 années ! – qui l’écarte pratiquement de toute vie économique, sociale, peut-être même de la vie liturgique, et, encore et surtout, par la solitude qui le prive de toute aide extérieure et nécessaire, en l’occurrence, « il n’a personne » quand l’eau se met à bouillonner et un autre passe avant lui…
Il séjourne à la piscine de Bethséda, un centre de guérison particulièrement fréquenté. Seul au sein de la foule, de la multitude d’aveugles, de boiteux, de perclus, en situation de compétitivité les uns par rapport aux autres, à savoir : c’est le premier qui plonge dans la piscine quand les eaux se mettent précisément à bouillonner qui en est guéri… les autres attendent comme lui… Il persévère dans l’attente d’un impossible miracle.
Etrange centre de guérison ! étrange prime au premier de la course entre malades !... Il n’existe aucune scène de guérison dans l’ensemble de la Bible à laquelle on aurait pu comparé ce qui se passe ici. Il n’est absolument pas exclu que nous soyons, ici, sur le site, dans un sanctuaire païen, grec, aux rites « sportifs », dédié au Dieu guérisseur s e r a p i s. Il fonctionnait au 1er s. de notre ère… contemporain de l’époque qui nous retient . Les conclusions des fouilles archéologiques, pratiquées sur les lieux, au cours des années 50 du siècle dernier, sont formelles quant à l’existence de ce sanctuaire et du culte rendu à Serapis (de très nombreux ex-voto en font foi).
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2. JESUS ET LE PARALYSE ou LE BERGER ET LA BREBIS :
2.1. Jésus prend l’initiative d’aller vers lui.
Il vient à celui qui n’a personne … et qui attend quelqu’un. Le rapprochement de l’un et de l’autre est une manifestation concrète du soin que prend le vrai berger à l’endroit d’une brebis isolée fût-elle en attente de guérison dans un sanctuaire païen, car il est venu chercher aussi des brebis « qui ne sont pas de cet enclos » « celles-là aussi il faut que je les mène où elles découvriront de quoi manger ».
Par les versets qui suivent, Jésus essaie de persuader les « juifs » : «qu’il ne peut rien faire de lui-même… Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait … et le Fils le fait pareillement » v.v.19-20. Autrement dit, la démarche d’aller à la rencontre du paralysé correspond à une obéissance du Fils à son Père dont il est l’égal en tout et, en même temps, soumis.
Le rapprochement discret entre le berger et la brebis se réalise d’avoir par les yeux du premier qui voient un corps étendu : les yeux humains, les premiers organes par lesquels s’exprime la « miséricorde » du regardant par rapport au regardé, cf. Mt. 9, 36 : voyant les foules il fut pris de pitié pour elles parce qu’elles étaient lasses et prostrées comme des brebis qui n’ont pas de berger ». Mt. 5,6.
2.2. Jésus parle
Enfin, Jésus parle : « veux-tu être guéri ». Une seul interpellation à la volonté du patient sans aucune exigence, sans condition, sans un appel hypothétique à la Foi … ainsi parle Dieu à travers la voix de son envoyé, cf. v.30.
Après tant d’années d’infirmités, d’échecs, d’absence de moyens, de lassitude … la brebis aurait pu connaître le découragement, la désespérance, la perte de son état de sujet … et n’être plus qu’à l’état d’objet qui pâtit l’épreuve avec résignation, fatalisme … En fait il en est tout autrement. La réponse de la brebis, abandonnée jusqu’ici, laisse à penser, en effet, qu’elle n’a pas perdu la volonté de guérir : oui elle veut guérir ! – à preuve sa longue persévérance sans faille – mais elle se heurte, depuis longtemps à un obstacle insurmontable : « je n’ai personne » …
Sa pensée est enfermée dans une seule logique de guérison – et comment pourrait-il en être autrement dans ce contexte ? – à savoir : être le premier à plonger dans l’eau guérissante. L’homme qui s’est arrêté devant lui, qui a pris le temps de le regarder, de connaître la longue attente, l’intérêt manifesté ne serait-ce pas lui le « porteur » tant désiré ? Non ! la solution est dans l’homme paralysé lui-même. Comment ?
2.3. Dieu parle.
A travers la voix humaine, Jésus transmet une Parole de Dieu au patient : une parole de relèvement et de vie, v.21 quasiment un ordre : « Lève-toi prends ton grabat et marche… L’infirme, la brebis écoute cette parole, v.24.28, cf.10,17, la reçoit, y adhère, croit et obéit immédiatement.
Jésus berger, le Fils du Père et son égal a émis une parole de re-création de l’homme, v.18 et celui reprend la route … Jésus discret, disparaît dans la foule … de ses brebis, v.13 dans l’anonymat le plus complet, comme s’il voulait se cacher ?
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3. LE GRABAT PORTE UN JOUR DE SABBAT
A quatre reprises, v.v.9.10.11.12. le grabat porté, par celui qui est désormais capable d’un travail de force, fait « signe » dans l’immédiat, auprès des témoins oculaires, et, dans l’actualité permanente de l’évangile à tous lecteurs de l’ère chrétienne et donc nous-mêmes. De tous les contemporains qui ont vu la scène, l’évangéliste n’a retenu que les « juifs », et leur objection légaliste : « c’est le sabbat, il ne t’es pas permis de porter ton grabat ». L’homme, la brebis , mis à l’épreuve, ne sait pas dire le nom de celui qui lui a rendu la santé. En revanche, elle sait dire la parole libératrice, entendue de ses oreilles, ressentie immédiatement dans tout son corps perclus … depuis 38 ans !
La référence à la parole extraordinaire de Jésus irrite habituellement les « juifs » au point de perdre la maîtrise de soi, cf. Jn. 7, 40-49 ; 9, 13-34 ; etc… Ils s’enfoncent de plus en plus, dans les comportements de « faux bergers » d’Israël, cf. Jn.10, 1.5.8.10…
En l’occurrence, ils refusent un nouveau « signe », 5,20.36. à travers lequel, pourtant, ils auraient pu reconnaître la Parole messianique et divine de Jésus.
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4. L’ULTIME RENCONTRE ENTRE JESUS ET L’HOMME RELEVE
Elle se situe non plus au centre de guérison de la piscine de Bethséda, mais à l’intérieur même du temple : la maison du Père où le Fils est chez lui, Jn. 2.16. De tout ce qui s’est dit, l’évangéliste n’a retenu qu’une seule phrase, utile, adressée à l’homme : « Te voilà bien portant, ne pèche plus ».
Un constat autorisé de la guérison et sa conséquence, le retour à une vie humaine normale, d’une part, et, d’autre part, la grâce reçue implique un itinéraire nouveau. Il exclut le péché dont le plus grave est celui de l’incrédulité, « en demeurant en Dieu, cf. 1 Jn.3.6 ; et si, malgré tout, il y avait « des péchés » dans la vie du paralysé guéri, il aurait à se rappeler « qu’il a un défenseur devant le Père Jésus-Christ qui est juste » 1 Jn.2, 1 s. Il est celui de la vraie vie : celle qui découle de la foi en Jésus-Christ et Fils de Dieu, cf.Jn. 20.31.
Contrairement à ce que fait un certain nombre de ses contemporains pour remercier de leur guérison, lui ne va pas faire un « ex-voto » apposé sur quelque mur. C’est précisément sa vie nouvelle associée aux témoignages que Jésus rend par les signes qu’il accomplit, cf.Jn. 5, 36 ; 10, 25 ; 15, 27 ; oui ! cette vie nouvelle est son « ex-voto » vivant, visible, personnel…
CONCLUSIONS :
- L’actualisation concrète de la charge pastorale qui nous incombe auprès des brebis dépend directement de l’amour que nous portons au Berger, Jn. 21, 15-19.
- Le Berger qui a d’autres brebis qui ne sont pas de ce troupeau, s’en va les rejoindre là où elles sont, Jn. 10, 16 et Jn. 5, 1 ss.
- Le Berger est un vrai homme semblable à tous les autres, Jn. 1, 14 et Ph. 2, 6-8. Qui s’approche, voit, connaît le mal de la brebis dans la totale discrétion, le total respect…
- Le Berger transmet par sa voix humaine la Parole de Dieu parce qu’il est son Fils et son égal ! Elle transmet la vie, la vraie.
- La brebis est destinée à devenir TEMOIN avec LUI.